Depuis la mort de George Floyd, plusieurs pensées m’obsèdent et mes sentiments se mélangent. Je marche sur des oeufs mentalement. J’ai d’ailleurs attendu plus d’une semaine avant de pitcher ce sujet d’article que vous êtes en train de lire. C’est ma partenaire qui m’a, encore une fois, donné la force de me lancer.
Dans un post Facebook, dans sa langue maternelle, elle a écrit:
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🖤 À toi mon amour pour toujours,
Cette semaine a été déchirante. Je pense aux victimes et à leurs familles chaque jour… mais ça ne suffit pas. Je vais changer ma manière d’agir, pour toujours. La manière dont j’élève notre enfant aussi.
Je suis une alliée! Je me mettrai debout et je m’interposerai! Je parlerai, je gueulerai. J’écouterai quand ils me parleront, je serai pro-active dans mes apprentissages, parce que tu le mérites. Et c’est quelque chose que je veux transmettre à mon enfant dès maintenant! Je dirai à mon enfant – à la peau blanche – qu’elle sera, elle aussi, une alliée, un jour. Qu’elle sera automatiquement privilégiée parce qu’elle sera identifiée comme personne blanche.
Elle apprendra comment se battre et le fera pour ses communautés, pour son donneur, la famille de son donneur (que j’aime et remercie chaque jour), pour celles et ceux qui sont opprimé.e.s et effrayé.e.s. Je vais changer la manière dont je parle des forces de l’ordre à mon enfant. Je vais lui faire savoir que tout le monde n’a pas sa chance. Cela va prendre des années et beaucoup de conversations qui, pour la plupart, seront de bonnes conversations. Elle verra le bon et le beau chez les autres, dans d’autres cultures que la sienne.
Je t’aime!
Si vous le pouvez, svp, donnez au fond GoFundMe pour George Floyd.
Je vous aime
❤️🧡💛💚💙💜🖤
Avant de cliquer sur « publier », elle me l’a lu, « au cas où ».
«Jamais je n’avais encore ressenti le besoin de prononcer ce mot, métisse.»
«Au cas où quoi?», c’est ce que je lui ai répondu avant de lui dire que je trouvais ça parfait. Que j’allais relayer sans rien ajouter car je ne m’en sentais pas encore capable. Et puis le temps a passé et le moment est venu de m’exprimer. Non en tant que personne blanche, mais en tant qu’alliée et parent d’une enfant métisse. Jamais je n’avais encore ressenti le besoin de prononcer ce mot, métisse.
Le 17 juillet 2020, elle aura 2 ans, déjà. Quand on la voit pour la première fois, on remarque sa petite face qu’on a envie de croquer, sa voix de cartoon et ses cheveux hyper frisés. «Hey, mais faut prendre soin de son afro, guys!», nous a lancé tonton Nawej (Joël), son parrain de coeur, originaire du Congo. Il avait raison. Alors on l’a emmenée dans un salon spécialisé pour cheveux frisés et crépus. On n’est pas encore des pros avec ses boucles, mais on se débrouille. On en prend soin pour qu’elle en soit fière.
Au même titre que sa couleur de peau qui, jusque là, n’était d’ailleurs plus un sujet de discussion. Mais ça n’a pas toujours été le cas.
En 2017, quand on a entamé le processus pour une procréation médicalement assistée (PMA) à Montréal (au fantastique Centre de la reproduction du CUSM), on ne savait pas à quoi s’attendre. Après des prises de sang, des tests de fertilité et un entretien psychologique, nous nous sommes retrouvées face à la fameuse banque de sperme. Il fallait alors choisir notre donneur en fonction de critères pré-établis et notamment celui de l’ethnicité. «Ça change quoi ça?», c’est ce que j’ai « naïvement » demandé à ma conjointe avant de choisir de cliquer sur « all ».
C’est qu’à mes yeux, ce critère me paraissait aussi banal et dérisoire que celui de savoir si le donneur portait des lunettes.
Peut-être parce que je suis née en banlieue parisienne à la fin des années 80, que j’ai grandi dans un lotissement où mes ami.es venaient surtout de Guadeloupe ou de Martinique, et qu’au collège/lycée, la majorité de mes camarades avaient la peau noire ou étaient d’origine arabe. J’étais d’ailleurs souvent la seule blanche dans mon groupe d’ami.es. On n’y faisait même plus attention. Qu’importe la couleur, pourvu qu’on se comprenne.
Ce n’était pas le cas de ma conjointe qui, en tant que personne blanche, se posait des tonnes de questions à l’idée de mettre potentiellement un.e enfant de couleur au monde. Je me souviens encore de ma colère lorsqu’un soir de 2017, il a fallu aborder cette discussion en tête-à-tête. Je me souviens de mon coeur qui battait la chamade. « Mais si on ne sait pas comment faire, si on ne sait pas lui apprendre les “bons” codes de “sa” communauté? Si on n’était pas légitimes d’être ses parents? Si en plus d’être victime d’homophobie, il/elle devait aussi faire face à du racisme? On fera quoi, Daisy? Dis-moi.»
Mes nerfs ont lâché. Je ne voulais pas entendre ses doutes ni ses interrogations que je partageais pourtant inconsciemment. «Bullshit. De quoi tu parles? On est des humains, that’s it. Alors oui, il/elle/whatever sera peut-être noir.e/métisse/whatever avec des parents homos, ET ALORS? On va se battre, comme d’hab, on n’est plus à ça près».
«C’est le genre de personne avec laquelle t’as envie de prendre un café.»
On a repris nos esprits, on s’est mises d’accord et on s’est concentrées sur l’humain. Point. «C’est le genre de personne avec laquelle t’as envie de prendre un café. Ah et il est fan d’Harry Potter et son héroïne c’est sa mère. Il ressemble vaguement à Barack Obama. » C’est ce que j’ai dit à ma famille au sujet de notre donneur. «On l’a aussi choisi parce qu’il est “ouvert”, ça veut dire que Cameron pourra le rencontrer à ses 18 ans si elle le souhaite et si elle a des questions à lui poser sur ses origines ou son animal préféré.» C’est tout ce qui comptait réellement.
J’ai encore la gorge nouée en écrivant ces mots. Parce que le sujet est brûlant. Parce que plus que jamais je vais utiliser mon “privilège blanc” pour servir la cause de toutes celles et ceux qui n’auront jamais ma chance. Parce qu’avec mes airs de punk à chien androgyne, je sais ce que ça fait d’être zyeuté. Mais je ne saurai jamais ce que ça fait d’être pris pour cible. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que notre enfant soit le porte-drapeau des diverses communautés qui la constituent. Parce qu’on peut mener plusieurs luttes en même temps, solidairement. Avec tout l’amour et le temps que ça prendra.