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Cession de bail : l’un des derniers leviers des locataires affaibli

Voici tout ce que vous devez savoir sur le projet de loi 31.

Par
Léopold Picot
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Si vous êtes sur des groupes Facebook de location de logements ou que vous suivez des associations engagées pour le droit à un toit, vous n’avez pas pu passer à côté : le projet de loi 31 de la CAQ sur l’habitation vient d’être adopté.

Sur les réseaux, c’est la débandade : de nombreux locataires s’alarment. « Je cède mon bail avant la fin de la cession de bail », « dépêchez-vous, si vous voulez quitter votre appartement avant la mise en place de la loi ».

Pas vraiment une « fin »

Bon, c’est plus compliqué que ça. Entre Gabriel Nadeau-Dubois qui a carrément parlé « d’interdiction », et la ministre responsable de l’Habitation France-Élaine Duranceau qui se défend en disant que la cession de bail n’est pas interdite et que Québec Solidaire fait de la « désinformation », les deux ont un peu raison, mais jouent beaucoup sur les mots.

En soi, la cession de bail est toujours autorisée, mais il sera beaucoup plus compliqué pour le locataire de la négocier.

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Avant, un proprio ne pouvait pas vous refuser une cession de bail, sauf en cas de motif sérieux. Par exemple, si le locataire intéressé à reprendre le bail ne payait pas ses précédents loyers. Désormais, un proprio pourra refuser beaucoup plus facilement. En contrepartie, vous pourrez, si votre proposition de cession est refusée, simplement quitter votre logement… ce qui entraînera, si le propriétaire le veut, une augmentation du loyer.

Parce que c’est bien ça, l’enjeu de cet article de la loi 31 : la cession de bail, c’était un peu une façon informelle pour les locataires de contrôler les prix des loyers. En cédant le bail d’un locataire à un autre, le propriétaire d’un logement ne pouvait pas augmenter le loyer de manière abusive.

La cession : le rempart des locataires

« C’était un des derniers leviers qu’on avait pour garder les loyers à un prix accessible », regrette Simon-Olivier, 35 ans, qui habite dans le centre-ville de Québec. Pour un 6 ½, il paie, avec ses colocataires, seulement 860$, grâce au bail qui s’est passé de locataire en locataire depuis des années. « C’est peu, mais il semble y avoir une fixation chez les propriétaires qui se disent : “faut que j’augmente le loyer pour être dans la moyenne.” Comme si un logement devait nécessairement être cher », regrette le trentenaire.

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Simon-Olivier ne croit pas du tout que la loi aidera à encadrer les pratiques parfois abusives des propriétaires. Il l’a bien vu chez ses nouveaux voisins : « Il n’y a pas eu de cession de bail. Le propriétaire a changé des choses cosmétiques, ajouté une thermopompe, et hop, le loyer a doublé, pour une même surface. » D’où l’effet pervers de la loi : le groupe propriétaire du logement de Simon-Olivier pourra, par exemple, refuser la prochaine cession de bail sans motif sérieux. Grâce à cette loi, ce dernier pourra certes quitter son logement, mais les propriétaires pourront aussi augmenter le loyer des prochains locataires dans la foulée, et ça fera un logement abordable de moins sur le marché.

Comprendre la loi, tout un défi

Simon-Olivier craint surtout que la loi se complexifie et précarise davantage les familles défavorisées qui ne connaissent pas leurs droits, en tant que locataires.

« Le fond du débat, c’est que c’est déjà bien compliqué de comprendre la loi et de faire valoir ses droits… »

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« Encore récemment, j’ai aidé une famille d’immigrés originaires du Mexique à comprendre leurs droits, et les associations de défense d’aide aux locataires sont débordées », ajoute Simon-Olivier.

La cession pour fuir un logement mal géré

Mathilde*, une enseignante montréalaise de 46 ans, partage ces inquiétudes, elle qui juge que la cession de bail l’a déjà « sauvée ». Il y a quelques années, elle emménage dans un logement d’un quartier populaire de Montréal, et constate rapidement que la gestion de l’immeuble est déficiente : « L’immeuble avait régulièrement des coupures d’eau chaude, même en plein hiver, et il n’y avait pas d’électricité dans les aires communes. »

Elle est aussi confrontée à des problèmes dans la gestion du paiement de son loyer, les copropriétaires du logement étant au cœur d’une querelle familiale. « Finalement, j’ai décidé de partir parce que ça pesait trop sur ma santé mentale. J’ai trouvé quelqu’un qui acceptait de reprendre mon bail en connaissance de cause, et avec l’accord d’une des copropriétaires. C’est pour ça que je dis que la cession de bail m’a sauvée », conclut Mathilde.

*Prénom fictif.

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Un projet de loi qui facilite la discrimination?

Ce qui en inquiète aussi plusieurs, c’est que le projet de loi 31 pourrait faciliter la discrimination dans la sélection des locataires, puisque le propriétaire pourrait facilement refuser un transfert pour un motif autre que sérieux.

C’est ce qu’estime Kim, une Montréalaise de 32 ans qui travaille dans le milieu judiciaire. De prime abord, elle n’est pas contre le projet de loi, comme elle juge normal que des propriétaires puissent vouloir augmenter leurs prix après des années de loyer très en deçà du prix du marché.

En revanche, elle a constaté des abus de la part de propriétaires dans le choix des locataires lors de transferts de bail. Elle s’inquiète que le nouveau dispositif permette aux propriétaires d’être encore plus sélectifs, et d’ainsi multiplier les refus de potentiels locataires lors de reprises de baux : « Il y a quelques années, je voulais transférer un bail. J’ai essuyé beaucoup de refus de la part de la propriétaire. Je la connaissais bien, et j’essayais de l’accommoder. Mais elle avait des conditions très particulières : elle ne voulait pas de personnes immigrantes, pas de familles trop grandes, pas d’animaux… »

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Pas que du négatif

Bon, tout n’est pas négatif en ce qui a trait à cette nouvelle loi! Allez, je vous laisse avec un peu de lumière.

Parmi les points positifs, la loi renforce l’obligation des propriétaires, en cas de hausse du loyer, de proposer aux locataires de refuser l’augmentation et de rester tout de même dans le logement.

Les « rénovictions » seront aussi plus compliquées et pourront être contestées plus facilement. Vous pourrez également obtenir une compensation financière si vous habitez depuis un certain temps dans le logement et que le propriétaire souhaite le récupérer.