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Comment (mieux) travailler avec une personne autiste

Ou comment ne pas réduire un.e employé.e à son diagnostic.

Par
Mélissa Pelletier
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Il y a quelque temps, Patricia Paquin et son chum Louis-François Marcotte ont décidé de dire ciao bye à Montréal pour installer leurs pénates en campagne. En plus de s’acheter une maison à faire damner un saint, ils ont ouvert Chez Cheval, un café employant des jeunes qui vivent avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Le fils de Patricia, Benjamin, a d’ailleurs été un des premiers à y travailler. High five Patricia!

Ici et là, on a salué l’initiative. C’est bien beau, mais ça mange quoi en hiver une entreprise adaptée pour les personnes vivant avec un TSA? Et d’ailleurs, être sur le payroll avec une personne autiste, est-ce si différent que de travailler avec un neurotypique (aka non autiste)?

Droit dans le mur

Mathieu Giroux est passé par un triste chemin de croix en milieu de travail avant de pouvoir mettre un mot sur sa condition, à 31 ans. « En janvier 2014, j’ai été congédié après avoir vécu beaucoup de harcèlement psychologique. Après une tentative de suicide, j’ai été interné à l’hôpital psychiatrique et on m’a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique. J’ai appris plus tard que j’étais autiste. Ça a expliqué tellement de choses. »

« Il était surpris que les miroirs et les comptoirs soient encore sales. ll aurait dû me dire de nettoyer la salle de bains! Je ne comprenais pas ce que j’avais fait de mal. »

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Comme pourquoi il a lavé juste les toilettes quand son patron au PFK lui a demandé de… laver les toilettes. « Il était surpris que les miroirs et les comptoirs soient encore sales. ll aurait dû me dire de nettoyer la salle de bains! Je ne comprenais pas ce que j’avais fait de mal. » Mathieu se rappelle aussi en riant de la fois où il a acheté des biftecks français pour tout le monde… alors qu’il était coordonnateur d’une banque alimentaire à Rigaud. « C’était un énorme rabais, et ça respectait le budget. On m’a dit que ce geste ne représentait pas bien la mission de l’organisme! Ça causait des problèmes quand les sous-entendus n’étaient pas clairement émis. On me disait que je ne répondais pas aux exigences, ou plutôt que j’y répondais trop au pied de la lettre. » Bref, ça causait des problèmes quand les attentes n’étaient pas claires.

Mathieu est aujourd’hui conférencier, enseignant et chercheur (name it) qui s’intéresse à l’autisme et vous pouvez d’ailleurs lire ses intéressantes réflexions sur son blogue.

« Ce qui cause problème, ce sont les milieux non inclusifs. C’est comme si une personne en chaise roulante ne pouvait pas aller au travail parce qu’il n’y a pas de rampe d’accès! »

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On le comprend bien : une personne vivant sur le spectre de l’autisme communique la plupart du temps straight to the point. Les non-dits, le sarcasme, les œillades pleines de sens… Souvent, ça ne passe juste pas. Le cerveau d’une personne autiste fonctionne différemment, c’est tout. « Ma condition peut expliquer des malentendus que j’ai eus au travail, mais ce n’est pas nécessairement la cause. Je suis loin d’être inapte! Ce qui cause problème, ce sont les milieux non inclusifs. C’est comme si une personne en chaise roulante ne pouvait pas aller au travail parce qu’il n’y a pas de rampe d’accès! », s’exclame Mathieu.

Quand on sait que le taux de suicide est deux fois plus élevé chez les autistes que chez les neurotypiques, selon le Rapport de surveillance concernant le trouble du spectre de l’autisme au Québec en 2017, dur de ne pas se questionner. À force de vivre dans un monde qui n’est pas pensé ni par ni pour eux, certaines personnes vivant avec un TSA peuvent en arriver à développer une importante détresse psychologique. « On s’adapte à la société des neurotypiques en faisant du camouflage social. J’ai appris à donner la main, faire la bise, trouver des sujets de discussion… C’est très énergivore! », clame Mathieu.

