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C’est-tu déprimant, travailler en environnement en 2026?
Mauvaises nouvelles, reculs politiques : des militants racontent comment transformer les déceptions en mobilisation.
Dans un milieu où les mauvaises nouvelles s’accumulent tels des bas orphelins dans un tiroir, la résilience n’est pas un choix, mais une nécessité pour les militants écologistes, qui apprennent à transformer les déceptions en mobilisation.
Pour mieux comprendre leur quotidien, je me suis entretenue avec deux militants qui illustrent cette réalité : Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec, et un employé d’un des plus grands organismes environnementaux du pays qui a préféré garder l’anonymat.
Le stress constant des reculs politiques
Quand je parle de mauvaises nouvelles, vous vous doutez peut-être que je fais allusion à la suppression du plafond prévu sur les émissions, la relance de projets pétroliers et oléoducs, des engagements climatiques délaissés, la démission de Steven Guilbeault… À ce sujet, Alice-Anne et l’employé anonyme admettent ne pas être surpris par ce dénouement.
L’employé anonyme ajoute : « La démission de Steven Guilbeault n’était pas vraiment une surprise, mais plutôt la confirmation que quelque chose est brisé. Il incarnait l’idée que le système peut changer de l’intérieur. Là, disons que ça inspire moins confiance. »
Une perte de confiance loin d’être anodine et qui alimente une impression de fragilité. Pour beaucoup, c’est aussi un rappel que les victoires politiques ne sont jamais acquises, même lorsqu’on croit avoir gagné du terrain.
Un quotidien éprouvant
Alice-Anne Simard raconte la réalité de son équipe: « Il y a des journées où c’est sûr qu’on est un petit peu plus découragé. »
Elle ne le cache pas, l’année 2025 a été assez éprouvante. C’est en étant solidaires que ses employés restent motivés : « Parfois, certaines personnes sont plus découragées une journée, des fois c’est d’autres. On essaie de se serrer les coudes et de ne pas lâcher. »
Pour elle, la solution passe par l’action :
« Le remède, c’est l’action. »
« Même moi, des fois, je me dis : est-ce que je pleure en boule dans un coin de ma chambre ou je me retrousse les manches ? Chaque matin, je me lève, puis j’essaie d’améliorer les choses. J’aime mieux agir. »
Comme moi, vous serez sans doute déçu d’apprendre que l’option pleurer en boule dans un coin de sa chambre, bien qu’invitante, voire carrément envoûtante, n’est malheureusement pas reconnue comme une stratégie de transition écologique.
De son côté, l’employé anonyme me confie avoir vécu un épuisement professionnel après 5 ans de militantisme. D’un ton moqueur, il ajoute que c’est quand même nice, 5 ans : y’en a qui sont en burn out après seulement 1 an! Au bout du combiné, je ris nerveusement, mais c’est alarmant. Depuis qu’il travaille dans le milieu, cet employé voit l’ambiance générale osciller entre fébrilité et essoufflement : « On est en ébullition, il y a un côté motivant, parce qu’on sent l’urgence… mais en même temps, on encaisse beaucoup de mauvaises nouvelles. »
L’urgence comme moteur, c’est efficace. Personnellement, ça m’a permis maintes fois de commencer et de terminer un travail de fin de session la veille de sa date de remise. Comme quoi, il ne faut jamais sous-estimer à quel point on peut être efficace quand on carbure exclusivement à la peur et au café instantané.
La prévention et l’accompagnement
Plus sérieusement, Alice-Anne m’explique que chez Nature Québec, la prévention est au cœur de la gestion des équipes :
« Nous travaillons quatre jours par semaine, 32 heures, avec des salaires maintenus. On a beaucoup de congés et des horaires flexibles. Si, pour une journée, vous avez besoin d’aller marcher dans le bois, allez marcher dans le bois. Pas besoin de se justifier. On essaie de diminuer les attentes pour que les gens puissent accomplir ce qu’ils veulent sans s’épuiser. »
Pour que cette méthode fonctionne, elle me donne un exemple :
« Je ne travaille pas 50 heures par semaine. Je prends du temps avec ma fille, je prends des congés. »
« Il n’y a pas que le travail dans la vie. »
Dans d’autres organismes, la prévention est plus limitée. L’employé anonyme décrit un système centré sur la guérison plutôt que sur la prévention :
« Nos assurances couvrent deux séances et demie de psy par année. C’est plus guérir que prévenir. Il n’y a pas de vrai safe space pour nommer ce que les mauvaises nouvelles font au corps et à l’esprit. »
Deux séances et demie, c’est scientifiquement insuffisant pour prévenir un épuisement ou traiter un trouble. Une amélioration notable de l’état apparaît généralement après 13 à 18 séances. De mon côté, après deux séances, on avait à peine couvert mon étrange phase où j’étais obsédée par Anne Dorval (entre 2006 et 2008 pour les curieux).
En marge d’une société déconnectée
Un facteur qui a contribué à l’épuisement de l’employé anonyme, c’est le décalage entre le milieu militant et la société : « Dans mon entourage, très peu de gens partagent la même urgence. On entend souvent dire qu’on devrait changer de domaine. Mais travailler ailleurs, c’est fuir le problème. Je pense qu’un jour, les gens devront développer leur propre éco-anxiété pour comprendre. Ce n’est pas une faiblesse. C’est juste être lucide. »
C’est sûr que ça peut-être tentant de se construire un petit nid douillet dans l’indifférence, mais ce n’est certainement pas un comportement rationnel.
Quand je lui demande comment on rebondit après un épuisement professionnel, il me raconte un retour au travail fragile qui a nécessité un travail intérieur ; une quête pour retrouver un certain sens. Cette quête consiste à se décharger du poids de sauver la planète en adoptant une nouvelle philosophie : « Je ne sauverai peut-être pas la planète, mais je vais faire chier ceux qui nous mènent au gouffre ».
Dis donc, j’aime le franc-parler de ce jeune homme.
Continuer malgré tout
Malgré la surcharge, les reculs et l’inquiétude, Alice-Anne a confiance que les militants ne cesseront pas les efforts : « Oui, les gens sont surchargés, mais en même temps, ils sont passionnés, ils ont de l’espoir, et ils ont des moments de découragement. L’idée, c’est qu’on essaie de se soutenir les uns les autres. Ensemble, on réussit à faire ces belles choses-là. »
L’employé anonyme conclut lui aussi sur une note de résilience : « Le mouvement écologique fonctionne par cycles d’avancées et de reculs. En ce moment, on est dans un creux de vague, mais on a assez touché le fond du baril pour espérer que 2026 sera une remontée. »
Donc, est-ce que les militants écologistes vont bien? Ils ne pètent pas le feu, mais c’est exactement pour ça qu’ils continuent. Pour les aider dans leur lutte, un accompagnement en psychothérapie (on croise les doigts pour plus de 2 séances) représenterait une solution concrète. Par contre, ce n’est pourtant pas d’hier que les organisations, tous domaines confondus, préfèrent guérir plutôt que prévenir, la santé mentale étant encore trop souvent perçue comme une responsabilité individuelle plutôt qu’un enjeu organisationnel. Dans ces cas, la prévention et l’accompagnement psychologique sont vus comme un bonus plutôt qu’un service essentiel.
En attendant l’arrivée de thérapie de longue durée couverte dans tous les milieux de travail, continuons de soutenir les militants écologistes alors qu’ils travaillent fort pour faire chier ceux qui nous mènent au gouffre.
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