LogoSponsor

Des raffineries aux fourneaux : l’épopée DIY de Simon de l’Est

« Y’a un resto à vendre à Tétreaultville. T'embarques-tu? »

Par
Jean Bourbeau
Publicité

Pour ceux et celles dont la vie ne gravite pas autour du cheeseburger, Simon Jodoin-Bouchard, dit Simon de l’Est, détient depuis deux ans le titre officieux du roi de la boulette à Montréal, du moins de l’autre bord d’la 25. L’ancien champion de compétitions de barbecue est derrière des projets d’épices et de sauces à succès, mais compte aussi deux livres à sa plume et autant de restaurants à gérer.

Il va sans dire, l’huile de coude semble son ingrédient préféré.

Construire le feu

Je m’assois avec le Tétreaultvillois d’origine dans son tout nouvel établissement, Le Bellerive, une buvette raffinée ouverte un peu plus tôt cette année à l’adresse même où jadis, il fut livreur pour la défunte pizzeria Donato.

Publicité

Je l’interroge sur son titre professionnel. « Entrepreneur ou restaurateur, ok, pas vraiment le choix, mais je refuse que l’on m’appelle “chef”. Je n’avais jamais travaillé dans une cuisine de ma vie avant d’ouvrir Chez Simon. J’ai tout appris sur YouTube », admet-il sans aucune gêne.

Le parcours du restaurateur de 39 ans est pour le moins atypique. Sans diplôme secondaire, il punch in à 16 ans dans un grand centre de distribution à Montréal-Est. « Une job d’entrepôt payée à chauffer des lifts. »

Publicité

Comme plusieurs jeunes hommes durant sa vingtaine, il bourlingue tout en rêvant d’ouvrir son propre bar. « C’était des paroles en l’air, assume-t-il aujourd’hui. J’avais pas une calisse de cenne et je hustlais pour arriver à la fin de chaque mois. »

Début trentaine, il développe dans sa cuisine à temps perdu des recettes de sauces et ses propres mélanges d’épices en amont de grandes compétitions américaines de barbecue auxquelles il participe. « Je faisais ça pour le fun, à une époque où il n’y avait pas beaucoup de produits intéressants sur la scène locale. Quand j’ai commercialisé ma première ligne de sauce S.J.B. – que l’on reconnaît à ses initiales –, toute la vague BBQ a déferlé sur le Québec et je me suis retrouvé dans plusieurs points de vente. »

Publicité

À 35 ans, il punch out de l’entrepôt où il aura œuvré plus de la moitié de sa vie pour un nouvel emploi qui n’aboutit pas. « Du jour au lendemain, je me ramasse avec fuck all. Je sais faire quoi, moi, à part des sauces? Je pensais vendre mon duplex quand un ami m’a parlé des raffineries. »

Au pied des sinistres cheminées qui percent l’horizon de l’Est, Simon se retrouve au Mordor de l’Île. « Il fallait que je travaille, peu importe si c’était de jour, de nuit, de fin de semaine. J’ai passé le jour de l’an dans un p’tit crisse de bureau. J’pensais me gunner. »

Publicité

Malgré les pépins, les sauces S.J.B. lui offrent un petit extra qui reste trop maigre pour devenir son propre boss. Le poids des raffineries commence à peser, il lui faut un plan. « J’allais m’effondrer », se souvient-il.

Il quitte l’industrie pétrolière pour se faire conseiller dans une microbrasserie. « C’était pas mal plus le fun, mais chaque soir, quand les lumières s’éteignaient, je me posais mille questions sur mon avenir. »

Si une bonne étoile existe, même pour celui qui se considère comme un malchanceux en série, elle brille enfin quand les ventes de S.J.B. explose grâce au travail d’un nouveau distributeur. Non seulement son chiffre d’affaires est doublé, mais une période pandémique encourageant l’achat local aide à le gonfler à nouveau. Ses petites économies prennent lentement du coffre.

À l’automne 2020, il marche devant un local abandonné, 8517 rue Hochelaga, tout près de chez lui. L’idée s’installe, l’envie bourgeonne.

