Selon les données de l’Enquête québécoise sur le tabac et les produits de vapotage publiées en mai dernier, environ une personne sur dix fumait la cigarette en 2023. Un chiffre qui ne semble toutefois pas inclure toutes ces personnes qui fument en cachette
J’ai connu l’époque où l’on pouvait fumer dans les bars, les restaurants, les centres d’achat, et même dans les corridors de l’UQAM. Quand je repense à la Player’s Light fumée à la sortie d’un cours, assise sur un petit banc pivotant du pavillon Judith-Jasmin, la gorge me pique. Et quand je repense à l’odeur de mes cheveux et de mes vêtements après une soirée bien arrosée au Diable Vert, le cœur me lève. Malgré tout, quand j’ai un verre dans le nez et qu’une amie m’offre une cigarette, je suis la plupart du temps incapable de la refuser. Ce vice caché me donne le sentiment d’être en vacances, d’avoir enfin un break de ma vie. Je sais que c’est pas bon pour la santé, que je ne devrais pas… mais fuck toute.
C’est cette petite délinquance, cette pause, ce me time qui nous manque cruellement quand on est parents, que les mères à qui j’ai parlé vont chercher lorsqu’elles se permettent une petite cigarette.
Si chacune s’assume plus ou moins, aucune ne veut que son nom soit mentionné dans cet article. Effrayées à l’idée de se faire juger, elles sont pourtant beaucoup plus nombreuses qu’elles ne l’imaginent. J’ai quand même pris soin de camoufler leur véritable identité en utilisant d’autres prénoms.
Fumeuse, moi? Non, non!
C’est le soir, quand ses enfants sont couchés, que mon amie Dominique sort pour en griller une. Ou deux. « Je fume juste deux cigarettes par jour. Je ne suis pas une fumeuse », dit celle que j’ai pourtant déjà vue sortir le bac de recyclage au beau milieu d’un souper de filles pour pouvoir prendre une puff à l’abri du regard de ses enfants.
Pour cette fumeuse non assumée (qui fume pas mal plus que deux cigarettes par jour quand elle passe une fin de semaine dans un chalet), impossible de dire la vérité à ses enfants. Elle a d’ailleurs inventé une histoire sans queue ni tête à sa fille qui l’a récemment aperçue avec une cigarette à la main. Comme quoi il vaut mieux passer pour une menteuse que pour une fumeuse!
« À première vue, ça semble être un bon réflexe de cacher à nos enfants qu’on fume, mais on leur ment. Mieux vaut s’assumer et montrer qu’on n’est pas parfait », affirme la psychologue Nadia Gagnier.
Selon cette dernière, Dominique aurait dû profiter de l’incident pour avouer ses travers et faire un peu d’éducation. « Fumer est une habitude qu’il ne faut pas banaliser ni dramatiser. Le juste milieu, c’est l’éducation. »
Jouer à la cachette
« J’aime ça, me cacher pour fumer. Ça rend ça plus excitant. » C’est ce que m’a avoué Chantale, accroupie dans le bois, au chalet, surveillant la possible apparition de son enfant. Cette dernière prend d’ailleurs un malin plaisir à trouver le bon moment pour aller s’en griller une sans se faire pogner. « J’ai l’impression que ça ajoute à l’interdit. Et l’interdit, quand t’es parent, il n’y en a pas beaucoup. »
Pour la psychologue, si un parent contrôle sa consommation et est capable d’attendre que son enfant ne soit pas là pour fumer, tant mieux. « Si je ne suis pas accro, pourquoi en parler avec mon enfant? Est-ce que j’ai besoin de me cacher de mon enfant ou si je peux attendre qu’il ne soit pas là? », propose-t-elle comme pistes de réflexion.
S’assumer
J’ai plusieurs autres amies qui fument la cigarette en cachette de leur progéniture. Mais certaines ont dû passer aux aveux récemment, les enfants étant plus grands et à un âge où ils commencent à trouver ça louche que leurs parents disparaissent un 10-15 minutes dehors avec leur coupe de vin, reviennent en dégageant une drôle d’odeur et se dépêchent d’aller se laver les mains.
« À un moment donné, ils sont pas twits ! », s’exclame Marjolaine. Elle aussi se cachait pour fumer, mais la pandémie a sonné le glas aux mensonges.
« Je dis aux enfants de tout me dire et de ne pas me faire de cachettes, je serais mal placée pour parler si je ne leur avouais pas que je fume. »
Marjolaine ne s’est pas contentée de commencer à fumer devant ses enfants sans rien dire. Elle en a profité pour faire de l’éducation, pour leur dire que c’est une mauvaise habitude et qu’elle va essayer de s’en débarrasser, chose qu’elle a déjà réussi à faire dans le passé. « Ça humanise, ils voient que je ne suis pas parfaite », dit-elle.
Pour Nadia Gagnier, c’était en plein la chose à faire. « Imaginez la pression qu’on met sur un enfant en lui faisant croire qu’on est parfait. L’idéal, c’est d’être un modèle qui cherche toujours à s’améliorer. »