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Démocratiser le génie chez les jeunes filles en milieux défavorisés

Parcourir le Québec pour partager sa passion.

Par
Émilie Demers-Morin
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Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré les sciences. Enfant, je pouvais passer des heures à analyser des plantes, à essayer pratiquement toutes les expériences des Petits Débrouillards ou encore à essayer de comprendre comment un mécanisme fonctionnait.

Lorsque je me suis questionnée sur mon futur métier, le domaine scientifique m’est apparu comme une évidence. Je devais seulement réfléchir vers quel aspect de la science je voulais orienter ma carrière. Ça n’a pas été facile, mais j’ai décidé de me diriger vers le génie biotechnologique. Je voulais comprendre et créer.

J’ai rapidement frappé un mur. Lorsque j’ai parlé de mon choix de carrière avec des adultes accomplis dans le domaine, ils ont vite fait de ralentir mes ardeurs : « Tu es certaine que tu veux aller en génie? Il me semble que je te verrais plus comme infirmière? Je ne pense pas que tu as ce qu’il faut pour le génie. »

Malheureusement, ces paroles m’ont tellement atteinte que j’ai effectivement choisi un autre chemin. J’ai fait un baccalauréat en psychologie. J’ai adoré ça, mais tout au long de mon parcours scolaire j’ai eu l’impression qu’il me manquait quelque chose. Je me suis donc arrêtée et j’ai pensé. Je me suis demandée pourquoi ces professionnels du milieu m’avaient conseillé de ne pas poursuivre en génie? Pourquoi mon ami, lui, n’avait pas eu ce genre de commentaires? Qu’avions-nous de différent? Et c’est là que j’ai compris. J’étais une femme.

Une vocation aussi féminine que masculine

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Ce déclic m’a donné une poussée d’adrénaline. Je me suis inscrite à l’École de technologie supérieure(ÉTS) en génie électrique et je me suis promise de montrer que les filles ont les mêmes capacités que les garçons. Je me suis aussi jurée d’aider les plus jeunes à ne pas avoir peur d’explorer les métiers dont ils rêvent, malgré les stéréotypes de genre.

Dès mon arrivée à l’ÉTS, je me suis impliquée. J’ai commencé par joindre Chinook, le club étudiant scientifique qui a pour but de construire la voiture éolienne avec «la plus grande efficacité possible avec comme seul carburant l’énergie d’un vent de face». Je voulais améliorer mes aspects techniques afin de me démarquer. Même si dans la génération qui me suit, les stéréotypes de genre sont moins notables, une femme doit vraiment faire sa place en génie. Être dans un club étudiant m’aidait à avoir plus confiance en moi, une qualité non-négligeable lorsque qu’on est la seule fille dans ses classes.

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J’ai ensuite joint le club étudiant S.O.N.I.A qui œuvre à concevoir un sous-marin autonome. Il n’y a pas de manettes qui le contrôlent. Il doit se promener seul dans l’eau et accomplir diverses tâches. En plus de continuer à m’améliorer ma technique, j’ai commencé à faire de la gestion d’équipe.

Transmettre sa passion

Lors de ma deuxième année chez S.O.N.I.A., un ami et moi avons décidé de partir notre propre projet. Nous voulions aller dans les écoles primaires pour expliquer la robotique aux jeunes qui sont dans des milieux éloignés ou défavorisés. C’est en Gaspésie que tout a commencé.

Chaque fois, nous présentons trois volets aux étudiants. Premièrement, nous expliquons les différents aspects de la robotique aux jeunes. Il y a l’aspect mécanique, donc construire le sous-marin, l’aspect électrique qui donne de l’énergie et fait fonctionner le bolide et l’aspect logiciel qui donne l’intelligence au sous-marin.

Nous poursuivons en expliquant le lien indéniable entre le projet et la persévérance scolaire. Nous prenons notre projet de sous-marin comme exemple, mais le but est de leur faire comprendre que c’est normal que l’école ne soit pas toujours facile. Par contre, en participant à un projet que nous aimons, cela aide à ne pas lâcher. Nous abordons aussi l’entraide et le respect entre collègues.

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Et je termine en m’adressant aux filles pour leur parler des différentes activités auxquelles je participe afin pour promouvoir la place des femmes en sciences. Je prends la peine de leur parler devant les garçons, car je crois qu’il est important de ne pas les diviser et de leur faire comprendre qu’on est sur le même pied d’égalité.

Une initiative qui fait école

Ce projet a beaucoup résonné. Nous avons réussi à voir environ 2500 élèves l’an passé et continuons sur notre lancée cette année. La plupart ne savaient même pas ce qu’était le génie! Mon plus beau feedback a été celui d’une étudiante qui faisait partie d’un club de robotique à son école. Puisqu’elle était la seule fille dans son club, elle voulait arrêter. Notre présentation lui a donné le petit kick nécessaire pour continuer et montrer ce dont elle est capable.

J’ai reçu plusieurs cartes aussi de remerciements faites à la main par les élèves et beaucoup de parents mentionnent l’engouement pour la science que nous avons créé chez leurs enfants lors des rencontres avec les professeurs. Nous essayons aussi de créer un sentiment d’appartenance avec le projet. Nous leur faisons signer une affiche avec des mots d’encouragement. Nous appelons ces affiches notre porte-bonheur. Nous amenons celles-ci en compétition qui se déroule à San Diego chaque année et nous prenons des photos. En leur renvoyant les photos, nous créons un sentiment d’inclusion dans le projet. Les jeunes écoutent notre compétition sur internet et regardent même comment construire un sous-marin voulant en réaliser un eux-mêmes. Voyant que nos présentations avaient un impact indéniable dans la vie des jeunes plus défavorisés, l’organisme Ingénieurs sans frontières Québec(ISFQ) est venu à moi pour qu’on s’adresse conjointement aux jeunes vivant dans les milieux éloignés.

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J’entame donc un nouveau chapitre, le projet SIVUMUARNIK, qui signifie aller de l’avant en inuktitut. L’initiative consiste à émerveiller, motiver et développer l’intérêt des étudiants inuits du Nunavik aux domaines des sciences et du génie. Le but est de connecter avec les jeunes du secondaire par des projets inspirants et accessibles liés à la robotique tout en misant sur l’importance de la persévérance scolaire.

Le taux de scolarisation au secondaire est de 26% au Nunavik. Notre équipe veut donc à accroître leur motivation et développer leur désire d’innover. Peu de projets similaires sont réalisés pour les étudiants inuits. Je suis consciente que nous ne vivons pas la même réalité. C’est pourquoi, cette année, je vais mettre mes efforts, avec ISFQ, sur le développement d’une présentation qui prend en compte leurs enjeux. Cette étape est la plus importante.

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Notre but est de monter une présentation qui sera en mesure d’interpeller les jeunes. Nous voulons aussi leur présenter les perspectives de carrières liées au génie. Ces jeunes auront ensuite tous les outils pour redonner à leur communauté en travaillant au Nunavik. Présentement, vu le bas taux de scolarisation, ce sont des gens de l’extérieur qui remplisse les emplois. À l’automne 2020, j’irai présenter la robotique dans deux écoles.

Ce n’est que le début de mes initiatives en ce sens. Je veux continuer. Mon but est que tout le monde ait la chance de pouvoir accomplir ce qu’ils aiment. Lors de mes présentations j’espère que, même si les enfants n’ont pas été interpellés par la robotique, qu’ils voient comment c’est important d’être passionnés par notre futur métier.