L’été dernier, en montant les escaliers roulants du métro Joliette avec ma fille, on est tombées face à face avec un gars, recroquevillé sur un banc, en train de s’insérer une aiguille dans le bras. Comme ça, à la vue de tous, en plein jour. Ma cocotte de 3 ans, obnubilée par les escaliers roulants, ne l’a même pas remarqué, mais ma tête s’est mise à spinner au cas où elle me pose une question. Je sais qu’un jour, la question viendra, et qu’à ce moment, ça sera à moi de trouver les bons mots pour y répondre.
Mais à ce moment-là, la question que j’avais en tête, c’était celle-ci : est-ce que c’est une bonne idée, d’élever ses enfants à Montréal.
Ayant grandi en trifluvie, on jouait dehors après l’école sans se soucier des voitures, les personnes itinérantes étaient plus difficiles à trouver que Charlie et les rues étaient tellement spick and span qu’on aurait dit que Marie Kondo était passée par là. J’aime le joyeux bordel de la métropole, mais aujourd’hui, avec une fille d’âge préscolaire, presque tout ce qui m’a attirée vers la ville est maintenant pour moi une source d’anxiété. Comment réussir à bien accompagner ma cocotte, si je n’ai moi-même jamais passé mon enfance ici?
PLUS DE BANLIEUE EN VILLE?
À 9 ans, je me rendais à l’école seule, à pied. Je traversais deux rues pas très passantes et mes parents dormaient sur leurs deux oreilles. Ma fille ira à l’école primaire à trois pâtés de maisons, et devra traverser la toujours achalandée rue Sherbrooke pour y accéder, et ça me fait faire plus de cauchemars que si je devais dormir entourée de caïmans à Sortez-moi d’ici.
Selon la Société d’Assurance Automobile, 90 % des accidents impliquant un véhicule et des piétons ou cyclistes se déroulent en environnement urbain. Les accidents avec les piétons ont surtout lieu la semaine (81 %), entre 6h et 18h. Et, selon les policiers, le facteur le plus contributif à ces accidents est l’inattention. En tant que piéton, on est constamment à un texto de tomber nez à nez avec un VUS.
D’après le Journal de Montréal, le bilan émis par la SAAQ en juin dernier faisait état de 79 piétons morts en 2022 au Québec. À Montréal, la hausse de ces décès par rapport aux cinq années précédentes est encore pire, atteignant presque 30 %. Ça donne envie d’hiberner chez nous jusqu’à ce que ma fille ait 18 ans.
On se souvient tous de Mariia, la petite ukrainienne qui est morte, percutée par une voiture en se rendant à l’école dans un quartier résidentiel de Ville-Marie.
Ça faisait longtemps que les résidents du quartier trouvaient le coin dangereux pour les enfants, mais malgré leurs plaintes, la ville est restée passive. Pourtant, cette même année, Montréal avait implanté sa politique Vision Zéro, dont l’approche consiste à viser zéro mort ou blessures graves causées par une collision routière. C’est optimiste! (Mais j’avoue que ça paraît mal de viser, disons, 8 décès par année.)
C’est un engagement que la ville veut atteindre d’ici 2040, en repensant les saillies de trottoir et l’aménagement des rues, en contraignant le type de véhicule qui peut y circuler, en facilitant le passage des piétons aux intersections et en réduisant les limites de vitesse. Bref, en insérant un peu de banlieue dans les coins résidentiels de la ville.
On peut observer, sur une carte interactive de Vision Zéro, la carte des collisions et les mesures de sécurisation ayant été prises par la suite pour éviter qu’un autre drame ne se produise. Parmi elles, on trouve bien des avancées de trottoir ou des passages piétons.
IL ÉTAIT UNE FOIS L’ITINÉRANCE
Il existe toutes sortes de personnes en situation d’itinérance : celles qui riment, celles qui jonglent, celles qui quêtent, celles qui rôdent. Les enfants, avec leur grande naïveté, peuvent émettre des commentaires sans aucun filtre. Si ma fille veut savoir : « C’est qui le monsieur qui dort sur des boîtes de carton? », qu’est-ce que je réponds? Est-il trop tôt pour parler d’itinérance à un enfant de 3 ans?