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L’autisme et le travail

Déjà, je vous rappelle on the side qu’un autiste peut avoir des difficultés par rapport aux relations sociales, avoir des intérêts spécifiques (la physique quantique ou les Pokémons, par exemple), subir des surcharges sensorielles, être anxieux et avoir des comportements répétitifs. Et attention : cette condition n’est pas synonyme de déficience intellectuelle ou de trouble du comportement.

« Si on sait que les autistes sont habituellement minutieux, respectueux des consignes et concentrés au travail, ce serait absurde d’essayer de les mettre dans une case. Sur 100 autistes, on découvrira 100 cas totalement différents, chacun avec ses particularités, ses forces et ses défis. Tous auront besoin de soutien dans une sphère ou l’autre de leur vie », explique Julie Lahaye, directrice générale d’Intégration TSA à Québec. Parce que si certaines personnes autistes peuvent avoir des difficultés à intégrer le monde du travail, d’autres le feront les doigts dans le nez. Mais ils auront peut-être plus de difficultés à gérer les interactions sociales ou la gestion de leur logis, par exemple.

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C’est une gang de parents qui a ouvert Intégration TSA, question d’accompagner les personnes autistes de 21 ans et plus vers la vie active. « On accueille une clientèle aux besoins importants, qui est très éloignée du milieu de l’emploi conventionnel. Mes jeunes ne peuvent pas travailler chez IGA, par exemple, mais ils peuvent très bien accomplir certaines tâches sous notre supervision. Je collabore avec des entrepreneurs qui me confient des mandats et les journées sont super cadrées, pour que mes jeunes sachent à quoi s’attendre. L’indice de bonheur augmente significativement quand ils se sentent utiles! Tu l’auras compris : ma mission, c’est de faire comprendre leur apport possible à la société », lance Julie avec enthousiasme. Ensachage de pions, emballage de cartes de souhaits, déchiquetage de papier… Sky is the limit ou presque, si c’est bien encadré.

On fait quoi, maintenant?

Alors, c’est quoi les pistes de solutions dans un milieu de travail? « Déjà, il faut considérer l’inclusion de façon plus précoce, pour que les possibilités d’accès à un emploi soient réelles », lance Mathieu Giroux, assez à-propos merci. Julie Lahaye abonde dans ce sens. « Il faut réfléchir autrement les emplois. Comme on a la chance [de travailler avec] des autistes verbaux, on comprend de mieux en mieux cette condition. Il faut les écouter! Le milieu du travail est construit autour de définitions de tâches super complètes. Ça fonctionne pour les neurotypiques, mais souvent moins pour les personnes vivant avec un TSA. Ensacher des cartes de souhaits, ce n’est pas un métier. Pourtant, certains autistes seront très efficaces et heureux de le faire! »

« Engager un autiste pour engager un autiste, c’est pas fort. Il faut arrêter de penser que travailler avec lui signifie l’inclure. »

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Vous comprendrez bien que le nerf de la guerre de la dernière phrase, c’est le mot « certains ». « L’autiste est un humain à part entière qui a des valeurs, des préférences, une vision de la vie. Cette condition a une influence oui, mais il ne faut pas réduire un être à son diagnostic! Engager un autiste pour engager un autiste, c’est pas fort. Il faut arrêter de penser que travailler avec lui signifie l’inclure », explique Mathieu.

L’important, c’est de voir si ça fitte avec la personne à la base. « Il faut parler des attentes des deux parties, et voir comment le milieu de travail peut être adapté s’il y a lieu. Il faut aussi demander à l’employé s’il veut parler de sa condition à ses collègues, et si oui, comment il veut faire ça… C’est loin d’être la meilleure idée de caller un meeting à la cafétéria pour expliquer que le petit nouveau est autiste, par exemple », lance Mathieu. Et en tant que collègue, il faut tout de suite s’enlever de la tête qu’on va travailler avec Forrest Gump. « Si on pense engager un dude comme lui, ça risque d’avoir de graves répercussions s’il ne répond pas aux attentes. On n’est pas à Hollywood! », blague Mathieu.

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