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Combien ça gagne, une câlineuse professionnelle?

Portrait d’un métier peu connu, mais qui fait du bien.

Par
Laetitia Arnaud-Sicari
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J’ai rencontré une câlineuse professionnelle spécialisée en consentement. Avant de tomber sur elle, j’avais entendu vaguement parler de ça, mais je n’avais aucune idée que c’était un métier legit, encore moins au Québec. Ma curiosité était piquée et j’ai voulu en savoir plus.

C’est ainsi qu’Alie Valérie Hébert-Gentile m’invite chez Calia Câlinothérapie, entreprise qu’elle a créée en 2018, qui est aussi son chez-soi, dans le quartier Villeray, à Montréal.

On s’était donné rendez-vous à 14h. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Je monte les escaliers qui mènent chez Calia et j’appuie sur la sonnette.

Alie m’ouvre la porte. C’est un accueil chaleureux.

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J’entre et je suis guidée vers l’espace où elle accueille habituellement sa clientèle. Lumière un peu tamisée, une musique zen à peine audible, du mauve et du vert (les deux couleurs favorites d’Alie) un peu partout dans la pièce : c’est cute et cozy. Je me sens confortable.

On s’assoit une en face de l’autre sur le divan. D’entrée de jeu, elle m’explique : « On n’a pas droit d’utiliser le terme “câlinothérapeute”, car le terme “thérapeute” est protégé. Par contre, on peut utiliser “la câlinothérapie”. Il faut juste que tu précises que ce service ne peut pas remplacer un médecin, par exemple. Je ne peux pas te garantir quoique ce soit avec mes services. »

Comment en est-elle arrivée aux câlins?

Quelques années plus tôt, Alie me raconte qu’elle a vécu une crise existentielle. « Je ne savais pas quoi faire de ma vie. Quelqu’un m’a demandé ce que j’aimais faire. Je lui ai dit : “Ben, j’aime manger et faire des câlins” », relate celle qui a enseigné la biologie au cégep pendant un an. « [En janvier 2018], ma blonde m’a dit que quelqu’un aux États-Unis se faisait payer pour donner des câlins. Elle m’a dit que j’étais bonne là-dedans et que je devrais faire ça. »

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C’est au cours du mois suivant qu’Alie fonde Calinae, entreprise prototype de câlins à domicile dans laquelle elle se permettra de commettre toutes les erreurs possibles, et ce, parfois, à son propre détriment. Elle affichait ses services sur Kijiji.

« Environ 70 à 80 % des appels que je recevais venaient de personnes qui pensaient avoir plus qu’un câlin. Je devais tout trier par moi-même. »

« C’était un gros défi, avoir l’air professionnelle et platonique pour ne pas que les gens pensent qu’il y a un happy ending. »

Le but de Calinae était de rendre les gens heureux. Maintenant, c’est Alie qui avait besoin d’aide, six mois plus tard, en juin 2018. « J’ai réalisé que je faisais un burn-out en faisant des câlins, alors que c’est censé être le fun », m’explique-t-elle.

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Lorsqu’elle réalise que quelque chose cloche, Alie entame des recherches afin de voir si des formations existent. « C’est là que j’ai trouvé Cuddlist qui offrait des formations en ligne. Je trouvais ça weird, [le concept] d’apprendre des câlins à distance. Mais en fait, c’était pour apprendre le consentement, parce que tout le monde sait donner des câlins. J’ai appris que, même si le client a payé pour la séance, j’avais le droit de dire non », détaille la câlineuse.

« À ce moment-là, j’ai eu comme une épiphanie. J’ai pensé à toutes les fois où ça m’est arrivé dans ma vie de dire oui, alors que ça ne me tentait pas. Je t’avoue que j’ai braillé. Je me suis dit qu’il fallait que le monde le réalise et qu’il apprenne c’est quoi, le consentement. C’est là que j’ai créé Calia. »

Câlins, prise deux

Même si Calia voit le jour en octobre 2018, ce n’est qu’un an plus tard qu’Alie pourra gagner sa vie de cette façon à temps plein. « Je faisais tout mon argent avec ça. Je faisais des séances individuelles, j’animais un [atelier de câlins] en groupe par semaine ou aux deux semaines », décrit-elle.

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Quand Alie dit qu’elle « faisait tout son argent » avec la câlinothérapie, on parle de 2 000 $ par mois. D’octobre 2019 à janvier 2020, le nombre de client.e.s a oscillé entre 17 à 35 personnes par mois, me précise-t-elle.

Pour les séances individuelles, tu peux soit passer 1h (80 $), 1h30 (110 $) ou 2h (140 $) avec Alie.

