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Est-ce que ça se peut, un monde sans cote de crédit?
Dans la liste des choses importantes de la vie dont la plupart des humains ne comprennent pas le fonctionnement, les cotes de crédit se classent assez haut sur le palmarès. Un peu comme le moteur d’une voiture, on a besoin d’une cote de crédit et on peut profiter de son fonctionnement sans trop avoir à se soucier d’en comprendre la complexe mécanique.
Le seul problème, c’est que mal comprendre le fonctionnement de notre cote de crédit peut nous causer plusieurs problèmes à long terme. Et avoir une mauvaise cote peut nous entraîner dans un cercle vicieux duquel il est difficile de se sortir. En fait, essayer de redresser nos finances peut même faire baisser notre cote…
Le système est clairement brisé et peu sont ceux et celles qui comprennent son fonctionnement. Alors, est-ce que c’est absolument nécessaire, une cote de crédit? Existe-t-il des modèles alternatifs?
Pourquoi il faut repenser le système, et vite!
Il y a au moins trois bonnes raisons pour lesquelles il faudrait repenser au plus vite le système de cote de crédit tel qu’on le connaît. Premièrement, la plupart des millénariaux disent qu’ils se sentent restreints par leur cote. Deuxièmement, les minorités sont disproportionnellement affectées par les mauvais scores. Et, finalement, c’est un monopole qui fait son cash en vendant vos infos, qui ne sont même pas toujours correctes!
Il y aussi le fait que beaucoup de pays utilisent des modèles quelque peu différents du nôtre!
Par contre, c’est vrai que parmi les solutions que l’on a trouvées pour codifier l’octroi de crédit, ce n’est pas la pire. Il y a 2000 ans, il fallait convaincre quelqu’un de confiance de nous prêter de l’argent pour se procurer, par exemple, le matériel nécessaire pour s’occuper de sa ferme. En échange, on repayait le créditeur avec de la marchandise, ou on le repayait avec intérêts à la fin de la saison. Il y a 100 ans, si vous n’étiez pas un homme blanc, good luck pour avoir accès à un prêt de la banque!
Avoir un score un peu abstrait permet au moins à la personne qui demande un prêt ou une ligne de crédit d’y accéder sans trop avoir peur d’être rejetée pour des raisons comme un handicap, son identité de genre ou son appartenance religieuse. Néanmoins, tous ces facteurs peuvent avoir une incidence sur sa cote de crédit.
D’où ça sort?
L’histoire de notre cote de crédit commence en 1989, avec Fair, Isaac and Company (FICO), une entreprise de technologie qui met au point un score entre 300 et 850 permettant de calculer le degré de fiabilité financière. Cette « cote de crédit » FICO est aujourd’hui utilisée par plus de 90 % des bailleurs de fonds, bien que la plupart des compagnies aient leur propre manière de comptabiliser les scores. Et vous n’en avez pas qu’un : différents scores FICO sont établis pour chaque ligne de crédit qui vous est octroyée. (Je ne vous expliquerai pas exactement comment ça fonctionne, je laisse ça aux expert.e.s.)
Il y a 100 ans, si vous n’étiez pas un homme blanc, good luck pour avoir accès à un prêt de la banque!
Ensuite, seulement trois compagnies, Equifax, TransUnion et Experian (uniquement aux États-Unis), se partagent la lourde et très profitable responsabilité de comptabiliser ces scores, de les mettre à jour dans vos dossiers et de vous attribuer une note qui est celle que vous connaissez, votre score Vantagescore, une mesure inventée par ces trois compagnies. C’est cette cote qui vous est divulguée par votre institution financière, et si vous ne la connaissez pas, c’est peut-être le moment d’aller la vérifier.
Petites dettes, gros profits
Mais s’il y a seulement trois compagnies dans ce marché oligopolistique qui dessert toute l’Amérique du Nord, elles doivent être vraiment bonnes à leur job, right? Voyons voir.
Equifax a fuité des informations concernant près de 150 millions d’Américain.e.s, 15,2 millions de Britanniques et des dizaines de milliers de Canadien.ne.s.
Le directeur du Bureau américain de la protection financière des consommateurs, Rohit Chopra, déclarait récemment que « TransUnion est un récidiviste hors de contrôle qui se croit au-dessus de la loi », ajoutant être « préoccupé par le fait que les dirigeants de TransUnion ne veulent pas ou ne sont pas capables de gérer leurs activités de manière légale ».
