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Course aux stages en droit : les Hunger Games universitaires?

Mythes et réalités sur ce processus de sélection intense.

Par
Violette Cantin
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Quand on pense à la course aux stages dans les facultés universitaires de droit, on pense à des gosses de riche en suit qui s’enfilent quelques lignes de coke avant d’aller parader au cabinet d’avocats de tonton. Ok, ce n’est peut-être pas l’image qui vous vient spontanément en tête, mais que voulez-vous, j’ai lu Royal de Jean-Philippe Baril Guérard.

Reste que la course aux stages, c’est un peu plus multidimensionnel que la description que vous venez de lire.

Ça mange quoi en hiver?

Des consignes très précises réglementent la course aux stages. Seul.e.s les étudiant.e.s de deuxième et troisième année peuvent y participer. Leur CV et leur lettre de motivation doivent être déposés sur un portail afin d’appliquer pour un stage chez l’un des 30 grands cabinets participants. Toutes les premières entrevues ont lieu la même semaine, et la plupart des cabinets font généralement deux entrevues et un ultime cocktail qui sert de sélection finale.

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Il y a ensuite une période qui se nomme le blackout, pendant laquelle aucun cabinet ne peut communiquer avec les candidat.e.s. Puis, un matin à partir de 9 h, les cabinets appellent les candidat.e.s pour émettre leurs offres de stages. Bref, la course aux stages, c’est comme un souper d’élimination à OD, mais vraiment plus corpo.

Mythe no 1 : la compétition malsaine

Évidemment, la course aux stages, c’est compétitif. Mais pas au point de devenir malsain, selon Florence Tardif, vice-présidente au développement de carrière de l’Association étudiante en droit à l’Université de Montréal (UdeM). « C’est moins compétitif que ce que je croyais, il n’y a pas de backstabbing. Mais c’est sûr que tout le monde veut se surpasser », explique l’étudiante de troisième année qui a obtenu un stage chez McCarthy Tétrault.

L’étudiante à l’Université d’Ottawa Aurélie Verreault abonde dans le même sens. « Mon amie et moi, on a appliqué aux mêmes cabinets, et ça ne nous empêchait pas de pratiquer nos entrevues ensemble le soir », explique cette étudiante de troisième année qui a obtenu un stage aux bureaux du Cabinet Langlois à Québec.

Reality check no 1 : la pression sociale

Après investigation, il semble clair que les étudiant.e.s en droit ne vivent pas dans un monde digne de Gossip Girl. Mais une pression sociale subsiste en ce qui a trait à la course aux stages. C’est du moins l’opinion d’Émilie* (prénom fictif). Cette étudiante de deuxième année à l’UdeM a décidé qu’elle ne ferait pas la course aux stages.

«Parfois, j’ai l’impression que les gens veulent juste faire la course aux stages pour être applaudis.»

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« Dans les premières années au sein d’un grand cabinet, il faut travailler un très grand nombre d’heures par semaine. Est-ce que je vois cette charge de travail émotionnelle et mentale comme bénéfique? Non. Je préfère sortir de l’université en me concentrant sur mes priorités et en ayant une vie équilibrée », explique-t-elle.

Émilie explique que le corps professoral et la direction du programme ne mettent aucune pression sur les étudiant.e.s pour qu’ils et elles participent à la course : c’est plutôt la communauté étudiante elle-même qui se met de la pression.

« Parfois, j’ai l’impression que les gens veulent juste faire la course aux stages pour être applaudis. Ils rêvent du jour où ils vont publier sur Facebook qu’ils ont obtenu un stage dans un grand cabinet, mais ils n’ont pas hâte au mode de vie qui va s’ensuivre », croit Émilie.

Espérons que Facebook ne tombe pas en panne au mois de mars.

Mythe no 2 : des grosses pognes

Non, le but des grands cabinets n’est pas de cochonner les candidat.e.s en entrevue. Les quatre étudiant.e.s avec qui j’ai parlé gardent un bon souvenir de leurs entrevues. « Oui, il y a des questions plus difficiles. Mais parfois, on te demande ce que tu penses d’un sujet d’actualité. C’est rare d’avoir l’occasion de discuter avec un panel d’avocats et de juristes à propos d’un projet de loi débattu à l’Assemblée nationale », relève avec enthousiasme Félix* (prénom fictif), diplômé de l’UdeM actuellement au barreau.

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Il y a également des stratégies à adopter en fonction de ses forces et de ses faiblesses. « Je savais que ce n’étaient pas mes notes qui allaient me distinguer de la masse. J’ai donc appliqué à une dizaine de cabinets, et moins de la moitié m’ont rappelé, puisque le premier tri s’effectue en fonction des notes. Je suis plus à l’aise en entrevue », analyse Félix. Comme de fait, il a obtenu un stage au sein d’un grand cabinet à Montréal au terme de sa deuxième année d’études.

Reality check no 2 : parfois, ça fesse

D’accord, la réalité n’est pas aussi sanguinolente que notre imaginaire collectif veut bien la dépeindre. Mais la course aux stages, ce n’est pas non plus un monde de Calinours. Ou de Bisounours, un mot que je préfère. « J’ai vu des gens qui n’ont pas réussi à obtenir de stages, et qui ont décidé de prendre une pause du droit pour s’orienter vers un autre domaine », affirme Félix.

«Il ne faut pas penser que le monde arrête de tourner si on n’obtient pas un stage»

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D’après Michelle Poupart, étudiante à McGill qui a réussi son pari en rentrant chez Stikeman Elliot LLP, « il ne faut pas penser que le monde arrête de tourner si on n’obtient pas un stage ».

Les conseils de Florence, Michelle, Félix et Aurélie pour survivre à la course? Rester soi-même, y aller un jour à la fois, se faire confiance. Bref, tout ce que Dominic Ducharme doit dire à ses hommes avant un match important.

Ah, et par rapport à Royal? Les cinq étudiant.e.s interrogé.e.s sont unanimes : ce n’est pas du tout représentatif de la réalité. Une chance. Sinon, nos futur.e.s. avocat.e.s auraient de graves problèmes de toxicomanie.