« C’est clair qu’au Québec, on va devoir former beaucoup plus de monde en construction. »
– François Legault, premier ministre du Québec, sur le renouvellement des formations de courte durée payées en construction, 25 janvier 2024
Au printemps 2020, je me suis retrouvé en confinement pandémique dans un condo inoccupé où des rénovations de cuisine et de salle de bain avaient été complétées un peu hâtivement. L’entrepreneur s’était empressé de terminer les travaux avant le début pressenti du « deux semaines » qui allait devenir deux ans.
Je reconnais ma chance, surtout si je me compare aux situations bien plus difficiles que plusieurs ont vécues. Mais reste que je me suis retrouvé avec mon lot de défis : lavabos bouchés à répétition, toilette qui coule et qui ne chasse plus l’eau, laveuse débalancée qui se déconnecte de son alimentation à tout instant, et j’en passe.
Entre YouTube, des forums Internet un peu douteux, et l’aide de l’homme sage très patient de la quincaillerie, j’ai fini par maîtriser la clé anglaise, le furet de plomberie, le ruban de téflon, et le robinet de chasse (entre autres!) en quelques jours un peu paniqués. Certains lecteurs se moqueront sûrement de mon ineptie manuelle pré-pandémique, mais je m’assume. Je me suis rarement senti aussi victorieux que quand j’ai vu mon assemblage rafistolé de cuivre, caoutchouc, et PVC évacuer enfin l’eau stagnante de mon évier.
S’engager soi-même
Et c’est là que je me suis mis à penser : dans une situation normale, je suis certain qu’un plombier d’expérience aurait pu faire le travail qui m’a pris deux jours en moins de deux heures. J’aurais réglé ça avec un coup de téléphone et un paiement par transfert bancaire. Mais en avril 2020, les plombiers étaient introuvables, et les rares qui étaient toujours disponibles demandaient des taux horaires de quelques centaines de dollars (bien mérités dans les circonstances, mais quand même!).
Un client peu honnête aurait été tenté d’offrir de payer le plombier cash, avec les implications évidentes d’obtenir un rabais ou une disponibilité favorable en échange de faciliter l’évasion fiscale du plombier – le travail sous la table.
Mais en effectuant le travail moi-même, d’un point de vue économique, c’est tout comme si je m’étais simplement engagé moi-même. Je me suis enrichi du même montant que j’aurais autrement payé au plombier.
Sauf que moi, eh bien, j’ai aucune taxe à déclarer sur mon contrat avec moi-même.
En d’autres mots, en plus d’apprendre les rudiments d’habiletés qui me seront utiles à l’avenir, je me suis enrichi en travaillant sous la table. Et ce, en toute légalité.
Le savoir, c’est payant
Évidemment, ici, je sais que c’est pas une crosse contre le système. Même si l’État avait la capacité pratique de taxer le travail qu’on fait pour soi-même (notion à toutes fins impossible), c’est loin d’être clair si l’État voudrait le faire. Une population qui développe ses habiletés, c’est aussi dans les intérêts de la collectivité, après tout.
Quand même, c’est peut-être l’anarchiste refoulé en moi, mais cette révélation me chatouille le cerveau financier. Il est certainement vrai qu’au Québec, plus qu’à bien d’autres endroits dans l’Occident, l’autosuffisance et la collaboration sociale informelle jouent de bien plus gros rôles dans nos vies.
Au Québec, par exemple, on change plus souvent nos pneus nous-mêmes, et on a beaucoup plus souvent recours à nos amis qu’à des déménageurs professionnels dans des activités informelles entièrement libres de considérations fiscales (sauf, peut-être, la taxe sur la bière et la pizza). Mais d’un point de vue strictement économique, il s’agit quand même d’activités ayant une valeur marchande qui devraient être payées – et taxées – si elles avaient lieu dans le contexte de transactions formelles dans le marché.
Bref, je sais que le fond de cette chronique ne vous enseignera rien de nouveau : oui, c’est parfois payant de développer ses habiletés plutôt que d’engager des gens à notre place (Merci, Farnell, ça prenait bien un gars bardé de diplômes pour nous arriver avec ça comme conclusion!). Mais ma conclusion va un peu plus loin que ça.
C’est pas seulement payant parce qu’on économise ce qu’on aurait autrement dû payer à un autre, c’est aussi payant parce que c’est un avantage fiscal énorme.
Pas seulement pour vous, mais aussi pour toute votre communauté de famille et d’amis à qui vous pourrez rendre service et qui, s’ils en font autant, pourront vous rendre service à leur façon quand vous en aurez besoin à votre tour. (Détail technique : tant que vous n’entrez pas dans une entente formelle d’échange quid pro quo, c’est de l’activité économique de libre marché et c’est, en théorie, taxable.)
Alors, s’il vous fallait une motivation additionnelle pour apprendre à devenir un peu plus autosuffisant, dites-vous que c’est une des dernières façons qui vous permet de vous enrichir en travaillant sans devoir payer d’impôts.