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Est-ce que c’est si facile, écrire un livre pour enfants?

Discussion avec une autrice et une éditrice jeunesse.

Par
Christian Letendre
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Ma fille est une grande passionnée de littérature jeunesse. Du moins, autant qu’on peut l’être à 2 ans. Elle adore ses livres et ne se tanne jamais de nous faire recommencer ses histoires préférées. Et disons que je ne suis pas sûr de toujours partager son enthousiasme. Combien de fois me suis-je dit, en refermant la couverture d’un récit particulièrement quelconque : « Je pourrais tellement faire mieux. »

Mais est-ce que c’est si facile que ça, écrire un livre pour enfants? Pour le savoir, j’ai posé la question à Véronique Fontaine, présidente des Éditions Fonfon, et à Marie-Eve Leclerc-Dion, autrice de Lucien supersensible et de deux autres albums à paraître en 2024 et 2025.

J’espère juste qu’après avoir lu mon compte-rendu de ces entretiens, vous ne vous direz pas que vous auriez pu faire mieux.

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Facile, mais pas tant

Ce qui m’a d’abord frappé, en discutant avec Marie-Eve et Véronique, c’est à quel point leur rôle dans le processus de création d’un livre teinte leurs réponses à mes questions.

Quand j’ai demandé à Marie-Eve de noter sur 10 la difficulté d’écrire du jeunesse (10 étant le plus difficile), elle a répondu : « Dans mon cas, je dirais 2. Parce que j’ai comme des gros élans d’inspiration. Écrire, trouver des idées, je trouve ça plutôt facile et naturel. Ce qui est difficile, c’est de se faire publier! »

C’est peut-être pour ça que Véronique y est plutôt allée avec un 8 sur 10.

« Chaque année, on reçoit au moins 500 manuscrits chez Fonfon et on n’en choisit que quatre ou cinq, donc on refuse pratiquement tout ce qu’on reçoit. »

Ça veut dire que moins de 1% des textes soumis se retrouvent sur les rayons des libraires. Beaucoup d’appelés, peu d’élus.

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D’ailleurs, faut pas le prendre personnel, quand on essuie un refus. Chaque éditeur a ses propres critères de sélection. Pour la présidente de Fonfon, « il faut que toute l’équipe ait eu un coup de cœur. Faut aussi que ça fitte avec nos collections et notre ligne éditoriale. On refuse souvent des textes qui sont bons, mais qui ne sont pas des Fonfon. Mais quand on les voit publiés ailleurs, ça nous rend très heureux! »

L’autrice de Lucien fait écho à ce point de vue : « Pour le même manuscrit, un éditeur m’a dit qu’il “manquait de fil conducteur, de récit, de folie”, alors qu’un autre m’a dit “On a tous eu un gros coup de cœur, on a ri très fort”. »

Petit guide de l’écriture jeunesse

Mais comment on écrit ça, un livre pour enfants? Est-ce que ça prend absolument des animaux? Est-ce que les phrases doivent rimer? Est-ce qu’on est obligé de mettre une leçon à la fin? Sans prétendre qu’il existe une recette miracle, mes deux interlocutrices ont des pistes de réflexion.

Véronique Fontaine conseille de rester près de ce qu’on connaît.

« Les meilleurs textes sont souvent ceux qui sont liés à une expérience personnelle. On sent d’où ça vient, ça donne une charge émotive. »

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Marie-Eve Leclerc-Dion abonde dans le même sens : « Mes enfants sont mes deux muses. Je suis souvent inspirée par ce qu’ils font, ce qu’ils disent, leur façon de voir le monde. Ils me servent tout ça sur un plateau, ça me facilite beaucoup la vie pour écrire. »

