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Ces parents qui mettent des AirTags à leurs enfants

A-t-on vraiment besoin de savoir en tout temps où se trouve notre progéniture?

Par
Alexia Boyer
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Quand notre enfant part jouer au parc ou chez un.e ami.e en solo pour la première fois, on ressent toujours une légère angoisse. D’un côté, on veut que notre enfant explore sa liberté, mais en même temps, on aimerait s’assurer que tout se passe bien (sans l’étouffer, évidemment).

La solution, selon plusieurs parents? Avoir recours aux AirTag, ou à leur équivalent, pour savoir en tout temps où se trouve leur progéniture.

J’ai discuté avec deux mères et une experte en droit des enjeux que soulève cette pratique.

Quessé ça, un AirTag ?

Les Airtag, ce sont de petites pastilles métalliques conçues pour aider à localiser les objets perdus, comme des clés ou un sac. Ces traceurs émettent un signal Bluetooth qui permet de les géolocaliser à l’aide du téléphone intelligent qui leur est associé.

Toutefois, l’usage de cet outil a rapidement été détourné pour en équiper, notamment, des enfants. Le 27 août dernier, une Montréalaise a d’ailleurs retrouvé sa fille de six ans « égarée » par son autobus scolaire grâce à la géolocalisation du AirTag que la petite avait dans son sac à dos, comme l’a rapporté Le Journal de Montréal.

« Mon but, c’est d’être capable de retracer mon enfant si je le perds dans une foule, ou dans un cas d’enlèvement », explique Sophie.

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La mère d’une fille de cinq ans et d’un garçon de huit ans dit avoir surtout recours aux AirTag dans des contextes où on peut rapidement perdre un enfant de vue, comme dans les festivals ou les parcs d’attractions. « Si le AirTag peut me permettre de prévenir un drame, ou de réagir plus rapidement s’il s’en produit un, c’est mon droit de l’utiliser », déclare-t-elle.

Flou juridique

Peut-on réellement parler d’un droit dans cette situation? La réponse est assez nuancée. « Cette question fait partie de celles, relativement nouvelles, engendrées par le développement des technologies et qui n’ont pas été anticipées par le droit », explique la professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM Valérie Costanzo. « C’est un très bon exemple des pratiques sociales qui se développent en parallèle. »

« Les enfants ont un droit à la vie privée, qui est modulé en fonction du devoir que les parents ont de s’assurer de leur bien-être », ajoute la spécialiste des droits de l’enfant.

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En effet, l’autorité parentale implique la surveillance des enfants. Les lois qui s’appliquent au Québec ne précisent toutefois rien au sujet d’une surveillance qui serait exagérée.

De plus, bien que l’autorité parentale s’exerce jusqu’à ce que les enfants atteignent la majorité, « on reconnaît de plus en plus une autonomie graduelle aux enfants, comme avec le droit de consentir seuls à leurs soins de santé à partir de 14 ans », fait remarquer Mme Costanzo. Devrait-on appliquer ce même principe à la surveillance des enfants à partir d’un certain âge?

Bénéfique pour les enfants?

La belle-fille de Sophie a ainsi porté un AirTag lors de ses trois ou quatre premières sorties en ville avec ses amies alors qu’elle était âgée de 14 ans. Si la jeune fille avait initialement refusé la proposition de ses parents d’utiliser un tel outil, elle a ensuite accepté, le temps de se sentir plus à l’aise dans ses déplacements à Montréal. « L’objectif, c’est aussi d’aider l’enfant à trouver sa propre sécurité et à se détacher progressivement », explique Sophie.

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Le besoin de se rassurer est, en effet, la première motivation des parents qui ont recours aux traceurs. « Le sentiment de sécurité de la société actuelle a été brisé par tous les drames dont on entend parler dans les médias », ajoute Sophie.

« Nous surveillons surtout la localisation du AirTag lors de sorties scolaires », complète Pauline, dont les filles de cinq et sept ans en ont un accroché à l’anse de leur sac à dos.

Bien qu’il parte souvent d’une bonne intention, le recours aux AirTag peut parfois se révéler néfaste pour l’enfant. « Un excès de protection empêche les enfants de vivre certains risques qui sont bénéfiques pour leur développement », précise Mme Costanzo. Consciente de cet enjeu, Sophie équipe ses enfants de AirTag uniquement à certaines occasions. « Je n’ai pas envie de leur transmettre cette peur. C’est pour cette raison que je limite l’usage des AirTag et qu’ils n’en ont pas à l’école ou au parc », confie-t-elle.

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S’accorder avant toute chose

Toutefois, lorsque les parents se séparent, il arrive que les enfants soient instrumentalisés pour maintenir un contrôle sur un ex-conjoint, surtout en contexte de violence. Équiper un enfant d’un AirTag pourrait alors être la preuve d’une tentative d’entraver la liberté de l’autre parent.

« La loi prévoit que l’autorité parentale est partagée de manière égale entre les parents et s’exerce de manière solidaire, même quand les parents sont séparés », explique Mme Costanzo. Un parent qui prend l’initiative d’équiper son enfant d’un AirTag devra donc consulter l’autre parent. « En cas de conflit, il est possible d’avoir recours au tribunal pour trancher, bien qu’à ma connaissance ça n’ait encore jamais eu lieu. »

Enfin, Mme Costanzo suggère de s’interroger également sur le niveau de contrôle que des adultes exercent sur les enfants : « Quel est le traitement des enfants, et le respect de leur dignité ? ».

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