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Ces « moments »

Par
Véronique Grenier
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Avant même de penser avoir des p’tits, je songeais souvent à la maternité, à la grossesse surtout. J’y pensais parce que je n’étais notamment pas si certaine de souhaiter vivre ces chôses, d’enfanter, d’avoir mes p’tits à moé. J’oscillais.

J’ai des années de carnets remplis de mots à propos de ces oscillations. Même si j’avais toujours eu des affinités avec les enfants, que j’aimais m’en occuper, les garder, que j’affectionnais l’idée d’une progéniture qui me soit propre et que j’aurais gossée avec un être bien aimé, j’avais des raisons, des peurs, des jesaispastrop qui m’empêchaient de me dire que c’était un passage obligé, les bébés, que je devais, qu’il me fallait.

Sauf que. Je me voyais me flaflatter la bedaine. Je voyais l’être bien aimé papoter à ladite bedaine. Je me voyais aussi lire des histoires à ce qui en sortirait. Ça, je le voyais tellement clairement. J’entendais même le bruit des pages tournées, nos rires. En arrière-fond, il y avait bien les soins, les boires, les larmes, mais c’était un peu brumeux. Notamment parce que je ne savais pas, encore, ce que c’était vraiment. T’as pas les moyens de le savoir avant de le vivre. Mais je me voyais bien faire ça, lire des histoires, respirer du creux de joue, bercer. Je m’attachais à ces idées-événements. Elles m’habitaient la tête.
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J’ai une amie qui se voit faire des conserves, avec ses p’tits à venir. C’est à cela qu’il ressemble son bonheur. Une cuisine avec des grandes fenêtres, un jardin, de la campagne généreuse. Ils font des conserves, tous ensemble. Quand elle en parle, son regard gagne un ton de doux, de loin. Y’en a qui se voient jouer au hockey, d’autres aller à la mer. À chacun son idée. Une idée belle, une idée fixe qu’on se plaît à tourner dans son esprit. À laquelle on peut penser quand le reste est gris. Des moments figés ben serrés. Qu’on peaufine. L’odeur, les vêtements portés, les sensations éprouvées. Des moments qui deviennent des bouts d’une réalité qu’on souhaite, espère. Ce sera ça. Pis je serai bien à ce moment-là. C’est surtout ce dernier bout, j’pense, qui nous porte : la certitude de l’être bien. L’idée qui se fait refuge.
u know
Ça a aussi fait cela quand le père des p’tits m’a embrassée le jour de notre mariage, quand on a emménagé ensemble, quand ce genre d’affaires. J’me dis qu’on vit peut-être un peu pour ces moments. Entre eux, y’a le reste qui coule qui fuit qui souffre. Et y’a ces idées. Qui nous permettent de croire au beau du réel, à son mou, son sucré. Ça se peut, aussi, que le moment ne soit pas l’idée. Pantoute, fuck all. Que le réel fasse sa job d’être lui-même et complexe. On dit souvent qu’il ne faut pas avoir d’attentes, que si nous en avons, il ne faut surtout pas s’y attacher, la douleur résidant dans cet attachement [bouddhisme très 101 ou stoïcisme très 101, je te laisse choisir ton école].
C’est pas faux.
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Mais me semble qu’une vie sans attentes, sans ces idées sweet qu’on se tourne en boucle, ces à-vivre, j’aurais moins le goût de m’y agiter. Ça prend des jalons sul chemin du bonheur. Faut se voir être heureux keke part. Comme ça, quand ça arrive, on est en terrain connu pis la chienne ne nous pogne pas. On se regarde le content pis on sourit ben fort en dedans.
Illustration de : Gabrielle Laïla Tittley
J’existe aussi là : Les p’tits pis moé, pis .