Il faut aussi être conscient qu’un album jeunesse, c’est un travail de cocréation. À moins d’illustrer votre livre vous-même, vous serez jumelé avec un artiste qui a ses propres idées et sa créativité. Selon la présidente de Fonfon : « En tant qu’auteur, faut que tu te détaches un peu de ton texte pour donner de l’espace à l’illustrateur et le laisser s’amuser avec. Ça risque d’occasionner des modifications au texte. Si tu tiens à chaque mot, tu risques d’avoir de la misère. »

Et si vous avez l’impression que tous les sujets ont déjà été abordés, vous n’êtes pas seul. Marie-Eve a vécu le même questionnement récemment : « J’ai un peu eu cette peur-là, avec un projet sur lequel je travaille. Je me suis mise à remarquer d’autres livres sur la même thématique. Mais mon éditrice m’a dit que c’était normal. Des histoires sur le caca, y en a des tonnes. Des livres sur la peur du noir, sur l’apprentissage de la propreté, sur l’ouverture à la différence, aussi. Mais c’est pas si grave. Les illustrations se réinventent, l’angle et le ton peuvent être différents. »

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Adulte et jeunesse : même combat?

Comme elle a déjà publié un roman (l’excellent On peut-tu rester amis), Marie-Eve Leclerc Dion est bien placée pour comparer la littérature jeunesse et celle pour adultes : « L’écriture est évidemment plus longue pour un roman de 200 pages. Ça peut prendre, par exemple, deux ans à écrire, versus deux jours pour un album cartonné pour enfants. Mais le processus d’édition est souvent plus long en jeunesse, avec les illustrations et tout. En fin de compte, la durée peut se ressembler. »

La présence de deux noms sur la couverture signifie aussi des revenus réduits : « Pour un livre adulte, l’auteur reçoit généralement 10% du prix de vente. Mais en ajoutant une illustratrice, on coupe ça en deux. »

Donc, un livre adulte qui se vend 20$ rapportera 2$ à l’autrice, alors que pour un livre jeunesse, ça descend à 1$. Ça fait pas des gros REER, mettons.

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De son côté, Véronique Fontaine remarque aussi plusieurs différences entre les deux catégories : « Ce qui est particulier au jeunesse, c’est que le livre doit charmer deux publics : l’enfant et le parent. Aussi, les livres jeunesses se lisent à haute voix. Ça prend donc un petit quelque chose de plus dans le rythme, dans la musicalité du texte. Et c’est tellement concis que tu peux pas échapper quelque chose dans un texte de 1000 mots. Pour moi, c’est deux métiers complètement différents, en fait. »

Les conseils des pros

Donc. Est-ce que n’importe qui peut écrire un livre pour enfants? Oui, si vous avez le moindrement une bonne maîtrise de la langue. Mais ça ne veut pas dire que vous allez être publié! Heureusement, Marie-Eve et Véronique ont des conseils pour ceux qui voudraient se lancer dans la littérature jeunesse.

À commencer par en lire. Beaucoup. Les deux femmes insistent d’ailleurs là-dessus. C’est dur d’écrire un livre jeunesse si vous n’en avez jamais lu. Ça aide à éviter les sujets surreprésentés et à déterminer si votre histoire et votre voix se démarquent du lot.

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Véronique appuie aussi sur l’importance de lire votre manuscrit à voix haute, puisque c’est comme ça qu’il sera consommé. « Quand tu lis à voix haute et que tu t’enfarges aux trois mots, y a quelque chose qui marche pas. »

De son côté, Marie-Eve recommande de tester vos idées sur des enfants.

« J’ai déjà lu une de mes histoires à mon fils et il m’a carrément dit que c’était plate. »

Et finalement, mettez toutes les chances de votre côté en ne vous limitant pas à un seul éditeur auquel envoyer votre texte. L’autrice raconte : « J’ai déjà envoyé un manuscrit à une maison d’édition et on m’a répondu un an et demi plus tard avec un “Peut-être”. Donc, c’est sûr qu’il faut pas y aller un à la fois. »

Alors, maintenant que vous avez tous les outils, on vous lit quand?