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Dysmorphie financière : la maladie de la Gen Z et des milléniaux

C’est pas vous, c’est votre perception déformée de vos finances.

Par
Marie-Ève Martel
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Même si elle n’a jamais manqué d’argent, Julie G. craint souvent le jour où ça pourrait lui arriver. Cette peur, même si elle la sait sans fondement, l’empêche de se gâter ou la fait se sentir coupable si elle ose s’offrir quelque chose dont elle n’a pas absolument besoin.

« Je pense toujours au futur, confie-t-elle. Je n’ose pas faire certaines dépenses, au cas où cet achat me ferait manquer d’argent le mois suivant. »

Quelque chose d’irrationnel


La principale intéressée sait pourtant très bien qu’elle n’est pas mal prise. Elle a un emploi stable, des placements pour ses vieux jours – même si elle souhaiterait en avoir davantage – et un réseau prêt à lui venir en aide si nécessaire.

« Je sais que je suis pleine de ressources et que je pourrais me débrouiller si je venais à manquer d’argent. Mais c’est une peur qui m’habite depuis toujours », ajoute celle qui provient d’un milieu modeste, mais qui n’a jamais manqué de rien.

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Comme plusieurs, Julie G. souffre de dysmorphie financière, c’est-à-dire une perception biaisée de sa situation financière qui lui projette un portrait beaucoup plus sombre de son portefeuille qu’il ne l’est en réalité. Ce n’est pas un terme médical menant à un diagnostic, mais une réalité de plus en plus observée dans le contexte inflationniste actuel.

Certaines personnes qui en sont atteintes ont le réflexe de regarder constamment leur compte en banque et s’abstiennent de dépenser. D’autres, au contraire, évitent de vérifier l’état de leurs finances ou jettent de l’argent par les fenêtres.

Sans dépenser de façon irréfléchie, Yanick V. déboursait ce qu’il gagnait au fur et à mesure, sans mettre d’argent de côté. Pire, il s’est endetté « en pensant bien faire », pour remettre de l’ordre dans ses finances. Résultat, il est passé « à deux cheveux de la faillite », il y a une douzaine d’années.

« J’ai pris conscience que, malgré le fait que j’avais le même employeur depuis 15 ans, je n’avais jamais d’argent », relate-t-il.

À force de lectures, de bons conseils et d’efforts, Yanick V. a repris le dessus sur ses finances et a changé ses habitudes financières. « Mais je sais à quel point ça me prend des efforts, confie-t-il. Depuis ce temps-là, je suis beaucoup plus anxieux. Je ne veux pas refaire le même faux pas. »

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Les jeunes plus affectés

À l’image de la cigale et la fourmi, il semble y avoir deux catégories de gens quand on pense à la gestion des finances personnelles, souligne Maxime Gauthier, conseiller financier chez Mérici Services Financiers.

« Il y a ceux qui sont toujours insécures et ceux qui sont trop confiants par rapport à leur avenir financier, détaille-t-il. Forcément, pour eux, il y a toujours une contradiction : soit tu te prives maintenant pour assurer ton avenir financier, soit tu vis maintenant et tu mets cet avenir en danger. C’est difficile pour eux de trouver un équilibre. »

Une étude réalisée aux États-Unis par Credit Karma indique que 41% des milléniaux (génération Y) et 43% des membres de la génération Z considèrent être atteints de dysmorphie financière, comparativement à 25% des X et 14% des baby-boomers.

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« En caricaturant un peu, parce qu’il ne faut pas généraliser, on remarque que la génération [des baby-boomers] a peur de manquer d’argent. La génération X, c’est tout le contraire : ça dépense! relève Maxime Gauthier. Mais les Y et les Z, on constate qu’ils sont vraiment plus anxieux et plus stressés par leurs finances, et cela se manifeste de manières qu’on ne voit pas chez les personnes plus âgées. »

Vous l’aurez peut-être deviné : dans les situations décrites plus haut, Julie G. est une milléniale et Yanick V. est un X.

