Devenir parent alors que sa situation financière est loin d’être parfaite, un bon calcul? J’ai posé la question à trois mères qui ont fait ce choix pour savoir ce qu’elles en retiennent.
Katia tombe enceinte de son premier enfant à 17 ans, pendant son secondaire 5, Catherine à 19 ans, alors qu’il lui reste deux sessions de cégep à compléter, et Marine à 31 ans, pendant une mission humanitaire au Pérou. Aucune ne l’a prévu, et toutes sont dans une situation financière précaire. L’argent n’est, toutefois, jamais au centre de leurs réflexions lorsqu’il s’agit de choisir de poursuivre la grossesse.
« Je n’avais vraiment pas une cenne, se souvient Catherine. J’étais partie de chez mes parents à 16 ans, et je n’avais pas d’économies. » L’étudiante est déjà séparée du père au moment où elle découvre sa grossesse, et décide de devenir mère sans attendre de soutien de sa part. « Je me sentais prête à avoir un enfant », raconte celle qui s’est lancée dans la maternité en étant maman solo. Aujourd’hui, un tiers des familles québécoises sont monoparentales, et 74 % d’entre elles ont une femme à leur tête.*
Du côté de Katia et de son copain, l’opposition ferme et unanime de leurs parents respectifs ne parvient pas à les faire changer d’avis. « Mes parents ont menacé de me mettre à la porte, et j’ai été renvoyée de mon école privée catholique », témoigne la récipiendaire de nombreux prix d’excellence scolaire. Pour s’en sortir, les adolescents comptent sur l’aide sociale perçue par Katia, ensuite scolarisée dans un établissement pour mères adolescentes, et le salaire de son conjoint, qui a interrompu ses études pour travailler à temps plein.
« C’est la magie d’avoir 17 ans, tu as l’impression que tout va être facile », dit Katia avec humour.
Au Québec, moins de 10 % des familles vivent sous le seuil de la mesure du faible revenu (MFR). En 2021, il se situait à 41 613$ après impôts pour les familles monoparentales, et 48 050$ pour une famille formée d’un couple et de deux enfants. Le pourcentage des familles monoparentales à se trouver en dessous du seuil du MFR était 22,7 %, contre 5,3 % des familles comprenant un couple.**
« La question principale pour moi, c’était de savoir si j’étais prête à élever un enfant avec un père qui n’était pas encore établi au Québec », raconte Marine. En effet, le père de son enfant, un Péruvien, vit toujours dans son pays d’origine lorsqu’elle découvre sa grossesse à son retour à Montréal. De plus, elle n’a pas encore retrouvé d’emploi, mais sait que ce ne sera pas compliqué, car elle est travailleuse sociale.
Compter sur la communauté
« Je suis une personne particulièrement débrouillarde et j’ai un bon réseau », explique Marine. De plus, du fait de son métier, elle sait comment avoir accès à des services et profiter d’activités gratuites.
L’entourage et les organismes communautaires constituent, en effet, les deux piliers sur lesquels se sont appuyés nos trois témoins pendant leur grossesse, mais aussi après. « Il faut connaître les ressources de son quartier, car elles deviennent un filet social si on n’a pas d’aide de la famille », insiste Katia, qui regrette d’ailleurs que l’information ne soit pas plus facile à trouver.
« Ça serait le fun que le gouvernement fasse la liste des organismes en périnatalité par quartier quand on s’inscrit sur Ma Grossesse. Ça simplifierait beaucoup les choses. »
Dans le cadre de sa dernière grossesse, survenue à la fin de sa trentaine dans des conditions particulièrement difficiles, Katia s’est tournée vers la Maison Bleue où elle reçoit des vêtements pour bébé, des couches lavables et une aide alimentaire. Catherine, elle, bénéficie des conseils de S.O.S. Grossesse pour s’assurer d’y arriver financièrement avec ses prêts et bourses. À ce sujet, en 2024, un étudiant peut recevoir jusqu’à 280$ par mois pour chaque personne qu’il a à sa charge, en plus de sa bourse d’études à temps plein.
« J’ai su que je pouvais avoir un troisième enfant en faisant le calcul de l’Allocation famille sur le site du gouvernement », ajoute Katia. Au Québec, le montant de l’Allocation famille peut s’élever jusqu’à 2923$ par année pour chaque enfant et les familles monoparentales peuvent recevoir jusqu’à 1026$ de plus par enfant. L’allocation canadienne pour enfants (ACE), quant à elle, peut atteindre 7 787$ par an pour chaque enfant de moins de six ans, et 6 570$ pour ceux de six à dix-sept ans.
Heureux avec peu
Par la suite, les trois mères ont continué d’agrandir leurs familles sans pour autant avoir de meilleurs revenus. « Avec mon conjoint, on ne voyait pas à court ou moyen terme quand on allait avoir plus d’argent, alors pour quelle raison attendre? », explique Catherine, devenue mère pour la deuxième fois pendant sa maîtrise. « Beaucoup de gens attendent d’avoir de l’argent pour avoir des enfants, mais la vie, c’est aussi d’en arracher par moment », complète Marine. « Ce n’est pas ça qui va nécessairement créer de la détresse chez un enfant. »
« Le seul moment où j’ai vraiment été frustrée, triste et même honteuse de ma situation, c’est quand mon fils aîné a voulu être gardien au hockey et qu’il aurait fallu acheter de l’équipement neuf, ce qui n’était pas envisageable », se remémore Catherine.
Ses enfants étant maintenant adultes, elle peut déclarer, avec un peu de recul qu’« il ne faut pas trop faire de projections. Les enfants s’en foutent des grandes maisons, des jouets neufs. Ce sont nos aspirations à nous d’avoir une auto, de partir en voyage. »
Katia ajoute que l’argent dépensé pour élever un enfant dépend finalement beaucoup des choix des parents. « Oui il y a des coûts, mais tu as le choix de choisir de l’habiller avec des vêtements de marque ou pas, de le nourrir de filet mignon tous les soirs ou pas. » Bien qu’elle fasse très attention à ses dépenses, la quadragénaire précise n’avoir aucune place pour l’imprévu dans son budget. « S’il fallait que je remplace des électros, il faudrait que je sois bien chanceuse pour avoir de l’aide, et il m’arrive d’emprunter de l’argent à des proches pour acheter des médicaments non couverts par la RAMQ pour mon fils. L’argent est maintenant une source de stress, et je m’ennuie parfois de l’insouciance de mes 17 ans », conclut-elle.
*Les données proviennent du recensement de 2021.