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Devenir viral avant même de se lancer en affaires
Tous les entrepreneurs vous le diront: se lancer en affaires, c’est un peu comme sauter d’un avion sans savoir si le parachute va se déployer.
Mais parfois, le parachute s’ouvre plus vite que prévu et le vent se met à souffler de votre côté. Très rapidement et très fort.
Devenir viral avant même d’avoir livré un seul item? Ça arrive. Et même si un succès aussi rapide est le rêve de plusieurs entrepreneurs, ça vient avec son lot de défis.
Qu’est-ce qui arrive quand des centaines, voire des milliers de clients attendent votre produit avant même que votre compagnie soit complètement aboutie?
Chronique de ces business construites en plein vol.
L’urgence de se lancer
C’est ce qui est arrivé à Philippe Langlois et Gabriel Gouveia. Ils jonglaient avec l’idée de démarrer une entreprise d’accessoires d’hiver fabriqués avec de la fibre d’asclépiade depuis des années. Sauf qu’une mitaine isolée avec une plante connue par plusieurs comme une mauvaise herbe, ce n’est pas un produit super convenu, disons.
«On a mis une allumette pour voir ce qui allait se passer et c’est parti en feu.»
Est-ce que les gens achèteraient ça?
Les deux amis ont décidé de tâter le terrain en exposant leur idée de compagnie sur les réseaux sociaux avec un lien vers un site web où les internautes intéressés pouvaient entrer leur adresse courriel en vue d’une future prévente.
«On a mis une allumette pour voir ce qui allait se passer et c’est parti en feu», m’explique Philippe. En quelques semaines, ils ont amassé plus de 6500 courriels.
Lasclay était née.
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La publication mise en ligne à la fin septembre a depuis été partagée plus de 4000 fois. «Le 1er septembre, on n’avait pas de page Facebook, pas de site web, pas d’adresse courriel», m’avoue Gabriel. «L’intérêt est organique. Nous on a fait une publication Facebook au début, c’est tout.»
L’idée c’était surtout de diminuer le risque. De voir si ça valait la peine d’investir temps et argent dans ce produit. «Dès qu’on a parti ça, on savait qu’on allait mettre le moins d’argent possible pour vérifier qu’il y avait bien un intérêt.»
Les deux néo-entrepreneurs s’étonnent encore de l’engouement pour un produit aussi niché, et surtout, sur lequel il restait toujours du travail à faire.
«Je pesais sur refresh et je voyais les commandes qui montaient. On a atteint l’objectif en trois heures.»
«On ne s’attendait pas à ça. On pensait faire peut-être une centaine de mitaines pour notre entourage et peut-être l’année prochaine développer ça plus sérieusement. Mais finalement, il faut être sérieux, là», me dit Philippe en riant.
Quand le succès cogne à la porte
«La première journée, ça a été un peu fou», me raconte Samuel Lemire Dupont. Sa conjointe Jenny Essiambre et lui ont lancé leur entreprise d’applicateurs de déodorant réutilisables, Kiima, sur Kickstarter l’année dernière, en pleine pandémie.
«Quand on a planifié notre lancement, on avait prévu de louer des kiosques dans les centres d’achat. C’est un produit d’odeurs, donc c’était important pour nous de le faire sentir. Mais en ce moment, c’est juste impossible de tendre la main aux gens. Donc on s’est mis sur les réseaux sociaux.»
«Voir que les gens embarquent? C’est hot comme sentiment.»
Une solution payante: leur campagne de sociofinancement a carrément explosé et dépassé les résultats espérés. «Je pesais sur refresh et je voyais les commandes qui montaient. On a atteint l’objectif en trois heures.» Sur un premier objectif de 6500 dollars, ils en ont obtenu 87 000.
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Qu’est-ce qu’on fait quand on espérait récolter un p’tit montant pour se partir en affaires et qu’on en reçoit 13 fois plus?
Ç’a été soulagement, d’abord, pour le duo qui avait passé plus d’un an et demi à rêver d’un produit sans savoir si des gens voudraient éventuellement l’acheter. Maintenant, la réponse était claire.
En clignant des yeux, on vient de passer d’une idée pas tout à fait ficelée à une entreprise qui a des milliers de clients.
Aujourd’hui, plus de 1400 personnes attendent leur applicateur Kiima. «Moi j’utilise mon produit et je trippe. C’est sûr que tu te dis, “je ne dois pas être le seul”. Mais de voir que les gens embarquent? C’est hot comme sentiment», raconte l’entrepreneur.
Samuel a encore de la difficulté à concevoir qu’autant de gens ont eu confiance en leur projet si tôt et ont, encore plus, décidé d’investir de leurs propres poches pour le rendre possible. «Pour nous c’est incroyable. On ne l’oubliera jamais. C’est des consommateurs qui se sont mouillés avec nous dès le départ».
