LogoSponsor

Comment se faire payer (à temps) quand on est pigiste

En devenant pote avec la ou le comptable? Même pas.

Par
Daisy Le Corre
Publicité

Quand on commence à la pige, on se dit que ça doit fonctionner un peu comme quand on est employé : on fait la job et on se fait payer deux semaines plus tard, où à la fin du mois.

Not.

Être pigiste, c’est aussi être un entrepreneur qui court après l’argent que ses clients lui doivent. Certains sont de bons payeurs, d’autres moins. Qu’est-ce qu’on fait quand l’argent se fait attendre? Voici ce que les lois disent et ce qu’il est possible de faire avec (ou sans) diplomatie.

Ce genre de mystère partagé par notre dessinateur préféré n’est pas prêt d’être élucidé (on taira le nom de l’employeur qu’il cible, mais ça ne commence pas par U et ça ne finit pas par NIA). Si vous avez la chance de faire partie du team extraordinaire des pigistes, ces travailleuses et travailleurs de l’ombre qui font la réputation de bon nombre d’entreprises, vous savez exactement ce que ça fait de ne pas être payé.e à temps – voire pas payé.e du tout.

Publicité

Des pigistes qui attendent des mois voire des années avant de se faire payer, ça arrive plus souvent qu’on veut bien le croire.

La fameuse phrase « le chèque est dans la poste » alors qu’il n’y est pas est aussi monnaie courante.

Comment faire pour réclamer son dû en restant poli.e et sans (trop) montrer sa frustration? Première chose à savoir et non la moindre : il n’y a pas vraiment de loi qui encadre la rémunération et les paiements pour les pigistes. « Les entreprises de presse ont habituellement leurs propres politiques de paiements (30 jours – six mois – annuel) et les pigistes doivent souvent accepter cette politique. Sans quoi c’est à eux de refuser la pige, du moins, c’est ce que semblent se dire plusieurs entreprises », nous a confié Lindsay-Anne Prévost de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

Publicité

En « équipe »

En cas de non-paiement, il existe toujours des recours comme une mise en demeure, mais c’est un long processus. « Les pigistes se disent souvent que pour une pige de 150$ par exemple, le temps qu’il leur faudra investir ne vaut pas le coup. La fameuse phrase “le chèque est dans la poste”, alors qu’il n’y est pas est aussi monnaie courante, selon les témoignages de nos membres », rapporte Lindsay-Anne Prévost, qui a l’habitude de faire l’intermédiaire lorsqu’il y a une mésentente du côté de la rémunération. « Si les délais avant de recevoir un chèque sont trop importants (six mois d’attente, par exemple, alors que les modalités étaient de 31 jours), nous offrons à nos membres la possibilité d’intervenir auprès de l’entreprise pour lui rappeler les droits des pigistes et la sensibiliser à la question. Ça aide parfois à faire débloquer les choses. »

Autre astuce préconisée par l’AJIQ : inscrire les modalités de paiement sur sa facture. « S’il n’est pas indiqué que le paiement doit être reçu dans les 31 jours suivant la réception de la facture, ou qu’il n’y a eu aucun échange et entente concernant les délais, c’est plus difficile de revenir contre le client six mois plus tard. Il pourra simplement répondre que c’est comme ça qu’il fonctionne… », prévient Lindsay-Anne Prévost, selon qui l’union fait la force.

Il est assurément plus facile de confronter une entreprise lorsqu’on est appuyé par 10 autres pigistes… et la pression sur le client est également plus grande.

Publicité

« Il est déjà arrivé que l’un de nos membres s’interroge sur les délais avant de recevoir ses chèques. Il pensait être seul dans cette situation et, en sondant d’autres membres de l’AJIQ, il y a récolté le témoignage de plusieurs autres pigistes qui étaient dans la même problématique que lui avec le même client. Ça leur a permis de s’unir et de voir s’ils avaient tous reçu les mêmes explications de la part du client en question. Il est assurément plus facile de confronter une entreprise lorsqu’on est appuyé par 10 autres pigistes… et la pression sur le client est également plus grande. »

À la signature du contrat, rien ne vous empêche non plus de vous mettre d’accord sur les dates de deux versements, minimum. « Par exemple, sur un contrat de trois mois, on peut demander de recevoir 20% le premier mois, 20% le second et 40% à la complétion », m’a aussi suggéré une collègue qui vit de la pige.

