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Ces vêtements de travail qui ne sont pas conçus pour les femmes

Parfois ça freine l’entrée des femmes dans certains métiers, parfois c’est carrément dangereux.

Par
Anne-Sophie Poiré
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Le monde n’est pas conçu pour les femmes. C’est du moins ce qui ressort du livre Invisible Women. Exposing Data Bias in a World Designed for Men, paru le mois dernier. La journaliste britannique Caroline Criado-Perez y dénonce l’«invisibilité» des femmes dans la conception d’objets, allant du téléphone cellulaire, généralement trop grand pour les mains des femmes, aux vêtements professionnels.

Même la norme de température dans les bureaux américains, optimisée dans les années 1960, a été établie en fonction du métabolisme de base d’un homme moyen âgé de 40 ans et pesant 70 kg.

La récente annulation par la Nasa de la première sortie spatiale exclusivement féminine, «en raison d’un problème vestimentaire», renforce le propos de la journaliste. Le 29 mars dernier, les astronautes Anne McClain et Christina Koch devaient sortir de la Station spatiale internationale. La présence de McClain a cependant été annulée: le temps manquait pour configurer un deuxième torse de combinaison en taille moyenne.

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Les combinaisons de la Nasa ont été conçues en 1974, et n’ont jamais été remplacées depuis.

Des vêtements qui fittent pas, c’est dangereux

Paulette Kaci, directrice générale de Vestechpro, un centre de recherche en habillement affilié au cégep Marie-Victorin, explique que le développement de vêtements avance lentement. «Dans l’industrie, on ne réfléchit pas trop à adapter les vêtements au corps de la femme dans les métiers historiquement masculins, comme l’armée ou la police, bien qu’il commence à y avoir une certaine féminisation de ces professions», dit-elle. Et un vêtement mal conçu augmentera nécessairement les risques d’accident.

Dans un article du Guardian paru le 23 février, Caroline Criado-Perez relate plusieurs cas où le matériel de protection des forces de l’ordre n’était pas adapté à la morphologie des femmes. Par exemple, en 1997, une policière a été poignardée et assassinée au Royaume-Uni alors qu’elle pénétrait dans un appartement à l’aide d’un bélier. Embarrassée par son gilet pare-balles, elle avait du le retirer.

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Deux ans plus tard, une autre policière britannique révélait avoir subi une réduction mammaire pour entrer dans son gilet pare-balles. Dans la foulée, 700 autres officières ont dénoncé des situations similaires.

L’unisexe, c’est pas pour le travail

Comme Paulette Kaci, Nicole Vézina ne croit pas que le vêtement unisexe soit approprié au monde du travail. «La femme a des seins, des hanches, elle n’exécute pas les mouvements de la même façon qu’un homme.»

«La femme a des seins, des hanches, elle n’exécute pas les mouvements de la même façon qu’un homme.»

La professeure au département des sciences de l’activité physique de l’UQAM et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes cite l’exemple des gants de travail, ayant elle-même étudié le dossier. «Les grandeurs ne conviennent pas aux mains des femmes. Une quantité d’entre elles travaillent avec des gants trop grands. Pourquoi fabriquer différentes tailles de souliers, mais très peu pour les gants?»

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Paulette Kaci milite depuis plusieurs années pour la modification de la charte de mesures corporelles. Vestechpro a réalisé une vaste campagne de mensurations afin d’actualiser les références de morphologies canadiennes. Elle note pourtant beaucoup de résistance de la part des organisations.

«Ce n’est pas parce que tu fabriques un casque de construction rose qu’il devient ergonomique pour les femmes.»

Car, selon elle, l’intégration de cette nouvelle charte pourrait bousculer les consommateurs et les entreprises. «Un vêtement qui génère de l’inconfort peut provoquer des accidents de travail. Ce n’est pas parce que tu fabriques un casque de construction rose qu’il devient ergonomique pour les femmes.»

«Pour effectuer une transformation, il doit y avoir une motivation, ajoute Nicole Vézina. C’est un créneau à prendre, mais on le dit depuis des années. C’est difficile pour des femmes en minorité dans un milieu de travail de motiver leur employeur à diminuer leurs contraintes. Il faudrait une obligation ou une motivation au niveau de la santé et sécurité au travail, par exemple.»

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Selon elle, toutefois, un fabricant se lançant dans la conception de vêtements de travail pour femmes deviendrait rapidement indispensable. En plus de générer un sentiment de confort et de considération, des vêtements travail bien adaptés peuvent aussi ouvrir les portes d’un nouveau marché.