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Est-ce que la génération Z est vraiment moins à l’argent?
« OK BOOMER ».
J’ai ri en découvrant cette expression baveuse qui taquine les baby-boomers et qui commence à être utilisée par pas mal tout le monde, sauf les baby-boomers.
Flash news, c’est loin d’être la première – et la dernière – fois que des générations ne se comprennent pas tant et incidemment, se crêpent le chignon sur tous les sujets possibles.
Dans un tel contexte, je n’ai donc pas été surpris d’entendre des interrogations (et moqueries) en marge de la publication d’un rapport sur le marché du travail et la génération Z.
Selon une récente étude de la plateforme de mentorat Academos, les jeunes qui ont entre 14 et 26 ans ont déjà un regard hyper différent des plus vieux sur le marché du travail. Et ce n’est pas à prendre à la légère, puisque juste au Canada, on compte environ 7,3 millions de personnes nées après 1993. Déjà, on apprend en lisant le rapport que « pour les Z, réussir sa vie professionnelle est synonyme d’équilibre et de passion » et qu’ils « priorisent le plaisir et le bien-être avant le prestige et l’argent ». Mind blown much… Surtout pour les baby-boomers et les X, qui ont toujours priorisé les valeurs que les Z semblent rejeter du revers de la main. Le choc est forcément moins grand du côté des milléniaux, qui précèdent de peu les Z.
Mais qu’en est-il vraiment? Est-ce que la nouvelle génération est vraiment moins à l’argent que les autres?
Quand je pose la question à France Lefebvre, CRHA, certifiée RCC™, qui est (prenez votre souffle) consultante, conférencière, auteure, formatrice, facilitatrice, coach d’affaires et présidente de Groupe Fortuna Conseils, j’ai droit à un éclat de rire. « Excuse-moi, ça m’amuse toujours ce genre de questions. Il ne faut pas perdre de vue qu’un humain, c’est un humain. En fait, une génération n’est qu’une grande tendance. Je suis une boomer, mais je me retrouve personnellement beaucoup plus dans les valeurs des Y et des Z, par exemple. On trouvera toujours des gens qui ne fittent pas du tout avec les clichés reliés à leur tranche d’âge. »
Tripper avant tout
Sympathique nuance, mais la question reste. Quelle tendance se dessine chez les Z face au travail, au juste? « Ces jeunes sont nés dans une économie faste, un iPhone tatoué sur la main. Avec eux, je constate un retour du balancier par rapport à la technologie. Ils ont tendance à prioriser le contact de l’humain à l’humain, en favorisant les réunions en personne par exemple. Paradoxalement, ils sont aussi très portés sur le télétravail », raconte la présidente du Groupe Fortuna Conseils. Ce qui tombe sous le sens quand on creuse un peu. « Certains boomers pensent que les vacances sont le centre d’intérêt premier des Z… Ce qu’on remarque plutôt, c’est l’importance du “juste temps” accordé à la vie professionnelle par les Z. Ils n’ont aucun problème à mettre leurs limites pour favoriser le temps passé en famille et entre amis », ajoute-t-elle.
« Je ne suis pas l’antipode du carriériste, mais je préfère m’épanouir professionnellement à un rythme qui me convient. »
Gabriel, 26 ans, en est l’exemple parfait. En plus d’être journaliste à temps partiel, il coorganise le Festival de la musique à Québec tout en aidant une fois de temps en temps la Brasserie Générale lors d’événements spéciaux. Bref, il fait ce qui lui tente, n’a pas de titre clair – ni le prestige social qui peut parfois venir avec… Et ça ne le fait même pas sourciller. « J’aime m’investir dans plein de projets! J’adhère aussi à l’idée qu’on ne devrait pas négliger sa famille au détriment de son emploi. Et ce, même si c’est payant, prenant et demandant! Je ne suis pas l’antipode du carriériste, mais je préfère m’épanouir professionnellement à un rythme qui me convient. C’est clair que je vais toujours aller vers un emploi philanthropique qui me tient à coeur avant une job qui m’apporterait une sécurité financière pour le restant de mes jours », précise-t-il.
