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Comment être un meilleur employeur pour la diversité
En 2020, de nombreux Québécois ont brandi leur poing dans les airs en soutien au mouvement Black Lives Matter. D’autres ont pleuré et ragé la mort de Joyce Echaquan et les mots «racisme systémique» ont été sur toutes les lèvres (ou presque).
Les enjeux de discrimination ont pris beaucoup de place sur la scène publique au cours de l’année et de plus en plus de voix s’élèvent pour que ceux qui ont le pouvoir dans notre société agissent pour corriger les choses. Plusieurs le disent depuis des années, le nerf de la guerre, c’est la représentation.
«D’ici les 20, 30, même 15 prochaines années, 40% de la population va venir de l’immigration et, surtout, des minorités visibles», explique Tania Saba, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance.
Selon elle, si la majorité des employeurs de la province sont conscients de l’importance de la diversité au sein de leur entreprise, en pratique, il reste encore beaucoup de chemin à faire pour que le Québec Inc. représente vraiment la société d’aujourd’hui.
Pourquoi? Parce que favoriser la diversité dans une entreprise, ça prend plus que seulement de la volonté et, surtout, ça ne se fait pas en deux secondes. Alors, comment on s’y prend?
Agrandir son réseau
La réponse facile à cette question: engager des employés plus diversifiés. Plus de femmes, plus de minorités visibles, plus de personnes ayant un handicap, plus de membres des Premières Nations, etc.
Aujourd’hui, certaines entreprises ont d’ailleurs des programmes d’embauche qui favorisent les candidats issus de la diversité, ce que certains appellent de la «discrimination positive». «Moi je pense que ça ne devrait pas se faire comme ça. Mais parfois quand on oblige une entreprise à le faire, c’est une voie pour montrer que ça peut marcher. Parce qu’il y en a qui partent de trop loin», indique Tania Saba.
«Le premier pas c’est d’avoir une volonté réelle d’aller chercher le potentiel là où il se trouve.»
Sauf que selon elle, il existe un moyen pour ne pas avoir à substituer une forme de favoritisme à une autre: agrandir son réseau. Selon elle, le bassin de candidats potentiels pour un emploi devrait toujours tendre le plus possible vers une représentation plus réelle de la société, c’est-à-dire plus diversifiée.
«Le premier pas c’est d’avoir une volonté réelle d’aller chercher le potentiel là où il se trouve», précise la chercheuse. Ce qui ne se fait pas par soi-même. Bien souvent, les entreprises ont tendance à instinctivement limiter leur recherche à leur réseau et leurs références. Résultat? Ils finissent trop souvent par engager des gens qui, au final, leur ressemblent.
Agrandir le terrain de recherches n’est pas simple et demande à ce que les employeurs fassent des efforts supplémentaires pour rejoindre et intéresser de nouveaux candidats. «Il faut que les entreprises créent des réseaux, accèdent à de nouveaux réseaux, notamment par le biais d’associations», explique Tania Saba.
Repérer les biais
Alors, disons qu’un employeur réussit à élargir son réseau et à construire un bassin de candidats diversifiés? «Il y a des risques de reproduire de la discrimination à toutes les étapes et dans tous les processus décisionnels dans une organisation», prévient la professeure.
Et le processus d’embauche est loin de faire exception. Le piège dans lequel beaucoup d’organisations tombent à cette étape? Appliquer des critères biaisés qui font que même s ’il y a de la diversité au sein des candidatures, on finit toujours par engager le même genre de personne.
«Les programmes de diversité visent à rendre visibles les compétences des personnes chez qui, en raison de biais conscients ou inconscients, on ne les voit pas.»
«C’est ce qu’on appelle la discrimination systémique. Ce sont des pratiques qui, à première vue, sont tout à fait légitimes et après on voit qu’elles ont des effets discriminatoires avec le temps», explique Tania Saba. Par exemple, questionner davantage l’expérience ou la scolarité d’un candidat en raison de son origine ethnique ou estimer qu’une femme aura besoin de plus de congés si jamais elle veut un enfant.
La chercheuse précise d’ailleurs que les programmes de diversité, au lieu de «discriminer favorablement» certains candidats, devraient plutôt avoir pour but de placer tous les aspirants employés sur un même pied d’égalité, en réduisant le plus possible l’impact de ces biais.
«Les programmes de diversité visent à rendre visibles les compétences des personnes chez qui, en raison de biais conscients ou inconscients, on ne les voit pas», rappelle-t-elle.
Aller jusqu’au bout
«Dans l’accès, on parle souvent de recrutement, explique Tania Saba. Mais ce n’est pas juste ça. C’est aussi la formation, l’accès aux stages, les avancements, les affectations spéciales». En effet, le travail de bons employeurs qui veulent encourager la diversité se poursuit aussi après l’embauche.
«Si vous recrutez des gens, mais que vous les gardez toujours au même poste juste parce que c’est une statistique, ça ne fonctionne pas», précise la professeure. Elle donne l’exemple de nombreux conseils d’administration au Québec qui se vantent d’avoir 40, 50% de femmes en poste, alors qu’aucune d’entre elles n’a de fonction réellement stratégique.
Pour s’assurer de contrer réellement les biais qui sont discriminatoires, Tania Saba indique qu’il faut prendre conscience de leur présence: «d’abord il faut les repérer, il faut les libeller, apprendre à les reconnaître, faire de la formation là-dessus. Il faut aussi que toutes les personnes qui sont à la base des décisions le sachent et soient imputables».
«Un climat de diversité, c’est quand les personnes ne ressentent pas de microagressions, de remises en cause de leurs compétences.»
La formation doit aussi servir à instaurer au sein de l’entreprise un climat de travail qui donne à tous les employés la même chance se développer. «Un climat de diversité, c’est quand les personnes ne ressentent pas de microagressions, de remises en cause de leurs compétences et où, évidemment, les relations sont harmonieuses entre les employés.»
Comment? En permettant le dialogue et en laissant les gens se plaindre et rapporter les situations à corriger. «Il est plus facile de gérer une entreprise qui n’est pas diversifiée. Parce que tout le monde pense de la même façon, c’est plus facile parfois de faire passer les messages. Or, c’est prouvé que plus les organisations sont diversifiées, plus elles sont performantes», rappelle Tania Saba.
Aller jusqu’au bout
La professeure estime que les entreprises ont passé le stage des calculs quantitatifs et doivent penser plus loin. «C’est une manière de gérer qui doit être intégrée à toutes les sphères de l’entreprise, et non pas “on met une personne en charge de la diversité et c’est réglé”», explique la chercheuse.
«Même les lois en ce moment, il n’y a pas de coercition véritablement. Il y a des vérifications, mais au-delà de ça, il n’y a pas de rapports, pas de pénalités.»
Et ce sont les employeurs qui doivent être ceux qui mènent le changement. Si le Québec est plutôt proactif et a des lois qui empêchent certaines formes de discriminations, les lois censées encourager la diversité sont souvent appliquées selon la volonté des entreprises.
«Même les lois en ce moment, il n’y a pas de coercition véritablement. Il y a des vérifications, mais au-delà de ça, il n’y a pas de rapports, pas de pénalités», précise Tania Saba. La bonne nouvelle, c’est que les employeurs font face à de plus en plus de pression pour encourager la diversité qu’ils s’agissent d’employés, de clients ou tout simplement de la société en général.
Reste à voir quelles entreprises feront le travail jusqu’au bout.
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