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Est-ce que je suis «en retard» dans ma vie financière?

Quand le chemin de la vie prend quelques détours.

Par
Patrick Roy
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Tout allait bien dans ma vie jusqu’à ce que ma femme et moi on aille déjeuner chez des amis qui venaient de s’acheter un condo.

« C’est vraiment beau votre condo! »

« Merci! On est vraiment fier d’avoir fait le move parce qu’on commençait à être tanné d’être en appartement. Pis vous? C’est quand le condo? »

Shit… je viens de me faire checkpointer, comme ça, de façon anodine entre deux bouchées de bagel plein de beurre de pinottes.

Ce que j’appelle les checkpoints, ce sont toutes ces balises qui donnent l’impression d’avancer dans la vie.

Ce que j’appelle les checkpoints, ce sont toutes ces balises qui donnent l’impression d’avancer dans la vie. La job stable, le condo, le mariage, les bébés… Comme si le chemin était déjà tracé et qu’on était tous dans une course de Mario Kart où on doit avancer le plus vite possible.

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« Ben on est encore en appartement. On voulait peut-être attendre de ramasser assez d’argent pour un cash down avant d’acheter… »

« Vous avez pas ENCORE ramassé votre cash down? »

« Ben… ben… on a déjà un bon… 500$ de côté… c’est déjà bon, non? »

« J’sais pas, mais nous on a commencé y a deux ans pis on avait ramassé 25 000$. »

Jamais mon esprit aura fait un FUCK YOU invisible aussi vite à quelqu’un.

Voyons, pourquoi j’me sens comme d’la marde tout de coup? J’étais supposé aller déjeuner, boire huit tasses de café et pis noyer mes crêpes avec du sirop de poteau.

« Euh… ben c’pas si grave que ça… on va finir par rattraper notre retard… »

Pourquoi j’ai dit ça? On est tu vraiment en retard? En retard de quoi?

Quand on se compare…

Ce n’est pas la première fois qu’on se faisait poser la fameuse question sur le condo, mais c’était la première fois que c’était un de nos amis « balises » qui nous la posaient.

Un ami « balise », c’est un ami qui te ressemble assez avec lequel tu te compares en vieillissant pour savoir qui d’entre vous deux est en train de gagner le jeu de la Vie.

« Pis là, on est déjà en train de planifier nos rénovations pour… »

Sérieux, j’ai arrêté d’écouter.

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Il y a peine trois secondes, j’étais encore en appartement et tout allait bien dans ma vie.

Pis là, à 10h58, sans aucun avertissement, je suis rempli de doutes, de questions, du pourquoi du comment que je suis encore en appart. Je suis dans ma tête en train de me rejouer toutes les non-décisions que j’ai prises à ce jour : pas de char, pas de bébé, pas de condo, pas de job 9 à 5 avec des semaines de maladie payées.

Je hoche la tête de temps en temps et je réponds des affaires comme « Wow! 10$ le pied carré? C’t’un bon prix » pour que la conversation continue.

Pourquoi on est encore en appartement?

Ah oui, c’est parce que c’est pas cher, pis on est correct bien. Mais pourquoi on n’a pas un condo pis des rénos? Sont où nos rénos? Quand est-ce que je vais acheter quelque chose qui coûte 10$ le pied carré? Moi aussi je veux name dropper mes rabais à mes amis la fin de semaine!

Fast forward deux ans plus tard

On a maintenant le condo. Check!

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On va souper chez ma soeur. Vient la fameuse question de quand est-ce qu’on va avoir des bébés.

Elle me pose cette question-là quand je suis en train de torcher mon neveu de quatre ans à celui qui saute le plus haut sur la trampoline (parce que c’est important de gagner dans la vie).

Je viens de me faire checkpointer… encore!

La petite voix recommence à spinner, même si maintenant j’ai le checkpoint du condo en poche (et le poids de l’hypothèque dans l’autre).

Coudonc, est-ce que j’ai pris de la maturité entre-temps?

Coudonc, est-ce que j’ai pris de la maturité entre-temps? À quoi ça sert de vieillir sinon, à part commencer à faire des bruits de monsieur quand je me lève d’une chaise?

En réfléchissant à tout ça, je regarde mon neveu qui essaie de sauter plus haut de toutes ses forces (pfff, il réussira jamais). Puis je réalise deux choses :

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1- Il va toujours avoir un checkpoint que je n’aurai pas et quelqu’un ou un réseau social va me le mettre dans face. C’est aussi inévitable que le soleil qui se lève.

2- Ça arrivera quand ça arrivera, si ça arrive parce qu’on a envie ou non que ça arrive.

Le condo est arrivé, pas tant parce qu’on voulait un condo, mais parce que les propriétaires de notre bloc sont décédés, pis on s’est dit qu’on ne voulait plus être locataires. Pas à cause d’un checkpoint, du peer pressure ou du besoin de se conformer. La vie nous a mis ça dans la face et on en avait envie. Tant mieux.

La tête arrête de spinner, je réponds à ma soeur « à un moment donné ».

Il y a toujours au moins une personne par souper de famille ou de party de job un peu plate qui t’achale pour savoir quand est-ce que tu vas devenir propriétaire…

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En achetant le condo (le plus fameux checkpoint dans la vie parce qu’il y a toujours au moins une personne par souper de famille ou de party de job un peu plate qui t’achale pour savoir quand est-ce que tu vas devenir propriétaire… au bout du compte, j’tu vraiment obligé d’être propriétaire?), je me suis rendu compte que j’étais un vrai faux Jedi anxieux (je médite et ma femme n’arrête pas de rire de moi en disant qu’à part respirer fort pendant 15 minutes, je suis aussi épais qu’avant).

Un vrai faux Jedi anxieux, parce que j’ai l’air ben zen, mais je suis tombé dans le piège de regarder si le gazon du voisin était plus vert que le mien. Et plus souvent qu’autrement il l’était, pis ça fait chier. C’est comme un réflexe. Pourtant, je sais qu’en me comparant, ça va toujours finir par moi qui me sens comme un tas de marde nappé d’un coulis de regrets aromatisé d’un parfum de jugement sur tous mes choix de vie.

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J’ai pas encore réussi à me débarrasser de ce réflexe-là (je me pose encore des questions si je suis en « retard » sur ma « carrière » parce que j’ai mis ma start-up sur pause). Mais j’ai développé un petit truc pour chaque fois que l’anxiété d’être en retard sur ma vie me pogne : je fais juste me concentrer sur ce qui m’apporte le plus de bien dans mon quotidien pis ce qui pop, ce n’est jamais la grosse job, le gros compte de banque ou d’avoir le condo avec le toit qui coule (parce que ça vient avec). C’est juste de passer du temps avec ma femme et mes deux chats avec le moins de stress possible dans ma tête. Le reste, c’est accessoire.

C’est cheesy as fuck (je n’ai jamais dit que j’étais si cool que ça), mais au moins, ça fait que je suis moins anxieux et que je peux faire des fuck you imaginaires aux personnes qui bragguent sur ce qu’elles possèdent.

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P.-S. – Au bout du compte, j’ai laissé gagner mon neveu, tsé, parce que je suis la personne la plus mature d’entre nous deux (mais j’vais le battre à Pokémon Stadium tantôt).

P.-P.-S. – On a encore rien acheté à 10$ le pied carré.