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C’est-tu si pire si je donne de la mélatonine à mon enfant?

Deux experts répondent à la question.

Par
Laurence Niosi
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Faut-il donner ou pas de la mélatonine aux jeunes enfants qui refusent de dormir? La question, délicate, représente une source d’infinies de remises en question et de culpabilisation chez les parents.

Pour démystifier la pratique, j’ai posé la question à deux professionnels de la santé.

« Donnes-tu de la mélatonine, toi, à ton enfant? ». Mon amie accueille la question avec prudence et une touche de suspicion. « Euh, oui, parfois.» J’insiste : souvent? « Plusieurs fois par semaine, mais je n’en parle pas publiquement. » On sent le sujet tabou, contraire à la bienséance. Cette amie n’est toutefois pas la seule à passer aux aveux.

Pour Julie, c’est « un petit 0,25 millilitre » pour sa petite de 3 ans, juste avant le coucher.

Pour Nicolas et Audrey, c’est plutôt 0,5 ML, une suggestion du pharmacien qui a rassuré les parents sur les bienfaits de l’hormone sous forme de suppléments.

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La routine du dodo peut parfois représenter un interminable rituel nocturne pendant lequel l’enfant se lève, joue, chigne, pose des questions existentielles, négocie pour qu’on lui raconte une énième histoire. Les subterfuges pour retarder le coucher sont infinis.

Produite naturellement par le corps, « l’hormone du sommeil » se vend au Canada en pharmacie en vente libre, sous forme de comprimés ou en solution. L’objectif : remédier aux difficultés à s’endormir des enfants comme des adultes en régulant notre horloge interne. Pour les jeunes enfants, une ou deux gouttes dans le biberon du soir ou la tasse à bec suffisent.

Des études faites aux États-Unis comme ailleurs dans le monde révèlent que les parents sont nombreux à donner de la mélatonine à leurs enfants. Environ 18 % des enfants américains âgés de 5 à 9 ans en consomment régulièrement pour s’endormir, et 6 % des plus jeunes âgés de 1 à 4 ans, selon une étude publiée en novembre par le journal JAMA Pediatrics.

D’autres pistes à explorer

Peu de données existent au Québec, mais le pharmacien Christophe Auger remarque un engouement pour ce supplément depuis une quinzaine d’années. Si le produit est généralement sans danger (tout au plus, il peut causer… de la somnolence), il est loin d’être une solution miracle.

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« Si on a mis en place une bonne hygiène de sommeil, et si l’enfant éprouve encore des difficultés à dormir ou à s’endormir, là, oui, on peut essayer la mélatonine », indique-t-il, rappelant que les effets à long terme de la substance sont encore peu connus.

Le pharmacien navigue néanmoins dans un certain flou, Santé Canada n’ayant approuvé la mélatonine pour traiter les troubles du sommeil que chez les adultes. Les doses recommandées pour les enfants sont donc variables d’un professionnel de la santé à l’autre, et même d’un pays à l’autre. La Société canadienne de pédiatrie recommande néanmoins son utilisation de 1 à 3 milligrammes pour les nourrissons et les jeunes enfants.

« Quelle est la bonne dose? On n’en a aucune idée. Mettons que c’est la plus basse qui fonctionne. Moi, je recommande avec le liquide un milligramme et de voir le résultat par la suite », explique Christophe Auger.

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Roger Godbout, directeur du Laboratoire du sommeil pédiatrique de l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies, estime lui aussi qu’il faut explorer d’autres pistes avant la mélatonine, qui de toute façon n’aurait une durée d’action de seulement 1h30.

« Il faut plutôt se demander pourquoi l’enfant dort mal. Est-ce qu’il a peur du noir, est-ce qu’il vit de l’intimidation à l’école, est-ce que son environnement est serein, vit-il des problèmes d’attachement? », indique le professeur au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal.

Il fait une exception dans le cas d’enfants qui ont reçu des diagnostics d’autisme ou du trouble du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH), traités avec des médicaments qui peuvent nuire à l’endormissement. Les études ont prouvé l’efficacité de la mélatonine dans ces cas particuliers.

Pour ce spécialiste du sommeil, donner de la mélatonine à un jeune enfant pour accélérer l’endormissement « pour qu’il soit moins de trouble » n’est pas recommandé. « Il y a des méthodes, de bons livres pour apprendre aux enfants à acquérir une autonomie par rapport au sommeil. Mais la mélatonine ne règle pas ce problème. Les enfants doivent tout de même acquérir cette compétence », conclut-il.

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