L’itinérance est un phénomène qui a malheureusement pris beaucoup d’ampleur au cours des dernières années. La Presse rapporte que le nombre de personnes en situation d’itinérance a bondi de 44 % au Québec, pour atteindre 10 000. En 2022, le gouvernement du Québec estimait qu’il y avait environ 5 000 personnes en situation d’itinérance visible sur l’île de Montréal. En comparaison, on en comptait 927 à Québec, 664 en Estrie et 454 en Mauricie.
De 2018 à 2022, on constate également une baisse de 20 % de personnes en situation d’itinérance à Montréal, signifiant que l’itinérance se propage en dehors des centres urbains, ce qui n’empêche pas une hausse de 1 033 personnes dans les rues de la métropole au cours de ces cinq années.
Malgré le fait que l’itinérance sorte de plus en plus de la grand-ville, elle y demeure plus nombreuse et très visible.
Tôt ou tard, nos enfants vont nous questionner, et en tant que parents, aussi bien être préparés, peu importe notre code postal.
Selon Mélanie Bilodeau, psychoéducatrice spécialisée en parentalité sécurisante, en petite enfance et autrice de Soyez l’expert de votre tout-petit, on devrait répondre « les vraies affaires, avec des mots d’enfants, bien sûr, et partir ensuite de ses questions, sans trop les devancer. »
À son âge, l’enfant veut juste une réponse simple, mais claire, sans qu’on lui dresse tout le portrait de l’itinérance. « On peut dire qu’il y a des gens qui n’ont pas la chance d’avoir une maison comme nous. On peut leur dire qu’ils sont des itinérants ou des personnes sans domicile fixe. Ils habitent un peu partout, mais n’ont pas une maison à eux », raconte Mélanie.
Pour nous aider à bien leur répondre, on peut aussi se tourner vers la littérature. Il existe quelques albums jeunesse sur le sujet qui peuvent nous aider à trouver les bons mots. Par exemple, La case 144, de Nadine Poirier et Genevièves Desprès.
SO SO SO, SOCIALISER AU PARC
Avoir des enfants en ville est souvent synonyme d’appartement avec balcon, mais pas de cour. Si on a grandi avec des espaces verts clôturés derrière nos maisons, comment peut-on pallier ce manque pour nos enfants? Vont-ils se sentir étouffés entre les murs d’un 4 et demi? Je l’avoue, c’était une de mes craintes, quand j’imaginais la parentalité en ville.
Selon l’INSPQ, les espaces verts relaxent les enfants qui auraient des problèmes de comportement, ou de la difficulté à gérer leurs émotions (je suis à deux doigts de m’installer une maison Bonneville au parc).
L’INSPQ parle même d’une étude espagnole réalisée auprès d’enfants de 9 à 12 ans démontrant que la proximité d’un espace vert à moins de 300 m de la maison joue un rôle dans la santé physique des enfants en diminuant le taux de surpoids de 25 % et le temps passé devant les écrans de 39 % (yé, moins de Cocomelon!!).
Il n’est donc pas primordial de vivre à côté d’une forêt, ou même d’avoir une cour, il suffit de se trouver un peu de verdure et d’en profiter. Là-dessus, la ville de Montréal est gâtée, puisqu’on y dénombre 1495 parcs à travers ses arrondissements. Il ne s’agit peut-être pas de parcs nationaux, mais ils suffisent amplement pour bouger et socialiser. Et s’ils ne sont pas tous à moins de 300 mètres de la maison, avec le réseau de transport en commun de la ville, ils demeurent faciles d’accès.
APPRIVOISER MONTRÉAL
La ville amène son lot de craintes, mais aussi plusieurs avantages qui valent la peine d’être considérés.
Dès son jeune âge, ma fille va évoluer dans ce chaos urbain qui, pour elle, sera la norme. D’ailleurs, mes ami.e.s qui ont grandi à Montréal sont des personnes parfaitement normales et n’ont aucune plainte à formuler sur des manquements quelconque.
Ma chouette, cette jeune citadine, évoluera à travers une panoplie de situations éclectiques, sera en contact avec plusieurs cultures, et des gens les plus différents les uns des autres. Et ma job, en tant que parent, sera de l’accompagner à travers tout ça et il n’appartient qu’à moi de trouver une façon de dormir sur mes deux oreilles.