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Dans les coulisses de la vente d’une start-up à $60 millions
Le 29 juillet 2021, Étienne Mérineau était en chaussettes lorsqu’il signait le contrat avec lequel il cédait son bébé Heyday au géant de la gestion de réseaux sociaux Hootsuite. Dans ce scénario, il n’y a ni complet-cravate ni baie vitrée donnant sur des gratte-ciel miroitants. L’entrepreneur de 33 ans était chez lui en chemise Polo.
Le moment le plus fatidique de sa carrière professionnelle ne ressemblait en rien à ce qu’il s’était imaginé.
Le hasard fait bien les choses
Tout semblait indiquer que le jeune Montréalais ferait sa vie dans la publicité, comme son père. Élevé sur les plateaux de tournage, il était concepteur-rédacteur dans les meilleures agences avant même de finir son bac. Puis crise existentielle à 26 ans. «J’avais l’impression de suivre le chemin de quelqu’un d’autre».
Un cours d’entrepreneuriat du MIT est venu renverser l’échiquier. Il démissionne de l’agence de publicité, survit de piges qu’il effectue dans des food courts du centre-ville et s’intéresse de plus en plus à l’intelligence artificielle.
Quatre ans plus tard, la start-up de chatbots conversationnels Heyday aura levé 8,5 millions de dollars en investissements et comptera 80 employés.
En avril 2016, l’application Messenger donne accès à son interface aux développeurs et la révolution des chatbots, ces gentils robots conversationnels qui répondent à vos questions avec une pertinence qui laisse parfois à désirer, est lancée. «La pub, c’est un monologue, une interruption où on dit quoi faire au consommateur.» Dans la rencontre du marketing, de la messagerie et de l’intelligence artificielle, Étienne voit la possibilité de passer du monologue au dialogue. Il se rend à New York pour une rencontre d’ingénieurs et décroche ses premiers contrats en IA: écrire des textes de robot.
Il rédige en plus des articles sur la pertinence d’humaniser les chatbots et, en quelques mois, ce sont les clients qui le cherchent.
C’est en sortant du travail un après-midi d’hiver de 2017 qu’Étienne Mérineau tombe sur un ancien ami qui l’invite à occuper un espace vacant à son bureau. Ses nouveaux voisins d’îlot? Trois ingénieurs qui, eux aussi, sont là temporairement et qui, ô coïncidence, cherchent à démarrer leur entreprise dans l’industrie conversationnelle.
C’est ainsi que Steve Desjarlais, David Bordeleau, Hugues Rousseau et Étienne Mérineau fondent Heyday.ai quelques mois plus tard. Les dés sont lancés. Quatre ans plus tard, la start-up de chatbots conversationnels Heyday aura levé 8,5 millions de dollars en investissements et comptera 80 employés.
Deal or no deal
Dans le monde des start-ups, c’est un décollage réussi. Étienne évoque d’ailleurs les premières timides offres d’achat, notamment des États-Unis, «mais on préférait que la compagnie reste au Canada», dit-il.
Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils se munissent d’une équipe de négociation béton, dont un banquier d’affaires «qui n’en était pas à son premier rodéo».
Ce n’est que cette année que les associés ont commencé à envisager la Vancouvéroise Hootsuite comme partenaire et à échanger avec l’acheteur potentiel par visioconférence.
Les quatre têtes de Heyday ont dû garder un profil bas durant les mois de négociations. «C’est un manège à la Ronde: chaque détail peut faire avorter la transaction», raconte Étienne. Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils se munissent d’une équipe de négociation béton, dont un banquier d’affaires «qui n’en était pas à son premier rodéo». Pendant que ce dernier s’occupait des détails, Étienne et un de ses associés assuraient le relai entre la vision d’entreprise et la transaction, et les deux autres cofondateurs dirigeaient la compagnie en mode business as usual.
Et puis arrive le 28 juillet, le jour J où Étienne doit conclure l’entente qui transfère Heyday à son acheteur vancouvérois. Il fait entorse à son code vestimentaire plutôt relax habituel et enfile un veston pour l’occasion, mais de nouveaux obstacles reportent la signature au lendemain.
Le 29, il revient en Polo et en short et là, bingo. 60 millions de dollars changent de mains, la propriété de l’entreprise Heyday aussi. «Le veston m’a jinxé», blague-t-il.
Fêter sans fêter
Mais même lors des plus spectaculaires opportunités, la pandémie nous prive de confettis. Pas de martini ni de scotch, pas de stylo Montblanc ni de billet pour Hawaii. La signature du contrat s’est faite par échange de courriels. «Ça a été 48 heures de signature électronique de fichiers PDF.»
Pas de martini ni de scotch, pas de stylo Montblanc ni de billet pour Hawaii. La signature du contrat s’est faite par échange de courriels.
«C’était pas comme un coït interrompu, mais presque, illustre Étienne. Ça fait drôle de vivre quelque chose d’aussi énorme sans effervescence, sans être dans un lieu désigné avec les personnes concernées».
Mais pas le temps d’être déçu. Entre la signature et l’annonce officielle, il faut livrer la nouvelle aux 80 employés actionnaires et calmer les appréhensions: leurs emplois sont maintenus, ils deviennent actionnaires de Hootsuite, Heyday reste à Montréal. «Les gens sont humains, il fallait les rassurer un à un que ceci ne les mettait aucunement en danger. Au contraire, Heyday a ouvert 25 nouveaux postes depuis qu’elle a été rachetée.»
En guise de célébration, un pique-nique avec les employés au parc Jeanne-Mance. «On est loin des partys du Loup de Wall Street», rigole l’entrepreneur.
Sur un ton plus sérieux, il réfléchit à ce qu’il a appris au travers de ce parcours: prendre des risques, se jeter sans filet et construire ses ailes avant de toucher le sol, comme on dit dans le milieu. «Et rester en vie. Le secret de la Caramilk c’est de survivre assez longtemps pour mettre les chances de ton côté et arriver à ton momentum.»