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Comment l’industrie de la musique indépendante fait-elle pour survivre?
Des concerts et des festivals annulés, des campagnes de promotion avortées, le streaming en baisse: on dirait que le ciel s’abat sur le monde musical. Le secteur est en crise depuis le début de la pandémie et si quelques événements culturels peuvent reprendre entre fin mai et juin, c’est encore flou pour tout ce qui concerne les théâtres, la danse, la musique et les concerts.
Avec l’arrêt des tournées, c’est la survie des labels indépendants qui est menacée et ce ne sont malheureusement pas les live Facebook ou Instagram qui vont permettre de relancer la machine.
Un secteur durement touché
Avant la crise de la COVID-19, six personnes travaillaient chez Costume Records, la boîte de Milk and Bone, Valaire et Dany Placard, entre autres. Quatre contractuels et deux employés, dont Sébastien Paquin, copropriétaire du label. «Les contractuels, ça n’a pas été long avant qu’ils doivent se mettre sur la PCU. Vu le cash flow qu’on avait, c’était trop dangereux de continuer les activités en attendant que le tout revienne à la normale», affirme Sébastien Paquin. Il pense qu’à la fin de l’année, Costume Records subira une perte de 60% de ses revenues. «On s’adapte, sinon on ferait faillite.»
«Les contractuels, ça n’a pas été long avant qu’ils doivent se mettre sur la PCU. Vu le cash flow qu’on avait, c’était trop dangereux de continuer les activités en attendant que le tout revienne à la normale»
Tout est au point mort. Les seuls revenus proviennent des ventes de disques et des droits voisins, ce qui permet à peine à Costume Records de couvrir ses frais fixes. L’argent correspond à des activités qui se sont déroulées en 2019, ce qui empêche le label d’accéder à la subvention salariale du gouvernement fédéral. «On récolte pour les investissements de l’année passée, donc c’est comme si on rembourse notre carte de crédit», précise Sébastien Paquin.
Si la situation actuelle dure, ça deviendra problématique dans trois ou quatre mois. «Là, on ne fait presque plus d’investissement dans les projets, donc on ne peut pas demander de subventions vu qu’on n’a pas de dépenses.»
Pour Simon Fauteux, le président de Six Médias, une boite de relation presse, l’industrie musicale a fait une croix sur 2020. «Les labels sont nos clients et j’ai remarqué une baisse des contrats de 40% à 50% facile. Pour l’année, je pense qu’on aura 30% de contrats en moins», dit-il. Lui qui est à la tête de son entreprise depuis onze ans avoue qu’il a eu peur pour la survie de sa business. «La chaîne de commande est brisée, il n’y a personne qui fait de l’argent.»
La place du streaming
De son côté, Sebastian Cowan de Arbutus Records est moins inquiet. Le fondateur du label des groupes TOPS et Blue Hawaii estime la perte sur l’année autour de 15% ou 20%. Il se fait davantage de soucis pour les disquaires et les salles de concert, qui sont directement affectés par la crise. «L’arrêt des activités est vraiment perturbateur pour eux. Pour nous, les ventes d’albums physiques ne représentent pas une source importante de revenus, notre public est plus digital friendly», précise-t-il.
Même s’il estime qu’il souffrira d’une perte de 15% des revenus provenant du numérique, il assure que, sans les plateformes comme Spotify, son label serait dans une plus mauvaise posture.
Pour Costume Records, le streaming ne représente pas une partie importante des revenus, qui reste tout de même stable depuis le début confinement. Il y a pourtant eu une chute des écoutes de streaming, dû surtout à la fermeture des bars et des cafés qui jouaient des playlists en continu, selon les deux gérants de label. «Pour Costume Records ça n’a pas d’effet, mais je sais que les grosses majors, elles, ont des difficultés en ce moment et des pertes monétaires», avance Sébastien Paquin.
La fin des tournées
Sebastian Cowan se dit surtout préoccupé par l’impossibilité pour les artistes de partir en tournée. C’est surtout grâce aux concerts que les groupes gagnent des fans et augmentent leurs revenus. «Toutes les tournées sont annulées. Il faut tout réserver à nouveau, mais c’est difficile parce qu’on ne sait pas quand ça sera possible de recommencer.»