La partie difficile
Mais après l’effervescence du succès quasi instantané, vient le moment où on réalise toute l’ampleur de la tâche à accomplir. Parce qu’en clignant des yeux, on vient de passer d’une idée pas tout à fait ficelée à une entreprise qui a des milliers de clients. Cue le feeling de vertige.
Xavier Piec, un des fondateurs de SmartHalo, le GPS intelligent pour cycliste urbain, se rappelle encore du sentiment enivrant qui vient avec le fait de voir son idée d’entreprise devenir virale du jour au lendemain.
«Ce n’est plus juste un projet, tout à coup il faut le livrer à plein de gens.»
Il y a quelques années, SmartHalo a fait l’histoire en pilotant une des campagnes de sociofinancement ayant connu le plus de succès au Québec: les entrepreneurs ont récolté plus d’un million de dollars canadiens en seulement 30 jours.
«Au début, c’est super cool, m’explique Xavier qui a pris un peu de recul depuis. Mais ça fait un peu peur quand même. Ce n’est plus juste un projet, tout à coup il faut le livrer à plein de gens.»
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Parce qu’au-delà de confirmer l’intérêt du marché et d’obtenir du financement, les plateformes de sociofinancement comme Kickstarter ont ceci de particulier: les utilisateurs qui y contribuent monétairement s’attendent à recevoir un produit en retour (ce qui n’arrive cependant pas toujours).
«Notre premier prototype était loin d’être prêt. Quand on a mis une date initiale pour la livraison, on était sûr que c’était en masse, me raconte l’entrepreneur en riant. Finalement, on s’est rendu compte que de faire le prototype initial, ça c’est la partie facile. Mais le faire à grande échelle, c’est ça qui est dur.»
Au moment de créer la campagne Kickstarter, les gars de SmartHalo comptaient livrer leurs premiers produits en mai. Puis en septembre, puis en février et finalement en mars. Perfectionner leur gadget leur aura pris pas mal plus de temps que prévu. Et après, il fallait aussi manufacturer et livrer des milliers de produits (25 000 au final).
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«C’est sûr que [quand il y a des retards] les gens sont déçus. Mais les gens qui choisissent d’appuyer un projet sont quand même conscients: ce qu’on achète avec Kickstarter c’est aussi participer à une aventure», explique Xavier.
Ils ont donc tenu au courant leurs clients fréquemment, via un blogue, de l’évolution de la production: «on raconte une histoire, on doit expliquer nos embûches et communiquer avec les gens.»
Les contraintes de l’élan
À la fin octobre, Gabriel et Philippe de Lasclay prévoyaient vendre et distribuer entre 600 et 2000 paires de mitaines pour cet hiver. «On se laisse voir, précise Gabriel. Est-ce que les gens vont en vouloir après Noël? Est-ce que notre fournisseur va être capable de fournir? On est vraiment flexible et on veut pouvoir se retourner de bord facilement».
On le sait, c’est rare que les choses se passent comme prévu en affaires. On a beau avoir un plan pour le meilleur et pour le pire, il faut s’adapter. Et parfois, ça veut même dire brûler des étapes de croissance.
Par exemple, Gabriel et Philippe ont dû dénicher un plus gros fournisseur capable de combler leurs besoins. 6500 personnes qui manifestent de l’intérêt, ça change la game.
Le créateur de Kiima, Samuel Dupont, ressent quant à lui une pression supplémentaire: les clients qui se sont investis avec eux sur Kickstarter ont déjà déboursé de l’argent. «Notre focus numéro un, c’est de livrer le meilleur produit possible et de le faire dans les temps», me dit-il.
Il admet que la charge de travail pour arriver à leur objectif, magnifié par l’intérêt des consommateurs, est immense. «On est une petite équipe. Par exemple, il n’y a personne aux communications donc c’est moi qui réponds à chaque message.»
«L’approche d’essayer de vendre un produit avant qu’il soit complété, c’est bon en affaires.»
Ces commentaires, ce sont ses clients qui attendent avec impatience l’arrivée de leur applicateur. «On ne contrôle pas tout et on n’a pas l’expérience, donc on le sait qu’il va y avoir des trucs à améliorer, mais pour l’instant on essaie de faire le meilleur produit possible», m’explique Samuel, qui dit vouloir livrer la marchandise, mais sans tourner les coins ronds.
Xavier de SmartHalo a la preuve, des années plus tard, que de faire goûter à une entreprise avant même d’en avoir attaché toutes les ficelles, c’est un pari payant. «Dans tous les stades de développement, il faut parler au client. Parce que la pire chose qui peut arriver, c’est de développer un produit qui, au final, n’intéresse personne.»
«Dans tous les cas, l’approche d’essayer de vendre un produit avant qu’il soit complété, c’est bon en affaires», conclut Xavier.