Quant aux « ateliers de câlins », chaque personne était facturée 25 $ pour une séance de groupe de 4h.

Puis la pandémie est arrivée en mars 2020. Les mesures sanitaires mises en place pour éviter la propagation de la COVID-19 forceront l’arrêt temporaire des services offerts par Alie. « Je suis devenue préposée aux bénéficiaires à temps plein. Je ne pensais jamais faire ça, mais j’aime ça. »

C’est alors qu’une dame l’appelle pour lui demander son aide. « Il y avait des gens qui donnaient des câlins à travers une pellicule de plastique. Une madame m’a demandé si je faisais la même chose. “Tu l’offres-tu, ça? On en aurait tellement besoin” », me raconte Alie.

Elle inventera le câlinier.

Pendant environ un an, Alie serrera chaque semaine gratuitement, à travers un rideau de plastique orné de quatre manches, des Montréalais.es se sentant seul.e.s à cause de la pandémie, pour une durée de 10 minutes par personne.

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« Finalement, la madame n’est jamais venue. Quand je lui ai dit que je l’avais fait, elle ne m’a jamais répondu », relate-t-elle, en éclatant de rire.

Aujourd’hui, Alie gagne dans les alentours de 400 à 600 $ mensuellement avec la câlinothérapie. « J’ai trois ou quatre clients qui reviennent tous les mois, donc ça fait environ deux clients par semaine. C’est par choix », souligne celle qui préfère « l’équilibre câlins-et-préposée-aux-bénéficiaires ».

Une séance individuelle, ça ressemble à quoi?

« Quand tu arrives ici, je prépare l’espace puis je m’assois dans mon coin et toi, tu t’assois où tu veux. Il n’y a pas de contact physique, on jase un bout. Je veux savoir qu’est-ce qui t’amène ici. Après, on repasse toutes les règles de conduite, on regarde le contrat, on parle du guide du consentement.

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Quand tout est prêt, on fait la promesse. La personne doit essayer le plus possible d’être à l’écoute d’elle-même, de rester le plus honnête possible. Je dois promettre la même chose. Par la suite, on trouve un câlin qu’on a les deux le goût de faire. On reste de même jusqu’à tant qu’un de nous deux ne veuille plus », me résume-t-elle.

Les négociations quant au type de câlin voulu se font selon les cinq compétences du guide du consentement.

« Un câlin, ça peut être tout contact physique platonique. Ça peut aussi être deux doigts qui se touchent. »

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Alie m’explique qu’elle a deux types de client.e.s : les personnes qui se sentent seules et celles qui veulent apprendre le consentement et réapprivoiser le contact physique.

« J’ai eu un client un moment donné qui avait vécu de l’abus dans son enfance. Juste avec l’idée qu’on l’approche, il faisait un black-out. La première fois qu’il est venu, il shakait, il ne me regardait pas. »

« Puis tranquillement, je mettais ma main sur le bras, et après un certain nombre de séances, on était couchés en cuillère. Il avait aussi fait un suivi psychologique avant ça, donc il devait maintenant pratiquer les contacts physiques. C’est l’une des histoires où je me dis qu’on a réussi », raconte-elle.

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« Mon but ultime, c’est que mes clients n’aient plus besoin de moi. Quand t’as intégré le guide du consentement, c’est quand t’es capable de recréer ça ailleurs.»

Vers la fin de notre rencontre, je demande à Alie, qui rêve qu’un jour la câlinothérapie soit reconnue professionnellement, comment les gens perçoivent son métier. « Ça dépend comment tu le présentes, c’est sûr que si tu présentes ça comme : “Je fais des câlins”, les gens trouvent ça cute, drôle, pervers ou bizarre. Mais quand je dis que je fais de la câlinothérapie et que j’apprends le consentement aux gens en faisant des câlins platoniques, les gens réalisent que c’est quelque chose de spécial », constate-t-elle.

« En tant que câlineuse, comment fais-tu pour ne pas t’oublier? », lui demandai-je. Quand je pense aux professionnel.le.s de la santé ou ceux et celles qui œuvrent en relation d’aide, veut veut pas, c’est important de rester empathique et d’être à l’écoute de l’autre. J’imagine que, quand on est constamment connecté.e à autrui, la charge émotionnelle peut parfois être difficile à gérer.

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« C’est pour cette raison que je ne fais pas plus d’un client par jour. C’est ma limite. Après un client, le reste de la journée est à moi. Quand tu enseignes à tes clients de prendre soin d’eux, tu l’apprends toi aussi. Tu deviens meilleure. »