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Décoloniser l’université

Place aux communautés autochtones à l’UQAT.

Par
Violette Cantin
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Les voix des communautés autochtones trouvent de plus en plus d’écho dans notre société, et le milieu universitaire ne fait pas exception. Malgré tout, beaucoup de travail reste à faire pour rendre les campus accessibles et accueillants aux personnes autochtones, tant au sein du corps professoral qu’étudiant. Une institution qui se démarque particulièrement en ce sens est l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Ses nombreuses initiatives la positionnent comme cheffe de file en matière d’études autochtones au Québec.

Il est possible que vous ne soyez même pas au courant de l’existence de l’UQAT (je vous vois, ma gang de montréalocentristes). Pourtant, cette université gagne à être connue. En plus, l’Abitibi est une région magnifique – la rumeur court qu’on y trouve de très jolies mines.

Innover par la recherche

Une initiative notable de l’UQAT en termes d’inclusion des savoirs est la création de l’Unité mixte de recherche en études autochtones en collaboration avec l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

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La professeure adjointe à l’INRS Nancy Wiscutie-Crépeau est membre de l’unité et se réjouit de son existence. « On veut créer des partenariats entre différentes communautés, former des étudiants à la recherche et s’assurer d’impliquer les autochtones dans le processus », explique-t-elle.

Il faut dire que le milieu de l’enseignement supérieur n’échappe pas au colonialisme et au racisme, et qu’à l’image de la société dont il fait partie, une solide introspection est de mise afin d’y inclure comme il se doit les communautés longtemps marginalisées. Selon Mme Wiscutie-Crépeau, la recherche a trop souvent mis de côté les savoirs autochtones par le passé.

« Notre manière de mener le processus de recherche peut amener du changement dans la société ainsi que des relations plus équilibrées », soutient la chercheuse. Elle croit aussi que cette manière de faire de la recherche pourrait « faire connaître des réalités souvent méconnues et biaisées par des interprétations eurocentrées ».

« Eurocentré », voilà un excellent mot à servir dans vos soupers de Noël quand votre mononcle un peu ivre décidera qu’il a envie d’expliquer pourquoi il ne croit pas au racisme systémique. On note.

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Les barrières de la langue

L’unité mixte de recherche dont fait partie Mme Wiscutie-Crépeau se penche sur toutes sortes de questions concernant les communautés autochtones, y compris les langues. « La réussite des enfants autochtones est mesurée en anglais ou en français au lieu de leur langue natale », déplore-t-elle.

Ces biais pénalisent forcément les élèves : « On occulte souvent les façons de parler qui découlent des langues autochtones parce qu’elles ne correspondent pas au français standard. J’ai moi-même ressenti ces biais : ma mère est allée au pensionnat et elle nous a appris le français. »

Ce ne sont donc pas uniquement les universités qui devraient s’interroger à savoir comment elles peuvent mieux s’adapter à ces communautés. L’ensemble du système scolaire devrait se soumettre à cette remise en question.

De retour en Abitibi

Au campus de Val-d’Or de l’UQAT, les initiatives sont nombreuses pour favoriser l’inclusion des étudiant.e.s autochtones. L’école d’études autochtones a été créée en 2016 et offre certains programmes uniquement aux étudiant.e.s inuits ou issu.e.s des Premières Nations.

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« Nous offrons un programme de gouvernance en anglais à de jeunes leaders cris », explique Francis Lévesque, directeur du module en études autochtones. Il regrette néanmoins que depuis la pandémie, plusieurs étudiant.e.s suivent leurs cours de la maison, ce qui fait qu’il y en a beaucoup moins sur le campus. « C’est un peu plus difficile de travailler sur l’intégration dans ce contexte », souligne-t-il.

En contact étroit avec les communautés autochtones du fait de sa proximité géographique avec plusieurs d’entre elles, l’UQAT a même adapté son calendrier. « Chaque année, on donne une semaine de congé aux étudiants et étudiantes autochtones entre la session d’hiver et celle d’été pour qu’ils et elles retournent à la maison et puissent aller chasser », se réjouit M. Lévesque. Cette tradition nommée le Goose Break dure depuis plus de 15 ans à l’UQAT.

Direction le Grand Nord

Une autre initiative intéressante de l’UQAT est celle d’aller directement à la rencontre des Inuits pour leur offrir des programmes de formation. « On forme les Inuits à devenir des enseignantes [ce sont toutes des femmes]. C’est un programme de cogestion et de co-enseignement entre des professeurs de l’UQAT et des enseignants d’écoles dans le Nord », explique Véronique Paul, professeure à l’Unité de recherche, de formation et de développement en éducation en milieu autochtone.

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Les Inuits qui suivent ce programme ont la possibilité d’obtenir un baccalauréat par cumul dans le but d’enseigner dans leur langue. Les professeur.e.s de l’UQAT se rendent dans le Nord deux fois par année pour des sessions intensives de trois à quatre jours. « Ça prend plusieurs années avant d’obtenir le bac, mais nos étudiantes inuits sont des femmes extraordinaires », évoque Véronique Paul.

Espérons que cette volonté d’inclure les communautés autochtones dans les universités québécoises n’ira qu’en se solidifiant dans les prochaines années. Même dans les grandes universités, certaines initiatives en ce sens ont récemment vu le jour.

Par exemple, depuis cette année, le programme de journalisme de l’Université du Québec à Montréal offre deux bourses pour étudiant.e.s autochtones au baccalauréat en journalisme. Un stage à Radio-Canada accompagne la bourse, et une première récipiendaire l’a obtenue cet automne.

Les possibilités pour favoriser les autochtones à l’université ne manquent pas. Mais une forte volonté décoloniale de la part des universités sera nécessaire dans les prochaines années pour que ces initiatives ne soient pas que des velléités, mais des actions concrètes.

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