«Mon plus grand souhait c’est qu’on puisse reprendre les spectacles rapidement. C’est le nerf de la guerre, et ce n’est pas reluisant ce qu’il se passe là.»
Du côté de Costume Records, la plupart des spectacles sont repoussés à 2021. Le label a également décidé de se concentrer sur le Québec et le Canada plutôt que de partir sur des tournées à l’internationale. «Mon plus grand souhait c’est qu’on puisse reprendre les spectacles rapidement. C’est le nerf de la guerre, et ce n’est pas reluisant ce qu’il se passe là», admet Sébastien Paquin.
Même si les tournées recommencent, Sebastian Cowan craint que les ventes de tickets soient mauvaises et par conséquent les revenus plus bas. «Il y aura sûrement des restrictions sur le nombre de personnes qui peuvent assister à un événement, alors que le business model des lieux de spectacle se base sur le fait que la salle doit être pleine.»
Des projets repoussés ou modifiés
Costume Records devait lancer quelques vinyles pour l’année 2020, mais tout a été mis sur la glace jusqu’à nouvel ordre. «On parle de nouvelles sorties pour l’automne 2020, mais je pense que ça se repousse tranquillement pas vite pour 2021», indique Sébastien Paquin. En attendant, le label sort des chansons écrites en confinement par ses artistes comme Flore Laurentienne ou Dany Placard. «Mais personne n’a de financement, donc c’est pro bono pour tout le monde.»
Le 3 avril dernier, Arbutus Record lançait tout de même l’album du groupe TOPS. Le label a annulé toute la campagne marketing, mais les disques étaient déjà envoyés à des distributeurs internationaux. «Comme les disquaires sont fermés, les fans ont acheté l’album sur le net, via le webstore du groupe ou du label, mais on n’avait pas assez de stock pour satisfaire la demande vu que tous les CD étaient éparpillés un peu partout sur le globe», détaille Sebastian Cowan. Le label a fait des pieds et des mains pour récupérer les albums et les envoyer aux particuliers.
Le prochain album physique qui sortira sous l’égide du label est prévu pour octobre prochain. «On va garder l’impression physique, mais on va réduire les quantités. On va passer de 1500 copies à 750», anticipe-t-il.
Et les artistes là-dedans?
Selon Sébastien Paquin les artistes sont sous le choc et dans l’incertitude: «La plupart sont sur la PCU, qui va se terminer dans pas long, donc il y a un gros niveau d’angoisse.» Costume Records les a accompagnés pour qu’ils puissent comprendre l’aide financière mise à leur disposition au début de la crise, et continue de les soutenir dans leurs créations. «On fait en sorte qu’ils ne tombent pas en dépression», plaisante-t-il.
La crise de la COVID-19 a surtout mis en lumière la précarité du modèle d’affaires de l’industrie musicale indépendante, qui survit difficilement dans la configuration actuelle.
«Ça change vite, donc je ne veux pas monter aux barricades, mais tout pointe pour que l’argent aide à sauver les grosses boites plutôt que nous. Ça fait un peu peur.»
Le gouvernement fédéral a annoncé début mai un plan d’aide de 500 millions de dollars destiné à soutenir les secteurs de la culture, du patrimoine et du sport. Sébastien Paquin évoque son appréhension face à ce plan, qui ne lui semble pas tenir compte des petites entreprises comme son label. «Ça change vite, donc je ne veux pas monter aux barricades, mais tout pointe pour que l’argent aide à sauver les grosses boites plutôt que nous. Ça fait un peu peur», dit-il.
Le copropriétaire de Costume Records garde tout de même un peu d’optimisme. «On va s’adapter, ce n’est pas le premier coup dur que la culture vit, mais c’est un gros coup. Là on est en mode administration, on essaye de sauver les meubles, mais ce n’est pas ça notre métier à la base, on est des gérants d’artistes», termine Sébastien Paquin.