Ces femmes qui mentent sur leurs finances

Avez-vous vu cette nouvelle tendance TikTok? On y voit des femmes dire à leur mari : « Chéri, je ne pourrai pas payer l’hypothèque ce mois-ci ». En théorie, le gars est censé éclater de rire. C’est la réaction attendue. Après, madame doit répondre ceci avec une voix se voulant à la fois comique et cute : « J’ai trop magasinéééé pour Noël! Mais lààà, pourquoi tu riiiis? ».

Ensuite, monsieur a trois choix :

#1. Répondre, en braillant de rire : « Tu sais même pas comment payer l’hypothèque. C’est jamais toi qui le fais. »

#2. Regarder sa blonde amoureusement et lui dire : « Voyons, mon amour, tu fais ce que tu veux avec ton argent. Moi, je paie l’hypothèque et toi, ta job, c’est magasiner. »

Ou, dans le pire des cas :

#3. Répondre qu’elle n’aura jamais à payer l’hypothèque tant qu’elle – insérez ici une blague sexuelle de votre choix –. Dans cette vidéo vue plus de 25 millions de fois, monsieur a choisi la délicate expression « bend over ».Ainsi, très peu ont la réaction #4 de simplement répliquer : « Voyons, chérie! Slack le magasinage. OK, j’vais t’aider, mais franchement! ». Y a lui. Bravo à lui.

Dans les commentaires, les utilisatrices commentent qu’elles veulent trouver ce genre de relation, soit une relation où l’homme paie tout. Que c’est la configuration de couple idéale. Tandis que si l’homme est déçu ou essaie de comprendre ce qui s’est passé, les commentaires vont de « C’est tellement gênant, j’aurais jamais mis cette vidéo en ligne! » à « C’est une réaction de coloc, pas de mari! » ou encore « J’aime pas cette vidéo, ramenez-moi sur providertok! ».

Une joke de riches hétéros pourvoyeurs

Cette tendance-là, c’est pas de l’humour, mais plutôt de la vantardise. Parce qu’aucune femme qui cumule trois jobs et qui peine à arriver ne penserait à faire cette « joke » à son chum. Parce qu’au lieu de rire, il se mettrait à pleurer. Il aurait peur de finir à la rue.

Je n’ai pas non plus trouvé de vidéo où c’est l’homme qui fait la « joke » à sa femme. Parce que la dynamique ne fonctionnerait pas : ce genre d’humour repose sur l’idée qu’il est évident que c’est à l’homme – et uniquement l’homme – d’être le pourvoyeur de sa famille.

Parce que dans la tête de plusieurs, hommes et femmes, c’est « normal » qu’une femme soit « mauvaise » avec l’argent. C’est même presque « mignon ». Mais qu’un homme se plante financièrement? C’est émasculant.

Romanticiser les inégalités

Cette tendance s’inscrit dans une dynamique où on romanticise la dépendance des femmes à leur conjoint. En surface, c’est ludique, on rigole. Mais en réalité, cette tendance véhicule des messages profondément troublants sur les rapports de pouvoir au sein des couples hétérosexuels. Cette dynamique s’aligne avec une longue histoire culturelle où les femmes sont valorisées pour leur fragilité et leur dépendance.

Cette blague repose sur un fantasme bien ancré : celui où l’homme est forcément le pourvoyeur du couple (encore les maudits Alphas). Celui qui gère pendant que la femme dépense joyeusement. TikTok regorge de contenu du genre : entre les « stay-at-home girlfriends », les « tradwives » et les « soft girls », on est en plein retour aux années 1950.

Ce genre de contenu joue sur une nostalgie fabriquée : celle d’une époque où les rôles étaient « clairement définis » et les relations supposément harmonieuses. Mais la réalité est pas mal moins rose bonbon : les femmes qui n’ont pas d’autonomie financière, ça finit rarement comme une comédie romantique.

Si on peut se rassurer en se disant que dans la plupart des cas, les femmes de ces vidéos disent être mariées et avoir un acte notarié qui leur assure 50 % des avoirs (dont la maison) en cas de séparation, il demeure qu’elles n’auront jamais payé une hypothèque, n’auront probablement pas d’historique de crédit, et aucune littératie financière.

Un miroir déformant

Avec ce genre de blague, TikTok ne fait que glamouriser une dynamique patriarcale vieille comme le monde sous un vernis moderne. Ça rend cool et même désirable l’idée que les femmes peuvent (et même devraient) se décharger de toute responsabilité financière et dépendre entièrement de leur partenaire. Comme si, en 2024, c’était une option viable ou sexy… alors que c’est tout le contraire.

Ces vidéos ont beau cumuler des millions de vues, les femmes qui ne paient rien, ce n’est (heureusement) pas la norme. Il s’agit plutôt d’une illusion amplifiée par les réseaux sociaux.

Y a rien de normal là-dedans, autant du côté de la femme qui ignore comment payer une hypothèque, que de l’homme qui ne sait pas si ses enfants vont recevoir une petite Mercedes ou des Polly Pocket à Noël.

Parce qu’au final, que tu sois une femme ou un homme, si t’as aucune idée de comment gérer une hypothèque ou un budget, c’est pas cute. C’est juste un problème.