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Du client-roi à l’employé-roi: la petite séduction du recrutement

Comment les entreprises s’adaptent à la pénurie de main-d’œuvre.

Par
Hugo Meunier
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S’il fallait jadis convaincre un employeur de nous donner une chance de nous faire valoir, c’est exactement le contraire qui se passe actuellement, à l’heure où la pénurie de main-d’œuvre donne aux travailleurs l’embarras du choix.

J’en ai d’ailleurs moi-même fait la démonstration la semaine dernière en publiant une petite enquête consistant à abandonner des CV dans tous les commerces où j’apercevais une offre d’emploi placardée bien en évidence dans la vitrine, entre chez moi et le quartier général d’URBANIA.

J’ai droppé une trentaine de candidatures sur 5,5 kilomètres de distance, pour ensuite recevoir sept demandes d’entrevues en l’espace d’une semaine.

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Résultat : j’ai droppé une trentaine de candidatures sur 5,5 kilomètres de distance, pour ensuite recevoir sept demandes d’entrevues en l’espace d’une semaine.

Le Québec compte, à l’heure actuelle, autour de 140 000 postes à combler, selon les derniers chiffres fournis par Statistique Canada. C’est deux fois plus qu’en 2016. Et quand vient le temps de recruter, les employeurs d’aujourd’hui doivent transformer leur processus d’embauche en campagne de séduction.

C’est le cas dans pratiquement tous les secteurs économiques, dont le commerce au détail (surtout dans le secteur alimentaire ), un milieu durement éprouvé par la pénurie, constate le directeur des affaires publiques et gouvernementales à l’Association des détaillants en alimentation du Québec, Stéphane Lacasse, aux premières loges pour témoigner des besoins criants à travers la province.

  1. Lacasse explique que le rôle d’être attrayant et de faire preuve de flexibilité incombe désormais à l’employeur. « Disons que les jeunes ont un beau rôle, celui de pouvoir négocier », note M. Lacasse, refusant toutefois de dire que les employés de la nouvelle génération sont « dans la ouate ». « Tout le monde ferait pareil à leur place, moi le premier », admet-il.
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Metro : profession recruteur

Plus important employeur privé du Québec avec 60 000 travailleurs (et 30 000 autres en Ontario), la compagnie Metro est aussi happée de plein fouet par la pénurie. « À peu près tous les détaillants recrutent, c’est du jamais vu! », avoue sans détour Michel Turner, le directeur principal, gestion des talents et développement organisationnel.

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« Il y a quelques années, on n’osait pas trop afficher des postes, tellement on recevait de CV chaque fois », ajoute M. Turner, montrant du doigt, à l’instar d’à peu près tout le monde, le facteur démographique pour expliquer la situation.

« Les gens ont le choix alors, comme employeur, on doit travailler beaucoup au niveau de la rétention », souligne Michel Turner, qui dit offrir des conditions salariales très compétitives à ses employés syndiqués.

« Aujourd’hui, les gens ne se font plus mettre dehors. Quand ils ne sont pas contents, ils partent. Ça force les employeurs à être meilleurs. »

Outre les étudiants qui ne veulent pas travailler trop d’heures, il constate aussi que plusieurs employés plus âgés souhaitent plus de flexibilité dans leur horaire. « On étudie l’option de permettre l’échange de quarts de travail », admet M. Turner, qui travaille d’arrache-pied à la recherche de solutions pour dénouer l’impasse. « Aujourd’hui, les gens ne se font plus mettre dehors. Quand ils ne sont pas contents, ils partent. Ça force les employeurs à être meilleurs », croit M. Turner.

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D’autres secteurs touchés par la pénurie, notamment la restauration, optent pour la réduction des heures de travail pour atténuer les dégâts.

Une avenue étudiée actuellement dans le milieu de l’alimentation, mais pas à n’importe quel prix, explique Michel Turner. « La priorité est de servir le client, mais si un mouvement se dessine, on va se tenir à l’affût », résume-t-il.

Pour Stéphane Lacasse de l’Association des détaillants en alimentation du Québec, un tel mouvement serait possible seulement si toutes les bannières emboîtent le pas en même temps.

« Si Super C ferme à 19h, ce n’est pas correct de laisser IGA fermer à 22h, par exemple. Tout le monde doit faire le move ensemble », résume-t-il.

En plus des raisons démographiques, d’autres facteurs peuvent expliquer la situation, notamment les NEEF, ces jeunes âgés de 15 à 29 ans qui bouderaient mystérieusement le marché du travail par centaines de milliers.

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« Les jeunes travaillent moins, voyagent plus et habitent plus longtemps chez leurs parents », observe Stéphane Lacasse.

Quelques chiffres

Une chose semble au moins certaine : le milieu du travail devra s’armer de patience.

Plus de 1,4 million de postes seront à pourvoir dans une foule de domaines de compétences au Québec d’ici 2026.

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Selon des chiffres obtenus auprès du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, plus de 1,4 million de postes seront à pourvoir dans une foule de domaines de compétences au Québec d’ici 2026.

À l’heure actuelle, les besoins sont criants dans pratiquement tous les domaines, mais le ministère a recensé six secteurs d’activités où plus de 10 000 postes sont vacants : la fabrication (19 395), les soins de santé et de l’assistance sociale (18 985), le commerce au détail (16 480), les services d’hébergement et de restauration (16 285), les services professionnels, scientifiques et techniques (10 165), ainsi que les services administratifs, les services de soutien, les services de gestion des déchets et les services d’assainissement (10 545).

Depuis un an, le nombre de postes vacants a augmenté dans pratiquement toutes les régions administratives du Québec.

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Depuis un an, le nombre de postes vacants a augmenté dans pratiquement toutes les régions administratives du Québec, à commencer par Laval, qui a vu le nombre d’emplois vacants bondir de 45%.

Les postes pour lesquels aucune scolarité n’était demandée affichaient toujours la plus forte proportion (34,6 %) de l’ensemble de postes demandés.

Pas étonnant que j’ai eu autant de succès dans les endroits où j’ai appliqué, avec mon CV falsifié sur lequel apparaissait une scolarité de niveau collégial. Et pratiquement tous les emplois disponibles concernaient la vente au détail, un secteur où la demande de main-d’œuvre est très forte.

J’ai donc senti plusieurs fois – à l’instar des employés d’aujourd’hui – que j’avais le bon bout du bâton et que je pouvais commencer à travailler dès que je le souhaitais.

Si plusieurs employeurs semblaient pressés d’engager, je ne sais pas s’ils étaient toutefois prêts à négocier mon salaire. La plupart me proposaient le minimum, avec un maximum d’heures.

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Seul l’avenir dira si la forte demande aura un effet positif sur les salaires et les conditions de travail des employés ou si elle rendra simplement plus facile l’accessibilité à des jobines.