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C’est-tu si pire si j’aime pas ça, jouer avec mon enfant?
Jeune, j’adorais jouer. Que ce soit avec mes Barbie, mes déguisements, mon théâtre de marionnettes de Passe-Partout. Je pouvais enchaîner les spectacles comme Jean-Philippe Wauthier enchaîne les décolletés.
J’ai même voulu être comédienne, pour faire du jeu mon gagne-pain. Mais avec le temps, le jeu s’est lentement effacé de mon quotidien, même les jeux de société, faisant place à une carrière, une vie d’adulte et toutes les obligations qui viennent avec. Quand la maternité a cogné à ma porte, j’ai su que c’était ma chance de faire aller mon imagination pour le bénéfice de ma fille et de renouer avec le jeu. Sauf que ça ne s’est pas passé comme ça.
J’ai beau être créative et aimer tout ce qui a une dimension ludique, faire et refaire le même casse-tête de la Reine des neiges pour une 25e fois ou jouer à la cachette avec une petite tannante qui se cache TOUJOURS dans le garde-robe, ça manque de variété, et c’est moins le fun que je pensais.
DOCTEUR, SUIS-JE NORMALE ?
Pour comprendre davantage les bénéfices du jeu chez l’enfant et essayer de raviver ma motivation, j’ai discuté avec le docteur Jean-François Chicoine, pédiatre au CHU Sainte-Justine et professeur agrégé en pédiatrie à l’Université de Montréal. Tout de suite, il me réfère aux écrits de Raymonde Caffari-Viallon, spécialiste de la petite enfance :
« Le jeu est un apprentissage du monde, de l’autre et de la relation, c’est avec son aide que l’on grandit, c’est en lui que plongent les racines de la vie intérieure. C’est en jouant qu’il faut entrer dans la vie. »
Jouer avec son kid, c’est lui montrer le chemin de l’exploration. C’est bien beau, les câlins, mais le lien d’attachement que l’enfant crée avec son parent se solidifie par le jeu. Plus concrètement, « se rouler par terre, découvrir une aire de jeux ou déballer un cadeau, ça engendre du plaisir, ça stimule le système de motivation, ça libère des endorphines, de la sérotonine, de la dopamine et ça crée du réconfort », explique le Dr Chicoine. C’est ce qu’on appelle la fonction d’activation, c’est-à-dire la stimulation des neurones dans le but de favoriser l’apprentissage et le plaisir. Se taquiner, jouer et avoir du fun, ça nourrit les circuits limbiques et préfrontaux, ce qui agit sur la sécurité affective et le comportement émotionnel.
Un enfant de moins de 7 ans doit pouvoir jouer librement 3 heures par jour, dont une heure de façon active, comme dans une structure de jeu au parc. Le parent laisse son enfant grimper, glisser, explorer, en le surveillant de loin, sans le surprotéger. Le petit degré de risque étant souhaitable (on se souvient de l’article de La Presse sur le sujet en janvier dernier). « Le parent n’a pas à intervenir dans ce qui se passe. Il est responsable du lieu, des objets mis à la disposition de l’enfant, mais il n’est pas partie prenante du jeu, il en est le gardien », explique le pédiatre.
Autrement dit, dans le scénario de ma fille, je ne suis pas la Reine des neiges, mais plutôt Sven ou Hans (ceux qui savent, savent).
PASSIF MOINS AGRESSIF
Après un petit sondage autour de moi, je me suis rendue compte que pour plusieurs parents, jouer avec son enfant et embarquer dans son monde imaginaire peut devenir souffrant. C’est là que le Dr Chicoine m’a expliqué une chose qui a complètement bouleversé ma façon d’aborder le jeu : lorsque notre petit revient de la garderie, il a déjà été bien stimulé. « Un “bon” parent n’a pas à jouer avec son enfant, il doit plutôt pouvoir permettre à l’enfant de jouer avec lui de 20 à 30 minutes. C’est l’enfant qui choisit l’activité, le parent se laisse faire, effectue des commentaires au passage, mais sans en faire trop. » L’enfant renforce ainsi son lien d’attachement, est rempli de sensations, d’émotions et d’apaisement, ce qui facilite la discipline qui s’ensuit pour la routine du soir.
Cette affirmation m’a presque instantanément retiré un poids des épaules. Mon appréhension du jeu avec ma fille venait du fait que je me sens obligée de participer activement, d’être originale, drôle, divertissante.
C’est comme si je m’imposais une pression de performance, pour être à la hauteur de l’imagination de ma fille.
Si j’applique les mots du pédiatre, le côté plus « passif » de l’implication du parent change tout pour moi. La pression diminue et je me sens plus disposée à embarquer dans l’imaginaire de ma fille, sans devoir trop me creuser le coco.
Si mon interprétation d’Olaf ne mérite pas un Oscar, c’est pas grave, ma fille joue quand même et en retire tous les bénéfices.
À VOTRE TOUR DE DIRE « NON »
À partir de 3 ou 4 ans, on peut même se permettre de dire non à son enfant, si on est trop épuisés ou que la motivation n’y est pas. L’enfant va mieux saisir la situation et finir par faire preuve d’autorégulation. Avec le temps, il s’activera autrement. « C’est aussi le bon moment pour lui donner des choix, tous acceptables pour le parent, qui lui donneront l’illusion de décider. », ajoute le docteur.
Ma fille joue de plus en plus seule, mais pendant longtemps, j’ai senti qu’elle voulait nous impliquer dans ses jeux par peur de la solitude. Selon le spécialiste, il y a de plus en plus d’enfants anxieux, qui ne veulent pas jouer en solo de peur de disparaître aux yeux d’autrui. Il suggère alors quelques trucs, par exemple de commenter le jeu de son enfant à distance, à l’aide d’un « faux micro », par exemple, ou d’installer une longue écharpe ou un fil à tenir entre l’enfant et le parent.
C’est symbolique, comme un cordon ombilical, et ça aide l’enfant à s’individualiser pendant que le parent peut préparer le souper, ou lire un texte qui ne comprend pas obligatoirement un animal qui parle.
JOUER « BIS »
Il faut garder en tête que même si la répétition peut fatiguer un parent, elle est primordiale pour l’enfant. Elle sert à le rassurer, à le sécuriser. Par le jeu, l’enfant peut reproduire des situations angoissantes vécues dans la journée, ce qui lui permet d’évacuer son stress et de mieux s’accommoder au réel.
Il est possible de trouver un terrain commun avec son coco ou sa cocotte, de partager des intérêts. La majorité des enfants aiment le plein air et n’importe quel type de musique peut servir de trame sonore pour les faire se trémousser. Préparer un repas est une activité participative, ou lire chacun son livre côte à côte est un beau moment partagé.
On oublie aussi que les parents ont beaucoup plus d’imagination que les jeunes, même s’ils s’en servent moins souvent.
L’important, c’est de se rendre disponible au jeu, sans avoir à l’inventer de toute pièce. On fait confiance à la situation et on se laisse déstabiliser par le moment présent. Il y a quelque chose de méditatif dans le jeu, si on décide de s’y abandonner. On dit que l’appétit vient en mangeant, alors peut-être que le plaisir du jeu vient en jouant?
Dorénavant, je vais me laisser guider par l’imagination florissante de ma fille, sans trop angoisser par rapport à la qualité de ma performance théâtrale. De toute façon, s’il y a un endroit où je peux gagner un Oscar pour vrai, c’est bien dans l’imaginaire de ma fille. Et à force de jouer, je finirai bien par me sentir libérée, délivrée….