En plus, 59% de ceux qui se croient « en retard » financièrement n’ont aucune raison de s’inquiéter; plusieurs ont un revenu régulier et même des dizaines de milliers de dollars en épargne.

Compte tenu que l’indice des prix à la consommation a connu une hausse inégalée de 6,8% en 2022, précédée d’une augmentation de 3,4% en 2021 et suivie d’une autre de 3,9% en 2023, et que l’accès à la propriété est à son pire niveau depuis près de 35 ans, il n’est pas étonnant que plusieurs personnes craignent de ne plus arriver à joindre les deux bouts d’ici peu.

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Cette anxiété se traduit notamment par un sentiment d’impuissance et du pessimisme. « Les plus jeunes voient les changements climatiques, les guerres et les autres problèmes dans le monde et se demandent si ça vaut la peine de penser au futur », témoigne le conseiller financier.

« Ils vont dire : ‘’Je veux bien placer de l’argent dans un REER ou un CELIAPP, mais est-ce que je vais avoir réellement les moyens de m’acheter une maison ou de fonder une famille comme j’en rêve? ‘’ », ajoute Maxime Gauthier.

Le piège des réseaux sociaux

La dysmorphie financière tiendrait pour origine l’obsession de devenir riche. Une moyenne de 45% des milléniaux et des Z se disent « obnubilés » par cet objectif, révèle l’enquête de Credit Karma. D’ailleurs, quand on s’attarde à ceux et celles qui souffrent de dysphorie financière, la richesse en obsède 54% alors que ce n’est le cas que de 12% de ceux qui n’en sont pas atteints.

Beaucoup de gens se sentent plus pauvres qu’ils ne le sont réellement entre autres parce qu’ils se comparent avec des influenceurs qui font étalage de leur richesse sur les réseaux sociaux.

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Pas besoin des écrans, toutefois, pour ressentir cette angoisse. « Je me compare parfois à des collègues un peu plus expérimentés que moi, et je finis toujours par me dire qu’à mon âge, je devrais avoir mis plus de côté, que je devrais être mieux placée », témoigne Julie G.

Mais cette quête de richesse instantanée peut aussi plutôt entraîner des dépenses impromptues. À cet effet, un sondage de Bankrate indique que 48% des Américains ont déjà fait un achat impulsif attribuable à une publication sur les réseaux sociaux, les précipitant dans un cycle d’endettement, motivés par le désir de porter des vêtements griffés, de conduire une voiture de luxe ou de voyager aux quatre coins du globe, comme ceux pour qui cela semble si facile en ligne.

Plus souvent qu’autrement, il s’agit d’une illusion qu’il ne faut surtout pas prendre pour du cash.

« La richesse ostentatoire ne signifie pas que les gens sont réellement riches, prévient Maxime Gauthier. La plupart de ceux qu’on voit sur les réseaux sociaux, se sont soit endettés pour avoir ce train de vie luxueux, soit dépensent tous leurs revenus au fur et à mesure pour maintenir leur vie somptuaire. Il n’y a pas d’accumulation de richesse ou de patrimoine, à moins qu’ils aient gagné au loto, hérité ou fait un gros coup d’argent. »

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Un plan pour savoir où on se situe

Question d’atténuer l’anxiété causée par la dysmorphie financière, Maxime Gauthier recommande de prendre rendez-vous avec un conseiller financier.

« Un plan, c’est rationnel, c’est cartésien. C’est une bonne façon de se sortir de la roue de l’anxiété », avance le professionnel, qui suggère toutefois de bien choisir son conseiller ou sa conseillère.

C’est en faisant le portrait de ses finances qu’on peut voir si on est sur la bonne voie pour un futur sans tracas ou s’il est temps de commencer à épargner pour ses vieux jours.

« Ce qui aide, c’est d’avoir un plan crédible, simple et facile à comprendre, avance Maxime Gauthier. Ça permet de gérer les insécurités et de se discipliner pour essayer d’éviter les écarts.»