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Est-ce que je suis en train de devenir un parent permissif ?

Est-ce que je suis en train de devenir un parent permissif ?

Quand trop d’empathie finit par brouiller les limites.

Par
Brigitte Hébert-Carle
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Ma fille a récemment fait une crise de proportion épique. La cause? Je lui avais servi des raviolis. En fait, c’était pas tant les pâtes, le problème. Ben non : c’est parce que je les avais coupées DROITES, et pas en DIAGONALE.

J’avoue que je ne l’ai pas vue venir, celle-là. Le tsunami d’émotion m’est tombé dessus avant même que j’aie le temps de prendre une bouchée. J’ai essayé de la comprendre, de rationaliser, de l’écouter, de l’accompagner, de valider ses émotions… Je lui ai même offert un deuxième souper! (Je sais, faut pas.) Mais en vain… plusieurs heures plus tard, on s’est toutes les deux endormies, complètement exténuées.

Peu de temps après, on partait en Europe. J’avais hâte, mais j’angoissais à l’idée de devoir gérer des crises outremer et de passer mon temps à négocier au lieu de réellement en profiter. Si le voyage a fait du bien, les crises de ma fille, elles, ont atteint un sommet inégalé.

Empathie: 10 Autorité: 0

Au sein de mon couple, en raison de mon empathie légendaire, je suis le « parent populaire », mais je suis également le parent le moins écouté, voire respecté. Souvent, ma fille se permet de dépasser les limites avec moi, pendant que moi, j’essaie de garder mon calme sans jamais hausser le ton.

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Mais en voyage, j’ai craqué. J’ai fini par crier et parler à ma fille sur un ton ferme. Miraculeusement, elle a enfin écouté ma consigne.

Mille questions se sont bousculées dans ma tête. À force de vouloir être bienveillante, suis-je devenue trop permissive? Aurais-je mal compris le concept de parentalité sécurisante? Bien que cette approche soit relativement récente dans l’espace public, les différents styles parentaux sont analysés par les experts depuis belle lurette. La psychologue Diana Baumrind en a défini quatre, selon le degré d’encadrement et d’affection offert à l’enfant :

  • le style démocratique, qui combine des règles claires et une présence chaleureuse ;
  • le style autoritaire, qui mise sur la discipline, au détriment de l’écoute ;
  • le style permissif, qui valorise l’affection, mais manque d’encadrement ;
  • le style négligent, qui combine absence de structure et de disponibilité affective.

La genèse de la parentalité bienveillante

Plusieurs décennies de recherche ont mené à un consensus scientifique : le style démocratique serait le plus favorable au développement de l’enfant. Selon Nadia Gagnier, docteure en psychologie spécialisée en éducation, cette approche constitue en quelque sorte l’ancêtre de ce qu’on appelle aujourd’hui la parentalité bienveillante — ou positive — telle que popularisée dans le discours actuel.

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Mais qu’est-ce que la parentalité bienveillante, au juste ? Elle s’inspire des théories de l’attachement, de la prévention des traumas et des neurosciences pour guider les parents vers une attitude plus empathique, axée sur la sécurité affective et la régulation émotionnelle. Elle « vise à tenir compte du développement du cerveau, et par le fait même, de la réelle capacité de régulation émotive de l’enfant », explique Nadia Gagnier.

Un enfant n’a pas la capacité et la maturité de gérer ses émotions comme un adulte. On invite plutôt le parent à ajuster ses attentes et à rester calme, même quand l’enfant fait une crise ou adopte un comportement dérangeant (voire gossant).

L’idée, ce n’est pas de tout laisser passer, mais de poser des limites, sans cris, menaces ou humiliation.

Le but est de tenter de comprendre ce que l’enfant essaie d’exprimer à travers son trop-plein d’émotions (ou ses coups de pied dans le tibia).

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Popularité ne rime pas toujours avec clarté

Sauf qu’il arrive parfois que ce message se perde. Stéphanie Deslauriers, psychoéducatrice, l’explique bien : « On pense souvent que la parentalité bienveillante, c’est la parentalité où on ne dit jamais non. » Eh bien, non, justement. L’important, c’est d’être sécurisant et d’instaurer un cadre clair et prévisible, avec des explications adaptées à l’âge de l’enfant.

Et de la patience, beaucoup de patience.

Pourquoi est-ce si populaire? « Le simple nom de cette approche peut être attirant pour n’importe quel parent qui hésite ou est inconfortable avec l’idée d’établir des limites frustrantes (mais ô combien sécurisantes!) avec son enfant », souligne Nadia Gagnier. Et pour cause : qui est contre la bienveillance? Mais ce mot peut porter à confusion. Certains parents, après avoir lu un article ou deux sur le sujet, ou juste un carrousel Instagram, retiennent uniquement qu’il faut être doux, à l’écoute et éviter les conflits. Résultat : on évite parfois d’établir des limites, par peur de « traumatiser » l’enfant.

