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Nous sommes une famille montréalaise plutôt sympathique, ayant décidé de tout sacrer là pour faire le tour de l’Asie durant environ sept mois. Nous ne sommes pas des hippies (sauf ma blonde qui porte encore des bijoux en bois), ni des gens riches, nous avons seulement décrété que ce projet supplantait en importance tous les autres. Voici le récit de notre voyage.
Déjà quatre mois qu’on a quitté Montréal, soit environ la moitié du périple prévu.
Je dis « prévu », parce qu’on n’est jamais à l’abri de s’acheter une maison sur pilotis sur un coup de tête pour faire pousser de la canne à sucre ou ouvrir un bar karaoké exclusivement dédié à ABBA. J’appellerais ça le ABBAR, probablement. Si j’étais un terroriste islamiste, ça serait sans doute le AKBAR, avec des deals sur les shooters kamikazes. La bosse des affaires, tu dis.
On n’est jamais à l’abri de s’acheter une maison sur pilotis sur un coup de tête pour faire pousser de la canne à sucre ou ouvrir un bar karaoké exclusivement dédié à ABBA. J’appellerais ça le ABBAR, probablement.
Tout ça pour dire que les jours, les villes et les pays s’égrènent à une vitesse folle. J’écris ce texte évaché dans une chambre d’hôtel à Phnom Penh au Cambodge et nous serons à Hô Chi Minh-Ville, au Vietnam, lorsque URBANIA le publiera, entre trois articles portant sur des personnes non binaires dénonçant le patriarcat. [NDLR On dirait qu’il manque un mot dans ta phrase. Tu voulais bien dire « trois articles pertinents portant (…) » ? C’est bien ça?]
À la demande générale (salut m’man), un bilan-express de mi-parcours s’impose donc naturellement :
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Simone : Elle a tellement perdu de dents qu’elle ressemble à Rocky Balboa après son premier combat contre Apollo Creed. Elle se nourrit exclusivement de sucre, vit pour les piscines d’hôtel, achète compulsivement des robes et s’ennuie d’Amélie, la petite voisine. Elle aura sept ans cette semaine.
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Victor : De garçon timide voire taciturne, le voilà devenu volubile et quasi-téméraire. Il est curieux et s’informe des choses dépaysantes qui l’entourent. Il demeure (très) fatigant dans sa perpétuelle quête de WiFi, sans négliger l’apparition des premiers spasmes de son adolescence, qui nous donnent parfois envie de le jeter dans le Mékong dans un sleeping bag rempli de roches.
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Martine : En plus de porter le pyjama à temps plein, elle réalise à la dure qu’il est plus facile d’enseigner à dix-sept élèves en milieu défavorisé qu’à ses propres enfants, des ingrats paresseux. Son obsession des poux est revenue en force et elle a recommencé à en voir partout. Ma théorie : les poux ont toujours été là, c’est juste que Martine avait arrêté momentanément de leur accorder de l’attention. Bref, si on tente prochainement de vous arracher des larmes avec notre participation familiale au Défi têtes rasés, c’est une diversion.
Pour ma part, je me paye jusqu’ici le trip de ma vie, à jeun la plupart du temps. Bon ok hier, j’ai bu plusieurs Angkor beer avec des retraités québécois sympathiques voyageant avec le Club Aventure, rencontrés à notre hôtel.
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Comme ils habitent au nord du 418 où tout le monde apprend à faire du Ski-Doo avant de marcher, j’ai exagéré ma passion chasse et pêche pour me faire accepter. Je pense qu’ils ont mordu à l’hameçon (ho-ho) puisque j’ai pu étirer ça jusqu’à l’heure des confessions avec le bon Serge, un ex-militaire de Valcartier.
Sans farce, je pratique le carpe diem non ironique pour la toute première fois de ma vie, trop conscient que cet intermède irréel fond à vue d’œil. Si je pouvais, j’appuierais « pause », drette là, sur le remote de mon existence. Quand tu trimballes les personnes les plus importantes en voyage, c’est moins pressant de rentrer.
Bon, à part le fait que je m’exprime désormais uniquement comme Paulo Coelho, je vis aussi un autre changement marquant.
Depuis un mois, je suis en mode avion.
C’est banal, je sais, mais pour moi – un enfant du milieu qui a besoin d’attention – ça constitue un exploit aussi admirable qu’écrire sans fautes pour un sympathisant de la Meute.
C’est banal, je sais, mais pour moi – un enfant du milieu qui a besoin d’attention – ça constitue un exploit aussi admirable qu’écrire sans fautes pour un sympathisant de la Meute.
J’achetais des cartes SIM (notez l’imparfait ici) depuis le début du voyage, pour des raisons logistiques (GPS) ET professionnelles. En effet, j’étais jusqu’à tout récemment en genre de « tournée médiatique », en marge de la sortie de la version anglaise de mon livre sur Walmart. Comme mon anglais est aussi laborieux que le français d’Eugenie Bouchard, ça a donné d’absurdes moments de radio à Cleveland, au Connecticut et peut-être même au Wisconsin. La faute au décalage, une de ces entrevues s’est d’ailleurs déroulée légèrement en état d’ébriété, forçant l’animatrice du show du matin à me demander d’arrêter de dire « shit » en ondes.
