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Courir après le deal : j’ai testé des imitations chinoises

Brillante idée, acheter du faux?

Par
Jean Bourbeau
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La saison des courses revient au galop et avec elle son rite initiatique : traquer l’ultime paire de super shoes. Ces créatures mutantes, sorties tout droit des laboratoires, bardées de plaques de carbone et de mousses futuristes, promettent autant des chrono records que de vider votre portefeuille. Oui, ça rebondit bien, mais il faut bien l’avouer : chausser des sneaks à 350 piastres, c’est aussi s’acheter une brise de dos nommée placebo — cette petite ivresse où chaque seconde volée donne l’impression de rembourser, à petites foulées, l’investissement initial.

Il suffit d’un coup d’œil à une ligne de départ pour s’en convaincre : les vieilles godasses ont disparu, remplacées par un défilé arc-en-ciel de bijoux technologiques. Chaque marque sort son dernier modèle « révolutionnaire », toujours plus léger, plus rapide, plus indispensable. Les pubs s’enchaînent, les influenceurs martèlent, les slogans futuristes saturent nos fils… C’est à nous en donner l’impression que l’industrie a inventé une nouvelle obsolescence programmée, version mollets crampés. Blaise Dubois doit puncher l’air en voyant ça.

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Même moi, j’ai essayé de résister. Enfin… pas bien longtemps. J’ai vite cédé, sacrifiant un bout d’âme et une belle part de mon salaire pour m’offrir une paire d’Asics MetaSpeed. Était-ce raisonnable? Sûrement pas. Est-ce que je les aime? Absolument. Parce qu’à un moment donné, il faut bien se faire plaisir : dans un sport obsédé par le contrôle, on s’achète de la « vitesse » comme d’autres s’offrent un jeudi soir au Parapluie.

Mais à force de me ruiner pour courir, j’ai fini par lever le nez de mes factures et remarqué une drôle de tendance qui circule en ligne : de plus en plus de coureurs lorgnent… la Chine. Pas pour tester les jeunes marques locales qui commencent à grignoter des parts de marché, non : pour acheter directement des contrefaçons, version Alibaba, imitations des Adidas, Hoka, Saucony et compagnie.

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Intrigué, je me suis dit que, peut-être, c’était là la nouvelle voie à suivre. Parce qu’on est rendu là : dans un monde où le pouvoir d’achat s’effrite, les tentations, elles, gonflent à rebours, inversement proportionnelles à nos moyens. Et dans ce grand théâtre globalisé, les crocs du capitalisme ne connaissent plus de frontières.

Au départ, je n’y voyais qu’une expérience menée pour le plaisir. Candidement, je me suis lancé dans ce grand bazar numérique, en quête de la réplique idéale. Après tout, ces super shoes ne sortent-elles pas toutes déjà des mêmes usines asiatiques?

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Sur quel modèle mon choix s’est-il arrêté? La fausse AlphaFly, le Graal des super shoes. La chaussure de Kipchoge, de Kiptum et des records mondiaux… mais aussi celle des apôtres du « Hyrox-nation hybrid-athlete Go One More », ces gars de gym allergiques au t-shirt. L’AlphaFly, c’est le soulier douche par excellence, mais aussi l’emblème absolu de cette ère carbone. Bref, j’avais trouvé mon cobaye.

En boutique, l’AlphaFly trône fièrement au sommet à 431,16 $ taxes incluses. Pas de la tarte.

Sur Alibaba, sa jumelle pirate s’affiche à 21,16 $, plus 18,46 $ de livraison transpacifique. Total : 39,62$. Un ostie d’deal, comme on dit par chez nous.

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Deux semaines plus tard, le colis tant attendu se pointe enfin au pas de ma porte. L’excitation du grand déballage… retombe aussitôt. Je ne me faisais pas d’illusions. À ce prix, je savais bien que la qualité ne serait pas au rendez-vous. Mais les contrefaçons réservent parfois des surprises, flirtant dangereusement avec l’original. J’avais donc conservé un mince espoir.

D’abord, le colis pesait beaucoup trop lourd pour une chaussure censée être « ultralégère ». Puis cette odeur de plastique presque envoûtante, mais hautement suspecte, m’a sauté au nez dès le papier bulle arraché. Verdict, au premier regard : c’est d’la grosse marde.

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Sur le site, le design semblait soigné, la silhouette fidèle. Mais dès qu’on l’a entre les mains, le château s’écroule. Le filet, la bulle d’air, la mousse, même les lacets : tout respire le cheap. Quelques imperfections par-ci par-là, des traces de pinceau. Quant à la fameuse plaque carbone promise dans l’annonce ? Disparue, envolée, jamais vue.

Et que dire du logo? Au lieu d’un swoosh affûté, une virgule élancée, je me retrouvais avec un « U » bien gras. L’arnaque sautait aux yeux, les indices étaient partout. Pour situer : l’AlphaFly officielle pèse 218 grammes. La mienne? Plus que le triple. Une enclume mal maquillée.

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Test de confort initial : une catastrophe. La sensation? Comme trotter en sabots hollandais. J’ai à peine parcouru quelques centaines de mètres que je pestais déjà contre les diables du capitalisme qui m’ont eu, une fois de plus. Alors, dans un souci de transparence et pour assurer une prétendue impartialité, j’ai passé le relais à mon collègue coureur Julien. Ses impressions, livrées à chaud et qui recoupent largement les miennes, vont comme suit :

« À la seconde où j’ai glissé mes pieds dedans, j’ai su que quelque chose clochait. Depuis mes débuts, jamais je n’avais autant détesté l’acte de courir que pendant ces trois allers-retours. Avant de claquer 20 balles sur une imitation d’une paire à 400 $, il existe pas mal d’options plus intelligentes. »

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Bon. Bon. Bon. Force est de constater que ce n’est pas l’achat le plus brillant de ma déjà longue collection de mauvais paris. Mais pour l’exercice et surtout pour vous, il fallait tenter le coup. Il fallait savoir. Peut-être qu’il existe, quelque part, des imitations plus conciliantes, capables de tenir tête aux vraies, mais pas cette fois. Considérez-vous avertis.

Reste que, sous mon bureau, gît désormais une paire immaculée, flambant neuve, vestige embarrassant de mon emballement mal avisé. Impossible à porter, inimaginable à refiler chez Renaissance. Alors, à bien y penser… peut-être que 350 $, ce n’est pas si mal investi.

Sur ce, bon marathon, les pauvres.

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