Un sondage mené aux États-Unis avance que 49 % des millénariaux se disent freinés dans la vie à cause de leur cote de crédit.
Le petit dernier du Big 3, Experian, s’est récemment fait rappeler par le gouvernement irlandais qu’il lui était illégal de vendre les données de ses utilisateurs sans leur consentement à des entreprises qui les ont utilisées pour déterminer qui pouvait se payer des biens et services, ainsi qu’à des partis politiques. De plus, il est estimé qu’une personne sur quatre a une erreur à son dossier qui affecte sa cote.
Bref, personne, pas même les gouvernements on dirait, n’aime les bureaux de crédit. En fait, le président américain Joe Biden a même évoqué lors de sa campagne électorale une refonte du système.
Un frein pour les générations futures
Au-delà de la gestion houleuse et des nombreux scandales des entreprises responsables de gérer les cotes de crédit, il y a aussi le fait que ces cotes sont d’une importance capitale pour… pas mal tout, en fait! Vous avez été un peu irresponsable avec votre carte de crédit quand vous étiez au cégep? Ça pourrait vous empêcher d’obtenir une hypothèque, un crédit pour l’achat d’une voiture ou même une autre carte de crédit.
Et on se rend compte de ce problème de plus en plus tôt! Un sondage mené aux États-Unis avance que 49 % des millénariaux se disent freinés dans la vie à cause de leur cote de crédit. Il faut aussi souligner que nous avons les pires cotes : 43 % des membres de notre génération ont un score sous 619, et sont donc à haut risque de défaut de paiement. Mauvaise nouvelle pour nous, mais bonne pour la planète : un.e millénarial.e sur quatre se voit refuser un prêt pour une voiture à cause de sa mauvaise cote. Full efficace, comme système!
Comme la grande majorité des outils financiers auxquels on a accès, les cotes de crédit sont surtout faites pour avantager les gens qui ont déjà de l’argent, ou du moins, qui se trouvent dans une situation financière avantageuse. Des données permettent aussi de constater les énormes écarts de cotes selon l’ethnicité des gens, représentatives des iniquités dans le système qui sont de plus en plus décriées. Une personne blanche sur 19 a une cote de moins de 620, contrairement à une personne sur 9 dans les communautés hispaniques, et une personne afro-américaine sur 5.
Rétablir l’équilibre
Soixante-dix-huit pour cent des travailleurs et travailleuses aux États-Unis vivent de paie en paie, tout comme 53 % des Canadien.ne.s. Premier effet que cela peut avoir : les gens louent un logement, plutôt que d’être propriétaires, ce qui ne les aide pas à se bâtir une bonne cote de crédit. Cette moins bonne cote affecte ensuite leurs chances de devenir propriétaires plus tard. Plus insidieux encore : essayer activement d’avoir une meilleure cote de crédit peut en fait l’affecter négativement! Comme on vous le disait la semaine dernière, ce qui importe vraiment pour votre cote, c’est votre utilisation de crédit. Donc d’avoir un peu de dettes, ça peut être bon pour votre cote. Je sais, c’est bizarre…
C’est quoi, la solution? Il n’y en a pas de parfaites. Personne ne plaide pour un retour à l’époque où avoir accès à du crédit ou non dépendait de si le banquier t’aimait la face! Mais, il faut assurément trouver un système plus efficace que celui qu’on a en ce moment. L’une des idées les plus populaires, et qui fait même des adeptes dans le gouvernement Biden, serait de mettre fin au règne des Big 3 et de fédérer tout ce système dans une entité gérée par le gouvernement.
Une personne blanche sur 19 a une cote de moins de 620, contrairement à une personne sur 9 dans les communautés hispaniques, et une personne afro-américaine sur 5.
Essentiellement, selon ce principe, vous recevriez à vos 18 ans une carte de crédit octroyée par une branche du Bureau américain de la protection financière des consommateurs, avec une limite de crédit de, disons, 1000 $, avec un taux d’intérêt à 0 %. Vous l’utiliseriez à votre guise et la rembourseriez ensuite. Les défauts de paiement seraient notés et comptabilisés, et votre accès à d’autres services de crédit du gouvernement seraient restreints jusqu’à ce que vous vous acquittiez de votre dette.
Ce n’est pas parfait, mais ça nous rapproche du but final : que chaque humain ait accès à des services financiers essentiels qui ne soient pas intrinsèquement prédateurs.