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Quand la patience ne fonctionne pas

Mais que faire quand ton enfant te frappe, lance des objets ou refuse catégoriquement de respirer profondément ou de se retirer dans un endroit calme? Dans ces moments-là, garder son sang-froid relève de l’exploit olympique. C’est aussi là qu’on peut se demander : a-t-on perdu le cadre?

Un signal clair, selon la Dre Nadia Gagnier, c’est quand « l’enfant devient de plus en plus exigeant, fait de plus en plus de crises et ne développe pas progressivement une meilleure tolérance à la frustration ou une meilleure régulation émotionnelle ».

Autre indice révélateur : l’enfant suit bien les consignes d’un autre adulte — celles d’une éducatrice, par exemple — qui agit avec bienveillance, mais dans un cadre plus structuré.

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Bien sûr, chaque enfant est différent, et l’éducation parentale n’est qu’un des nombreux facteurs qui entrent en jeu. Mais quand les crises s’accumulent et ne diminuent pas avec le temps, ça vaut la peine de s’arrêter et de réfléchir au type de balises qu’on offre au quotidien.

L’éducation après la tempête

Une chose est sûre : lorsqu’une crise survient, ce n’est pas le moment de poser mille questions ou de décortiquer l’émotion de l’enfant. Mieux vaut attendre que la tempête passe. Comme le rappelle la Dre Gagnier, tenter de valider calmement une émotion pendant que l’enfant donne des coups de pied ou étrangle sa sœur, « ce n’est pas réaliste ». Dans ces moments-là, intervenir fermement — par exemple en retirant l’enfant de la situation ou en séparant les protagonistes — est nécessaire pour assurer la sécurité de tous, même si, sur le coup, ça peut provoquer une nouvelle vague de frustration.

Une fois l’enfant apaisé, l’apprentissage peut débuter : on peut alors valider ce qu’il a ressenti, oui, mais aussi lui donner des outils pour mieux gérer sa colère la prochaine fois pour que l’enfant sache quand se retirer, respirer, demander de l’aide, résoudre un conflit sans taper. Il ne s’agit pas seulement de revenir sur un événement difficile, il faut enseigner à l’enfant à vivre avec les autres.

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Ô capitaine, mon capitaine!

J’ai tellement mis d’énergie à valider les émotions de ma fille que j’ai peut-être négligé un autre besoin tout aussi fondamental : celui d’avoir un cadre clair. Là-dessus, je suis pas mal certaine que je ne suis pas seule.

Quand on manque de temps avec nos enfants, on veut que les moments partagés soient doux, sans crises, presque parfaits, quitte à mettre de côté certaines règles essentielles. Mais ça prend un capitaine pour diriger un bateau.

« C’est sécurisant, un capitaine à bord, explique Stéphanie Deslauriers. Notre enfant a besoin de cette sécurité-là : quelqu’un sur qui il peut compter, qui prend les bonnes décisions pour lui. »

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La psychologue Nadia Gagnier abonde dans le même sens. Seulement quatre ou cinq règles claires, répétées avec constance, suffisent à apporter beaucoup de sécurité et de prévisibilité. Ça aide l’enfant à comprendre ce qu’on attend de lui, à mieux tolérer les frustrations, et à gagner en autonomie émotionnelle.

Perfectionnisme et parentalité

Nadia Gagnier cite le psychanalyste Donald Winnicott, qui était d’avis que l’enfant n’a pas besoin d’un parent parfait, mais d’un parent « juste assez bon » (le concept de la « good-enough mother »). « Être parent, c’est à peu près le rôle le plus humain qu’on aura à jouer dans notre vie », renchérit-elle. Un rôle imparfait, qui demande de la souplesse, de l’humilité et beaucoup d’amour.

« Les enfants ont besoin de répétition, ils aiment ça, ajoute Stéphanie Deslauriers. Les livres qui marchent le plus avec nos enfants, ce sont les livres avec de la répétition. Dans les émissions jeunesse, c’est la même chose. Ils ont besoin de ça pour que leurs apprentissages soient vraiment ancrés. »

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Je vais donc continuer d’instaurer des règles plus claires et de les répéter, patiemment. M’assurer de tenir mon bout, même quand la tempête émotionnelle souffle fort, tout en ne culpabilisant pas trop lorsqu’il m’arrive de perdre patience. Et j’offrirai à ma fille tous les outils possibles pour l’aider à traverser les grands défis de la vie… comme un ravioli mal coupé.

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