Même son de cloche pour Estelle, 25 ans, qui gagne sa vie comme chroniqueuse et journaliste… et qui zieute parfois du côté de la fruiterie à côté de chez elle « qui pourrait peut-être m’accorder un ou deux shifts par semaine, pour me permettre de me consacrer à mes passions sans stresser pour le cash. » Pour elle, c’est le bonheur au travail qui prime. « Se faire chier huit heures par jour pour un gros chèque, ça ne m’attire pas du tout. La vie est trop courte! Ce que je compte, c’est le plaisir que j’ai eu dans ma journée. Il y a pas mal d’autres façons de se réaliser qu’avec une grosse job. Je connais des gens qui ne font pas infiniment d’argent et qui voyagent en masse, par exemple! Ces personnes vivent des affaires pas mal plus intéressantes que la personne qui fait son 9 à 5 sans avoir le temps d’explorer quoi que ce soit. »
Un et un font deux. De ce que je comprends, c’est que la plupart des Z ne sont pas nécessairement moins à l’argent… Ils sont tout simplement moins au travail. Même s’ils veulent s’accomplir professionnellement, leur développement personnel est prioritaire. « Je trouve ça tellement sain! », s’écrie France Lefebvre. C’est ce qui explique l’apparente contradiction au sein de cette génération. Autant un Z peut être tout à fait game d’aller vers une carrière moins payante si ça le fait tripper, autant il risque de se diriger vers la compagnie qui offre les meilleures conditions et donc, le plus de zéros possibles sur ses chèques de paie, s’il a une passion pour un domaine plus stable. « Oui, le salaire est important pour les Z. Mais ne l’a-t-il pas toujours été pour toutes les générations? », ajoute-t-elle.
Un nouveau monde?
Comment la nouvelle génération va-t-elle influencer le marché du travail et éventuellement, l’économie? France Lefebvre pousse un soupir. « C’est déjà un méga défi pour les employeurs. » En 2013, Didier Pitelet , le fondateur de Moons’ Factory, prévoyait dans son ouvrage Le prix de la confiance la difficulté de gérer cette main-d’œuvre peu docile, qui a besoin de trouver un sens à son travail. Et lol pas lol, l’éventuelle (ou déjà en cours) retraite des baby-boomers risque de compliquer la situation.
« On est en pleine pénurie de main-d’œuvre! Les entreprises vont devoir s’adapter rapidement aux besoins des Z en offrant des horaires flexibles, des avantages sociaux qui favorisent la conciliation entre travail et vie privée, des salaires compétitifs, etc. On est actuellement dans un marché d’employés, pas d’employeurs. Les bons curriculum vitæ sont rares et parfois, les candidats ne se présentent même pas en entrevue! Je me demande parfois si les Z ont moins de considération envers le travail, tout simplement », soulève France Lefebvre.
« On trouvera toujours des gens qui ne fittent pas du tout avec les clichés reliés à leur tranche d’âge. »
Ce qui peut donner le guts de demander plus, plus vite, à son employeur. Les Z auront-ils naturellement accès à ce que leurs prédécesseurs souhaitent depuis des lunes, c’est-à-dire le droit de slacker un tour sans culpabilité? « Dur à dire pour l’instant. Entre 14 et 26 ans, beaucoup habitent encore chez papa-maman et n’ont pas encore de grosses responsabilités. C’est certain qu’on peut déjà dénoter des aspirations d’équilibre et d’épanouissement… Mais la vraie vie rattrape, hein. Mine de rien, c’est le fun manger trois fois par jour! », lance France Lefebvre.
Au lieu d’attendre de voir si les Z vont se péter la gueule ou pas en mettant de l’avant leur bien-être, j’ai envie de prendre exemple sur la sagesse de Karl Moore, professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Après avoir essuyé plusieurs refus d’étudiants de compléter un travail très rapidement, l’enseignant a partagé une intéressante réflexion dans La Presse + : « (…) ils ont prouvé qu’ils sont plus sages que moi : il y a peu de gloire dans le sacrifice de ses besoins personnels pour remplir certaines exigences scolaires ou professionnelles. En tant que membres de la génération des baby-boomers ou de générations plus âgées que mes élèves, nous pourrions tous dépasser notre tendance à la moquerie et reconnaître la valeur du mentorat inversé. »
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