Logo

Éloge du petit soleil ou Comment le Spikeball m’a conquis

Chronique d’une dépendance annoncée.

Par
Jean Bourbeau
Publicité

En cette fragile, mais fébrile période de déconfinement, il serait raisonnable de croire que nous vivons en ce moment même, rien de moins que l’âge d’or du parc public. Il suffit d’une seule balade en début de soirée pour réaliser que ceux-ci n’ont jamais été aussi bondés. La conjoncture corona / canicule / pas-de-sport / pas-de-bar célèbre une nouvelle ère d’épanouissement pour les pâturages urbains. Pour certains, une visite au parc rime avec pique-nique en famille, bronzette ou errance nocturne teintée de flirt naissant, mais pour bien d’autres citadins, c’est l’appel du petit sport.

S’il y a bien une activité qui s’est invitée avec insolence dans ce nouveau paysage montréalais, c’est sans aucun doute l’infâme Spikeball, le champignon des gazons plats.

Publicité

Ces derniers temps, les tables de ping-pong connaissent des files dignes du Dollorama, on entend au loin le claquement du mölkky et la nonchalance des akis. Ça attrape des frisbees, tombe des slacklines, s’initie au badminton, frappe le cochonnet, ça fait du yoga en groupe géant qui donne des airs de prière du vendredi. Bref, le parc d’aujourd’hui est devenu plus que jamais une récréathèque bouillonnante et le domicile à aire ouverte d’une ville assoiffée de divertissement estival. Or, à travers toute cette sueur ludique, s’il y a bien une activité qui s’est invitée avec insolence dans ce nouveau paysage montréalais, c’est sans aucun doute l’infâme Spikeball, le champignon des gazons plats.

Publicité

Je dois l’admettre d’emblée, malgré mon affection pour nombre de petits sports, j’étais l’un de ceux réticents à m’y initier, peut-être étais-je influencé par cette bête hostilité à tout effet de popularité, mais en vérité, je ne comprenais tout simplement pas l’attrait. Ces mains molles autour d’un trampoline niaiseux, ces coups ratés ô combien embarrassants. Aucun parc cred. Je m’aveuglais à sa croissance fulgurante en détournant le regard entre deux gorgées d’une bière devenue plus que tiède. C’est peut-être pour briser la routine ou en raison de mon impossibilité à m’asseoir en indien plus de dix minutes, que sans réel motif, j’ai cédé à débourser les cent patates pour acquérir l’ensemble en plastique cheap. J’ai rejoint les amis et à mon grand dam, la magie insoupçonnée s’est opérée dans l’instantané.

Publicité

Pour les néophytes de la discipline, le roundnet est cet enfant difforme entre le volley et le ping-pong apparu en 1989, puis ayant sombré dans l’oubli jusqu’à sa spectaculaire résurrection par la compagnie américaine Spikeball à la fin des années 2000. À l’instar du Crossfit et du UFC, la marque dominante est devenue le nom populaire du sport. Et avouons-le, Spikeball est plus pétillant en bouche que filet rond. Chez nos voisins du Sud, c’est devenu un mouvement, avec ses milliers d’adeptes et ses tournois de haute voltige. Ici, disons seulement que c’est une question de temps, car la piqûre semble déjà bien implantée.

À l’instar du Crossfit et du UFC, la marque dominante est devenue le nom populaire du sport. Et avouons-le, Spikeball est plus pétillant en bouche que filet rond.

Publicité

Pour tenter d’expliquer son succès, il faut d’abord rendre hommage à sa grande accessibilité; un match ne nécessite que quatre joueurs et un petit lopin de terrain. Les règles sont d’une déconcertante simplicité, la courbe de progression est rapide et n’importe qui peut y participer. De plus, il est possible de picoler sans peur d’échapper son service. C’est en soi facile à pratiquer, mais très relatif au niveau d’expérience de ses rivaux, car si vous êtes de nature compétitive, ça peut vite tourner du rêve au cauchemar. Une partie compte vingt-et-un points et se joue en équipe de deux, et c’est par cet axe partenaire / adversaire que se sublime toute la majesté de l’exercice. Votre duo contre le reste du monde.

Publicité

En effet, sous ses apparences inoffensives, le Spikeball cogne presque aux portes du mysticisme. Il n’est pas rare qu’un affrontement ordinaire, voire banal dérape en un étrange rituel guerrier. Oscillant de la franche camaraderie à la pure intoxication, on nage entre délire de vaincre et l’opium du coup parfait. Ses disciples prennent d’ailleurs des airs de possédés en pleine cérémonie; la langue sortie, tournoyant pieds nus les yeux béants rivés sur cet astre de caoutchouc jaune. La tension se volcanise et devient tôt ou tard, éruption. Les peuples méso-américains vénéraient leur dieu soleil et leur jeu de ballon. On ne réinvente rien au parc Jarry.

Sans blague, sa pratique demande explosivité, dextérité, communication, créativité, précision, force, vitesse, bref tout le QI sportif est sollicité en quelques secondes à peine. Certes, la grâce n’est pas toujours au rendez-vous, mais quiconque a goûté au triomphe d’un long échange reconnaît qu’il y a quelque chose de spécial à l’œuvre. Le temps s’absente, la crispation des corps s’éternise, un plongeon spectaculaire, les cris fusent, les curieux s’arrêtent. Le bonheur est peut-être un état possible.

Publicité

Il ne faudrait omettre qu’en pleine époque covidienne, le Spikeball demeure une délicate transgression aux nouveaux codes de vie collective, car soyons honnête, personne n’y joue masqué et outre le service envoyé à deux mètres du trampoline, la distanciation sociale est abandonnée dès sa réception. Encore moins lorsqu’une engueulade éclate au sujet d’un pocket serré. C’est à vos risques et périls, bien que le duo de cadets avec leurs sifflets est sûrement trop jaloux pour oser venir vous interrompre.

Assis sur un drap mandala, la pandémie semble un peu plus douce tandis que la bière n’est jamais aussi froide qu’après une joute de Spikeball, ce petit sport aussi énigmatique que grandiose.

Publicité

Ainsi va ce début d’été 2020, baigné sous la brise fraîche de l’heure magique, les parcs bercent vers la nuit la faune qu’ils abritent. Les amas de vélo s’accumulent à l’improviste, l’écho d’un haut-parleur s’entend au loin. Assis sur un drap mandala, la pandémie semble un peu plus douce tandis que la bière n’est jamais aussi froide qu’après une joute de Spikeball, ce petit sport aussi énigmatique que grandiose.