En solo

Pour celles et ceux qui font cavalier seul, qui ne sont membres d’aucune association professionnelle pour courir après le paiement de leurs piges et qui, comme moi, ne se laissent pas décourager par l’incompétence d’un.e gestionnaire, vous pouvez aussi suivre cette prescription en trois étapes – à vos risques et périls.

Première étape

Publicité

Commencez par prévenir, c’est un peu la méthode douce ou une manière faussement nonchalante de rappeler le client à ses obligations. Concrètement, restez derrière votre écran et relancez gentiment celui ou celle qui vous fait attendre. Moi, par exemple, quand j’ai commencé à piger pour la filiale d’un média que je venais de lancer (vous saurez tout sur mon LinkedIn) et que ma paie tardait à arriver, j’envoyais un courriel du type : « Bonjour X, je me permets de revenir vers toi concernant le versement de ma paie pour les 158 dernières piges que j’ai faites pour toi. As-tu bien reçu ma dernière facture? Souhaites-tu que je la modifie? Si tu as besoin que je te renvoie mon spécimen de chèque, dis-moi. Merci d’avance. Belle journée! »

J’ai usé de la même diplomatie quand je suis devenue employée à temps plein (youhou) et que mes paies ne tombaient pas à temps non plus (« crise » des médias oblige. Ou manque de rigueur. De respect? Qui sait). Précision de taille : par « à temps », j’entends « à temps pour payer mon loyer, le crédit de ma voiture, mes courses, la nounou de mon bébé, etc. ». On ne parle pas d’une impatience de milléniale, là.

Deuxième étape

Publicité

Faites-lui sentir que la moutarde vous monte au nez en tout bien, tout honneur. « Hello, avais-tu bien reçu mon mail ci-dessous au sujet de ma dernière facture? Merci. » Ou sa variante moins passive agressive : « Je n’ai toujours pas reçu de virement pour ma facturation de septembre. Peux-tu me dire ce qu’il en est? Ça commence à faire long. Merci. » Avec un peu de chance, vous recevrez peut-être le fameux et très attendu : « Je m’occupe de ta facture aujourd’hui, pardon pour le retard ». Mais généralement, vous ne recevrez rien du tout.

Troisième et dernière étape qui sert aussi de morale

N’ABANDONNEZ JAMAIS. Copiez/collez les étapes précédentes. Relancez tout simplement, même si ça doit durer trois ans, à l’infini s’il le faut. N’oubliez pas de noter absolument toutes les piges que vous faites pour ne rien oublier, car c’est facile de se perdre quand on multiplie les employeurs (j’ai testé pour vous). Je n’aime pas Excel non plus, mais il m’a sauvé la mise plus d’une fois!

Publicité

« Moi je ne produis pas de nouveaux contenus s’il y a trop d’impayés. J’ai un délai de patience d’environ trois mois, après je trouve que c’est vraiment de l’abus (trois mois = trois relances) », m’a confié une amie journaliste, triste de devoir s’abstenir de piger pour des médias paresseux à l’idée de la payer dans les temps.

Enfin, rappelez-vous que tout travail mérite salaire, peu importe le salaire, d’ailleurs (le tarif des piges est un autre sujet, on en reparlera). Alors quand une petite voix résonne dans votre tête en vous répétant : « Mais ça ne se fait pas de réclamer de l’argent… Je vais passer pour quoi? », inversez la vapeur et dites-vous : « Mais ça ne se fait pas de ne pas payer quelqu’un qui travaille. Il va passer pour quoi mon employeur? » Il va se passer de vous si ça continue. On parie?