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D’amis d’enfance à chefs de file du podcast : l’histoire du Studio SF
Si on vous demande de penser à un podcast québécois (ou balado, si vous êtes fidèle à l’OQLF), Sans filtre, Sexe Oral ou encore Jay Du Temple discute font probablement partie des premiers noms qui vous viennent en tête. Mais qu’ont-ils en commun, à part le fait de compter parmi les podcasts les plus écoutés de la province? Ce sont toutes des productions du Studio SF.
Comment s’y prend-on pour donner naissance à des podcasts qui comptent parmi les plus appréciés des Québécois.es? J’ai décidé de percer le mystère en allant directement poser la question aux cofondateurs de l’entreprise, PH Cantin et Doum Plante.
Des précurseurs au Québec
Dans le quartier Saint-Henri, l’ancestrale bâtisse industrielle qui abrite les locaux du Studio SF doit probablement dégager de bonnes ondes : il s’agit d’une ancienne usine de RCA Victor, une maison de disque qui a, notamment, produit Elvis Presley et Bob Dylan. Un musée du nom d’Emile Berliner, qui n’est autre que l’inventeur du microphone, se trouve désormais dans ce lieu mythique.
La gloire centenaire de cette adresse ne semble, toutefois, pas vraiment responsable du succès actuel de l’entreprise. La capacité de PH et de Doum à regarder vers l’avenir serait même davantage imputable à leur réussite. En effet, alors qu’au Québec, le secteur du podcast en était encore à ses premiers balbutiements, l’idée de créer le leur a germé dans la tête des deux amis d’enfance. Le podcast Sans Filtre a ainsi vu le jour en 2018.
« Au début de Sans Filtre, on aimait beaucoup Joe Rogan*, parce qu’il avait des conversations sans montage avec du monde de tous les horizons », explique PH. « C’était autant des épisodes avec des scientifiques sur des sujets très précis, que des épisodes dans lesquels il recevait des amis », complète Doum.
Les acolytes s’inspirent également de l’écosystème bouillonnant des États-Unis, où un modèle d’affaires émerge avec les réseaux de podcasts comme Headgum ou The Ringer Podcast Network. « C’était inspirant de voir que tous ces projets se nourrissaient et créaient une sorte d’incubateur d’idées qui grossissait tranquillement », se remémore PH.
De Sans Filtre au Studio SF
Après plus d’un an à enregistrer leurs épisodes dans la cuisine de PH, les coanimateurs décident de viser plus haut. « On voulait se professionnaliser, se trouver un local pour le faire, s’acheter un meilleur équipement… », explique Doum. Pour rentabiliser ces investissements, l’aventure du Sans Filtre Podcast se mue en un projet plus large : le Studio SF, qui propose à la fois la location d’espaces d’enregistrement, et la production de podcasts originaux.
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« Il n’y avait pas vraiment d’espace dédié au balado au Québec, se remémore PH. Si tu voulais en enregistrer un, tu t’arrangeais pour trouver ton équipement en plus de t’occuper de tout l’aspect technique, ce qui est quand même complexe. On a donc tout de suite commencé à avoir des locations quand on a lancé ce service. » À l’époque, 1 h d’enregistrement se monnayait 75 $.
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Entre-temps, les cofondateurs se font proposer la production de projets, comme Elles parlent, animé par Léa Clermont-Dion. Ils imaginent également des concepts et approchent plusieurs personnes pour leur proposer de les incarner. De là naîtront, entre autres, Jay Du Temple discute et Le temps d’un jujube. Contacter Lysandre Nadeau pour lui proposer d’animer un podcast sur la sexualité, alors que le sujet n’est encore que très peu traité au format audio, est un autre de leurs gros coups.
« Encore aujourd’hui, Sexe Oral est le plus grand succès du studio SF », explique Doum. « Il compte parmi les podcasts les plus écoutés au Québec, avec plus d’un million d’écoutes par mois. »
Prendre des risques et les monétiser
La capacité du Studio SF à sentir les tendances émergentes et à concrétiser les projets rapidement est parmi ses plus grandes forces.
« La raison pour laquelle on a réussi à faire tout ça, c’est qu’on n’a pas attendu », affirme PH. À l’époque, aucune entreprise n’était prête à commanditer un podcast sur certains sujets sensibles, comme la sexualité. « On a vraiment mis la charrue devant les bœufs, en termes de production, parce que si on avait attendu d’avoir un budget pour lancer Sexe Oral, on serait passés à côté d’un timing assez important. Si on avait attendu, quelqu’un d’autre l’aurait fait avant nous », résume-t-il.
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La prise de risque aura été payante : la demande de commandites excède désormais l’offre pour des podcasts comme Sexe Oral, ce qui a permis au studio d’augmenter ses tarifs. Les petites entreprises qui commanditaient les productions à leurs débuts ont donc laissé leur place à de plus gros joueurs. « Ce n’est pas une question d’avarice, juste d’offre et de demande », clarifie PH.
« On est rendus à un niveau de production qui engendre des coûts, donc on n’a pas le choix de monétiser nos contenus », expliquent les cofondateurs.
La rentabilité des podcasts les plus performants permet ainsi au Studio SF de réinvestir leurs profits pour développer de nouveaux projets et de continuer à prendre des risques. « Souvent, on prend d’abord le risque de lancer le projet, puis on s’organise pour le monétiser ensuite », précise Doum. En effet, pour vendre de l’espace publicitaire, il faut pouvoir fournir des cotes d’écoute précises ou des informations sur le public atteint. « Si on lance un projet, c’est parce qu’on croit qu’il peut marcher, mais on ne saura jamais avant sa concrétisation l’impact qu’il va réellement avoir », explique-t-il.
*Ne faites pas le saut, la vedette du podcast n’était à l’époque pas encore connue pour ses propos controversés.