Dans les dernières semaines, ma fille de 3 ans s’est mise à parler à Achille, son toutou crocodile. Elle a des conversations avec lui, elle lui donne à manger, elle soigne ses bobos. L’affaire, c’est que souvent, Achille n’est pas dans la pièce quand elle fait tout ça.
Je me suis donc demandé si ma fille avait un ami imaginaire. Et si oui, d’où vient-il? À quoi sert-il? Et est-ce que c’est normal qu’un enfant ait un ami imaginaire?
Pour répondre à toutes ces questions, une seule solution s’offrait à moi : en rencontrer un. Voici ce que ça a donné.
Pour commencer, peux-tu te présenter brièvement?
Bien sûr! Je m’appelle Princesse Cantaloup, je suis un rhinocéros et je suis l’amie imaginaire d’un garçon de 4 ans qui s’appelle Thomas.
Enchanté, Princesse Cantaloup! Donc, je me demandais : quand est-ce que t’es apparue dans la vie de Thomas?
Ça doit faire une couple de mois? Un an, gros max. Généralement, les amis imaginaires apparaissent entre 3 et 5 ans.
Tu dis « les » amis imaginaires. Vous êtes plusieurs?
Ben, Thomas en a juste un, même si ça arrive souvent que les enfants en aient plusieurs.
À la garderie, par exemple, on est une trâlée! J’ai même déjà lu qu’à l’âge de 7 ans, deux enfants sur trois ont, ou ont déjà eu, un ami imaginaire.
Ah oui, tant que ça?
Oui, monsieur! C’est plus fréquent chez les enfants uniques et chez les aînés, par contre.
Ça a quelque chose à voir avec la solitude, je pense. Quand t’es longtemps sans frère ou sœur, t’as un peu plus besoin de t’inventer de la compagnie.
Justement, à quoi sers-tu, exactement?
Eh boy, les grosses questions existentielles à matin! (Rires) Comme je disais, on sert souvent à combler les moments de solitude, mais on a aussi plusieurs autres fonctions.
J’ai déjà réconforté Thomas pendant des périodes de stress, comme quand ses parents se sont séparés. Il se sert aussi de moi pour communiquer ses émotions : je me souviens d’une fois où il a dit à sa mère que j’aimais pas la nouvelle éducatrice, mais dans le fond, c’est Thomas qui ne l’aimait pas. Il m’a même déjà mis ses mauvais coups sur le dos! Combien de fois j’ai pris le blâme pour ses dessins sur les murs ou pour la bouffe que je l’avais « encouragé à lancer par terre »… (Rires)
On rit, mais y a de vrais avantages à avoir un ami imaginaire. Et je dis pas ça juste pour prêcher pour ma paroisse : des études le prouvent!
Par exemple, les enfants qui ont un ami imaginaire développent une meilleure capacité de langage et retiennent plus vite les informations que ceux qui n’en ont pas. C’est comme s’ils se pratiquaient à avoir des conversations avant d’avoir de vrais amis.
Ils sont aussi meilleurs pour résoudre des conflits, négocier, prendre des décisions. Et on leur permet de tester leurs limites, leurs peurs et leurs désirs.
Bref, tous les parents devraient rêver que leur enfant ait un ami imaginaire!
Parlant de parents, comment ceux de Thomas agissent avec toi? Ou plutôt, comment est-ce qu’ils devraient agir?
C’est sûr qu’ils ne peuvent pas faire comme si je n’existais pas. Ils ont beau ne pas me voir, ça ne me rend pas moins réelle aux yeux de Thomas. Faut juste pas qu’ils m’accordent trop d’importance.
Ils peuvent reconnaître que je suis là pendant les repas si leur gars en parle, mais sans nécessairement me faire une place à table avec une assiette. Sinon, Thomas pourrait se mettre à confondre le réel et l’imaginaire. Au fond, il le sait que je n’existe pas pour vrai. Mais si ses parents se mettaient à me parler et à faire comme s’ils me voyaient, la frontière deviendrait de plus en plus floue.
Par contre, c’est bien qu’ils demandent à Thomas de leur parler de moi. Je suis comme un miroir de son monde intérieur. En l’incitant à décrire ce que je fais ou comment je me sens, ça peut les aider à mieux le comprendre et à adapter leur façon d’agir en conséquence.
Sinon, est-ce que t’as une idole? Un ami imaginaire connu que tu admires particulièrement?
C’est sûr que Bing Bong [du film Sens dessus dessous, NDLR] est au top du palmarès des les amis imaginaires. Après tout, le gars a sacrifié sa vie pour sauver celle de son enfant.
Je sais aussi qu’il y a eu le film Amis imaginaires, qui est sorti l’an passé, mais les parents de Thomas ne l’ont pas amené le voir, donc je ne peux pas vraiment me prononcer. Mais les critiques étaient pas mal mitigées, donc ça m’étonnerait que ça puisse topper Bing Bong.
Mais c’est clair que le dude de Fais de l’air, Fred n’est pas sur ma liste. Il faisait faire tellement de niaiseries à son enfant, même quand elle était rendue adulte. Ce film-là nous a vraiment donné une mauvaise réputation.
Parlant de Bing Bong, as-tu peur de disparaître?
Oui et non. Paraît que ça se passe doucement, sans qu’on s’en rende compte. J’ai entendu dire que ça arrive au début du primaire, quand l’enfant commence à plus socialiser. Donc, il me reste encore quelques bonnes années devant moi.
Mais je vois ça comme quelque chose de positif. Parce que ça voudra dire que Thomas s’est fait des amis dans le vrai monde et qu’il a des activités et des intérêts qui comblent les mêmes besoins que moi.
Je vais peut-être réapparaître une fois de temps en temps si Thomas vit de gros moments de stress ou des changements importants. Sinon, je vais m’effacer tranquillement jusqu’à disparaître complètement.
Il arrive toutefois que des adultes gardent leur ami imaginaire toute leur vie. Paraît que c’est particulièrement fréquent chez les auteurs.
Plusieurs d’entre eux disent que leurs personnages ont une vie à part entière et qu’ils prennent leurs propres décisions. Agatha Christie a d’ailleurs souvent dit qu’elle avait des amis imaginaires.
Mais, règle générale, les spécialistes recommandent de consulter si l’ami imaginaire est encore là après l’âge de 11 ans.
D’ailleurs, le fait que toi, tu me vois et tu me parles, j’avoue que ça m’inquiète un peu.
Ne t’en fais pas, je ne te vois pas vraiment. C’est juste une gimmick pour rendre un texte sérieux plus plaisant à lire. D’ailleurs, t’as pas remarqué que j’ai mis des hyperliens vers des sources crédibles partout dans notre conversation?
Habile. Pour vrai, c’est passé comme dans du beurre. Bien contente d’avoir pu aider, dans ce cas! Princesse Cantaloup, out.