Bref, j’avais une carte SIM surtout pour ça, sans compter le WiFi disponible pratiquement partout. La tentation est donc belle d’aller flâner sur FB pendant un long trajet de bus ou en attendant mon manger au boui-boui du coin.
Résultat : j’arrivais à maintenir une vie virtuelle au-dessus de la moyenne malgré douze nuances de fuseaux.
Après la publication de 40 000 photos de la fête nationale bouddhiste à Chiang Mai le mois dernier, ma tante Guylaine m’a écrit en privé pour me conseiller de profiter de mon voyage et de slaquer les réseaux sociaux.
Même si mon premier réflexe a été de me dire « de quoi tu te mêles matante Guylaine viarge! », l’idée que je pouvais être gossant à distance s’est mise à me titiller le lobe frontal.
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Après tout, vous avez eu un hiver de marde avant de subir les pires inondations de l’histoire, sans oublier ce désespérant débat sur la laïcité.
Possible qu’un gros fatigant en camisole avec des tatouages qui vieillissent mal en train de se plaindre de la chaleur avec sa famille aussi cute que bronzée vous inspire des envies de meurtre, me suis-je alors dit.
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Déterminé comme un fumeur qui écrase d’un coup sec, j’ai swipé mon mode avion en me promettant de vous donner un break et de m’en donner un par la même occasion.
Paradoxalement (et c’est là que ça devient TRÈS philosophique), c’est que c’est le moment de ma vie où j’ai le plus envie de partager des photos, des anecdotes, mais aussi celui où j’ai le plus de temps de niaiser sur FB.
Jamais je n’ai autant passé de temps avec les mioches aussi, alors dès que j’ai un peu de lousse le soir, quand tout le monde dort, j’ai juste envie de publier un best of de mes journées, qui regorgent de petites merveilles aussi banales que dépaysantes. Un tuk tuk surchargé, un vendeur de jus derrière son étal, des poules au milieu de la rue, un salon de barbier improvisé dans une ruelle, du badminton random au milieu de la rue au Cambodge, etc.
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Mais bon, jusqu’à nouvel ordre, j’essaye de ne pas polluer vos wall, même que j’absorbe en silence les photos quotidiennes de vos chats, soupers fancy, sans oublier l’album complet de votre longue fin de semaine à New York durant le congé pascal.
Le soir, après une intense journée de mode avion, je me permets néanmoins quelques rechutes sur Instragram. Faut bien que ce voyage existe quelque part quand même.
De toute façon, la vie est bien faite. Comme je n’ai pas vu Avengers, Game of Thrones, aucune solution pour régler tous les maux de la DPJ ni d’opinion sur la succession d’Alain Gravel, je me considère actuellement inapte à fonctionner réseau-socialement au Québec.
Par contre le soir, après une intense journée de mode avion, je me permets néanmoins quelques rechutes sur Instragram. Faut bien que ce voyage existe quelque part quand même.
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Mais je m’efforce de garder pour moi les formidables chutes de Paksé, la traversée à pied de la frontière avec le Cambodge, notre première nuit à Kratie dans une chambre suffocante, les ruines d’Angkor aux aurores, les coquerelles dans la minivan et l’interprétation enthousiaste d’une chanson d’Aznavour avec une famille de Français dans une pizzeria de Siem Reap.
Voilà. Un dossier de réglé.
Pour ce qui est de la portion « voyage » de cette chronique, on vient de traverser le Cambodge en coup de vent et mon père vient nous rejoindre au Vietnam. Selon mon frère, il aurait mis un détecteur de fumée dans ses bagages. Ça promet.
Ah quelques mots sur Phnom Penh, qui nous rappelle vaguement le chaos indien. On a visité aujourd’hui la prison et le site où ont été fusillées et torturées les victimes du régime de Pol Pot. Des histoires à glacer le sang, bonifiées par des audioguides qui ne lésinaient pas sur les détails. « C’est ici, sur cet arbre, que les soldats fracassaient la cervelle des bébés qu’ils tenaient par les jambes. Pour éradiquer la mauvaise herbe, il faut arracher les racines, disait Pol Pot. »
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Les abus des Khmers rouges risquent de me hanter longtemps, mais moins que les Occidentaux vieillissants qui défigurent la capitale en s’adonnant massivement au tourisme sexuel. Je pensais avoir vu le pire à Bangkok, mais ici, tous les bars et restaurants de notre quartier regorgent de ces répugnants spécimens, au bras de jeunes Cambodgiennes.
Au bout d’un moment, ce spectacle finit par enlever du charme à la ville, hélas.
Rien toutefois pour nous empêcher de chérir chaque instant de ce périple, bien sûr. Parce que c’est un peu notre devoir de le faire. Plus qu’un devoir, c’est une obligation.
Pour ceux qui aimeraient être à notre place et ne peuvent pas, pour mes amies séparées qui ne pourraient pas partir plus que deux semaines, pour ma tante Guylaine, pour les gens qu’on croise en voyage qui ne prendront jamais l’avion, pour Charles Plourde, surtout.
On ne le connaissait pas, mais il nous rappelle chaque matin qu’on n’a pas le choix d’en profiter.
En mode avion de préférence.
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