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Distilleries: est-ce que ç’a valu la peine de fabriquer du gel désinfectant?

Quand «pivoter» n'est pas seulement une question d'argent.

Par
Gabrielle Tremblay-Baillargeon
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La capacité à se revirer de bord rapidement, c’est un peu l’un des facteurs make or break d’une entreprise. C’est pourquoi plusieurs ont pivoté pour se lancer dans la fabrication de masques ou de gel désinfectant au début de la pandémie au printemps dernier.

Mais maintenant que tout le monde en fait, est-ce que ç’a vraiment valu la peine?

On a demandé à deux distilleries d’ici quoi en penser.

Marquer l’histoire

En mars dernier, la distillerie Grand Dérangement n’existait même pas encore réellement. Dans la municipalité de Saint-Jacques, dans Lanaudière, leur usine de production était en plein chantier. «On était vraiment à l’arrêt. On s’est retrouvés sans travailleurs, et ça posait problème parce que ça jouait sur nos échéanciers», raconte Jean-Benoît Landry, directeur communications marketing de l’entreprise. Qu’à cela ne tienne, l’équipe de Grand Dérangement contacte son député et la MRC pour faire d’une pierre deux coups. Le deal, c’était «aidez-nous à faire en sorte qu’on puisse terminer la construction et l’installation de la distillerie, et nous, on s’engage à produire de l’alcool pour faire du désinfectant», poursuit Jean-Benoît.

«On avait de la misère à fournir. C’était déjà trop pour nous: on travaillait la nuit!»

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Grâce à des permissions spéciales obtenues en un temps record, l’entreprise a pu s’installer ultra rapidement dans leurs tout nouveaux locaux afin de débuter la production. Deux mois plus tard, à la mi-mai, une première livraison de 2400 litres d’alcool 90% est envoyée à la pharmaceutique québécoise Galenova, qui s’occupe de transformer le produit en gel désinfectant. «À un certain moment, les demandes de la pharmaceutique étaient très élevées et on avait de la misère à fournir. C’était déjà trop pour nous: on travaillait la nuit!», raconte Jean-Benoît. Tout ça, c’est sans compter la ribambelle de problèmes techniques que l’utilisation de nouveaux équipements amène, et qu’il a fallu gérer sans affecter la rapidité de la production.

À ce moment-là, on le devine, le projet était avantageux financièrement: la pénurie d’alcool 90% favorisait une hausse des prix du produit et la demande était très élevée. Pourtant, au fil des semaines, le marché s’est développé alors que la pénurie, elle, tirait à sa fin. «Au mois de juin, la Chine est arrivée avec de l’alcool à très bas prix. On n’était plus compétitifs», affirme Jean-Benoît. Au total, la distillerie aura tout de même écoulé 10 000 litres d’alcool, ce qui équivaut à 30 000 bouteilles de fort de 700 ml. De quoi faire un gros party!

Avec le recul, est-ce que ça a valu la peine? Oui.

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Avec le recul, est-ce que ça a valu la peine? Oui. «On était contents de sentir qu’on a fait notre part dans l’effort collectif et que notre produit aille chez une entreprise québécoise. Notre premier produit de l’histoire de la distillerie va avoir été de l’alcool pour désinfectant!», résume le directeur. Le déconfinement aura permis à Grand Dérangement de commencer à brasser son premier produit, dont la sortie était prévue à l’été, mais qu’on pourra plutôt attraper en SAQ au mois de novembre — juste à temps pour Noël!

La cause avant tout

«On ne va pas se mentir, les distilleries, ce n’est pas un service essentiel. Dans les SAQ, nos produits étaient de plus en plus en demande, mais demain matin, s’il n’y a plus de gin sur les tablettes, tu peux encore vivre ta vie!», rigole Francis Bluteau, cofondateur et PDG de Blue Pearl Distillerie, installée dans Hochelaga-Maisonneuve à Montréal depuis deux ans. Au mois de mars, alors que la pandémie frappe de plein fouet l’industrie, l’équipe de Francis décide de mettre l’épaule à la roue et de fabriquer de l’alcool aseptisant dans son usine de production en utilisant ses rebuts d’alcool rejetés par la fabrication de son produit vedette, le gin Bleu Royal. «Avec l’assouplissement qu’il y a eu pendant la COVID, on a pu obtenir une licence du gouvernement en seulement quelques semaines. Il y a eu un travail collectif qui s’est fait au sein des distilleries, certaines ont défriché énormément pour qu’on y arrive», relate Francis.

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Fin mars, leur désinfectant en main (sans mauvais jeu de mots), Blue Pearl Distillerie fait le choix d’en donner une partie aux premiers répondants de l’est de Montréal (ambulanciers, intervenants sociaux, pompiers) et d’en vendre une autre sur le site web du dragon François Lambert, un entrepreneur avec qui ils avaient déjà établi une bonne relation avant la pandémie.

Ouin, mais financièrement, donner son produit, ce n’est pas un peu contre-productif?

Ouin, mais financièrement, donner son produit, ce n’est pas un peu contre-productif? «On a décidé de mettre de côté une portion des désinfectants pour les vendre au lieu de juste les donner, et au final, c’était la bonne décision à prendre. Ça a fait en sorte qu’on n’a pas eu à arrêter complètement nos opérations», résume Francis. Le fait que la production de gin ait complètement cessé durant deux mois a aussi aidé à occuper le temps des employés de la distillerie. Il faut dire que Blue Pearl était en plein déménagement au printemps dernier, un projet qui a dû être mis sur la glace en attendant le déconfinement partiel du mois de juin. Heureusement, l’entreprise avait suffisamment de stock en banque pour fournir les demandes croissantes de la SAQ sans tomber en rupture. Comme quoi prévoir ses inventaires, c’est toujours une bonne idée!

«C’est le genre de projet qui nous sort de notre zone de confort, et en bout de ligne, c’est ce qui fait qu’on aime notre job.»

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5000 litres de désinfectant plus tard, la production de gin a repris en prévision des Fêtes. Aujourd’hui, Francis Bluteau garde un bon souvenir de son virage «gel», pertes financières ou pas. «Je me sens chanceux d’avoir eu l’opportunité de faire une différence, aussi minime qu’elle puisse être. C’est le genre de projet qui nous sort de notre zone de confort, et en bout de ligne, c’est ce qui fait qu’on aime notre job», conclut-il.