Publicité

Sans expérience de gestion autre que celle que les sauces et la shop lui ont inculquée, il convainc un ami d’investir avec lui. En 48 heures, les négociations sont terminées, tout est signé. Simon est propriétaire d’un restaurant.

« Le courant va mener le bateau, lance-t-il, riant de la naïveté qui l’habitait. On a tout monté en un mois, en plein couvre-feu. Quand on a ouvert, mes poches étaient vides. »

Mais dès le premier jour, une longue file s’étire devant la façade de Chez Simon Cantine Urbaine. Le scénario se répète le lendemain et le surlendemain, « Line up, line up, line up, chaque jour. Crisse! Ça marche », s’étonne-t-il après quelques semaines dans le jus.

Publicité

Mettre Tétreaultville sur la mappe

Le menu compte des choix de poutines, de hot-dogs et surtout, des smashburgers. Un burger dont la galette est écrasée sur une plaque à feu vif pour créer une fine croûte sans perdre de son onctuosité intérieure. Une technique à la popularité croissante chez nos voisins du Sud qui tardait à traverser la frontière.

Depuis, l’adresse fait figure d’incontournable dans l’itinéraire des gourmands de la province. Les pèlerins de partout s’arrêtent dorénavant dans le quartier natal de Simon pour savourer son plat signature.

Publicité

« Le smash est une mode, mais une bonne réputation est plus dure à tuer. J’aimerais que Chez Simon devienne une institution qui traverse les années. La ville ne va pas arrêter de manger des poutines du jour au lendemain et notre trio, eh bien, il coûte pas très cher », soutient l’auteur de Burger et Le Barbecue pour les nuls.

En regardant l’offre de ses établissements, force est de constater qu’il tente de ne pas se faire complice de la gentrification ambiante, mais plutôt d’offrir un produit accessible tout en soufflant un vent de fraîcheur sur cet écosystème du « Far Est » à la diversité limitée et aux tavernes remplies le premier du mois.

Publicité

Simon estime d’ailleurs que si un facteur joue contre le rayonnement de ses établissements, c’est justement leurs positions sur la carte. « Les jeunes du coin préfèrent travailler et sortir sur le Plateau, je ne les blâme pas, mais ce quartier-là, moi, il est cher à mon cœur. Tétreauville, c’est le skatepark avec les chums, mon premier batte, mon premier appart, le bord de l’eau. C’est toute ma vie, je ne suis jamais vraiment parti. »

Si Chez Simon est un casse-croûte bruyant avec l’effervescence typique des lieux populaires, Le Bellerive se veut complémentaire avec une offre plus tamisée sertie de cocktails et de plats à partager. Les deux adresses ne sont séparées que par 500 mètres sur la même artère.

Publicité

L’entrepreneur concède que faire des affaires dans cette partie de l’île demeure un défi. « On ne se le cachera pas, le quartier demeure assez pauvre, mais il y a beaucoup de jeunes qui restent parce que c’est encore abordable. Y’a une offre qui se développe tranquillement et on veut en faire partie. »

Sailin’ On chantaient les Bad Brains

Je lui demande si son futur passera par une conquête de l’Ouest. « Pas pour l’instant! Ce que je me souhaite avant tout, ce serait d’un jour pouvoir me dire : “Eille, tu peux prendre un break, t’sais, pouvoir voyager sans penser que tes business vont s’effondrer.” Ça fait des années que je grind des heures de fou sans être capable de m’asseoir pour de vrai. J’imagine que c’est ça, ma définition du succès, atteindre la liberté de pouvoir décrocher. Mais je travaille là-dessus. »

Publicité

Le récit de cet autodidacte n’est certes pas un long fleuve tranquille, mais révèle une fière réussite Do it yourself pour un ancien de la scène punk hardcore. Un heureux mélange d’intuition, de manches retroussées et de témérité.

Et qu’est-ce que tu dirais au Simon coincé dans les raffineries? « “Lâche pas, man. Crois-y.” Parce que fuck, à ce moment-là, j’en menais calissement pas large. »

Comme quoi les rêves, parfois, arrivent. Simon l’a enfin, son bar.

Publicité