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Connaître ou ne pas connaître le salaire de vos collègues?
Avez-vous déjà osé demander à vos collègues combien ils et elles gagnent? Vous ont-ils répondu sans sourciller ou lancé un regard scandalisé? Et si vous avez réussi à obtenir l’information, avez-vous eu envie de continuer votre journée de travail ou avez-vous préféré vous pogner le beigne? Ou peut-être même de démissionner?
Parler de son salaire entre collègues serait de moins en moins tabou. Selon un sondage de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, 54 % des Québécois.es se sentent parfaitement à l’aise de le faire, une proportion qui passe à 63 % chez les moins de 35 ans. Ça tombe bien, comme ce genre de discussions contribue à réduire les iniquités salariales, y compris pour des groupes statistiquement moins bien payés, comme les femmes et les personnes racisées.
Reality check
Si connaître le salaire des autres permet de mieux négocier le sien, ça peut aussi créer des situations toxiques au travail. Imaginez un peu découvrir que quelqu’un qui a moins d’ancienneté et d’expérience que vous est mieux payé, ou encore apprendre que le grand patron gagne 15 fois votre salaire… vous risquez d’avoir de la difficulté à l’avaler!
Parlez-en à ces employé.e.s qui ont reçu par erreur la liste salariale complète du bureau. Bonjour les beaux malaises.
Alors, comment on fait pour atteindre l’idéal de la transparence salariale en évitant les (très) mauvaises surprises?
Apprendre que quelqu’un d’autre gagne plus que nous n’est pas choquant si on est capable de le justifier.
« Quand on parle de transparence salariale, il faut tenir compte à la fois de la justice distributive (qui reçoit combien) et de la justice procédurale (qui reçoit combien pour quels critères) », explique Jacques Forest, professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, psychologue organisationnel et conseiller en ressources humaines agréé. « Si un employé jase avec un autre et apprend qu’il fait quatre fois son salaire, on n’est pas plus avancé, parce qu’on a seulement l’aspect distributif. »
Autrement dit, apprendre que quelqu’un d’autre gagne plus que nous n’est pas choquant si la compagnie est capable de le justifier. Mais c’est justement parce que des entreprises n’ont pas de bons critères pour expliquer les écarts salariaux qu’elles décident de dissimuler les salaires, avance Jacques Forest. « Si vous êtes à l’aise avec les salaires que vous offrez, il ne devrait pas y avoir de problème », estime-t-il.
Le grand écart salarial
Une étude publiée dans la revue Perspectives on Psychological Science en 2014, basée sur les réponses de 55 000 personnes provenant de 40 pays, demandait quel devrait être l’écart idéal entre la personne la moins payée et la plus payée au sein d’une organisation. Les répondant.e.s disaient être capables de tolérer un écart d’environ 4,6 fois le salaire, tout en estimant que l’écart réel était en fait grandement supérieur.
Spoiler alert : selon le Canadian Centre for Policy Alternatives, les 100 chefs d’entreprises les mieux payés au Canada en 2018 ont fait 227 fois plus d’argent que la moyenne de leurs employé.e.s. Ça donne une idée!
Si la situation continue d’être inéquitable, il n’y a pas de raison de rester.
Les conséquences des injustices sont « négatives », souligne Jacques Forest. « On parle d’intentions de quitter, de diminution de la contribution. » Comme employé.e, en voyant qu’on est moins bien rémunéré.e qu’un.e collègue, on devrait d’abord chercher la justification en parlant à notre supérieur.e et aux ressources humaines, puis négocier une augmentation de salaire ou des avantages sociaux.
Mais si la situation continue d’être inéquitable, il n’y a pas de raison de rester, avise Jacques Forest : « Ça veut dire que nos rétributions sont plus faibles que nos contributions. On va aller chercher un milieu qui va nous offrir cette reconnaissance-là. »
Pourquoi garder les salaires confidentiels?
Comme psychologue organisationnel, Jacques Forest suggère que les employeurs se demandent pourquoi ils ne veulent pas que les salaires soient publics. « C’est souvent parce qu’on a peur que les gens ne soient pas capables de comprendre les écarts ou parce qu’ils sont mal à l’aise à l’idée de devoir justifier leurs salaires. Implicitement, ça veut dire qu’il n’y a pas de raisons qui les justifient! », lance-t-il.
« Sans faire preuve d’une transparence totale en dévoilant le salaire de tout le monde, on peut poser des questions, ajoute-t-il. C’est quoi, un salaire juste? Ça devrait être quoi, le salaire maximal chez nous? Est-ce qu’on devrait augmenter le salaire de base? Il ne faut pas avoir peur de parler d’argent. »
Les conventions collectives publiques, ou des pays comme la Norvège et la Finlande, ainsi que des entreprises comme Buffer misent sur la transparence salariale. Et c’est loin d’être coucou comme idée : en comparant le World Inequality Report et le World Happiness Report, on peut souvent constater un lien anecdotique entre le fait d’avoir peu d’iniquité et beaucoup de bonheur.
Alors, pourquoi ne pas parler de votre salaire avec vos collègues? Le pire qui pourrait arriver, c’est que vous quittiez un environnement inéquitable.