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Ce supercouple noir veut changer le monde créatif québécois
Ceux d’entre nous qui ont déjà travaillé dans le milieu créatif savent que c’est un monde très particulier. C’est le genre d’industrie qui doit avoir un doigt sur le pouls de ce qui est jeune, attrayant et branché, tout en sachant satisfaire des clients grisonnants en veston-cravate.
Ça peut facilement se terminer en boulevard of broken dreams.
C’est en plein sur ce boulevard que Miro LaFlaga et Ashley Philipps, alias AshxGraphics, se sont rencontrés. Ils étaient désillusionnés par les agences mainstream, après un passage dans le monde de la pub montréalais qui leur avait laissé un goût amer. «C’est parfois malaisant, quand tu arrives à une entrevue pour un poste et que tu es le seul gars noir dans tout le building!», s’exclame Miro.
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Après s’être dit fuck it, le couple a lancé sa propre agence créative, Six Cinquième. Leur mission: devenir un incubateur pour les créatifs de toutes les minorités tout en faisant rayonner les campagnes de leurs clients. Forts de leurs expériences passées, ils tentent de démocratiser le milieu.
Briser les barrières
Après avoir étudié dans des champs variés, Miro et Ashley ont acquis sur le tas et en ligne les connaissances nécessaires pour survivre dans cette industrie. Peinant à rentrer à temps plein dans le monde de la pub et du design, ils se sont mis à travailler à la pige dans des industries connexes. Miro était styliste pour plusieurs rappeurs et musiciens de la ville, alors qu’Ashley prenait des contrats comme graphiste.
«Surtout quand tu es noir et anglophone au Québec, il y a beaucoup de gatekeeping.»
«Surtout quand tu es noir et anglophone au Québec, il y a beaucoup de gatekeeping», affirme Miro, qui se charge de l’aspect rédactionnel de Six Cinquième.
Le gatekeeping, c’est la manière dont on filtre l’accès à l’information d’une industrie, d’une culture ou d’un milieu pour s’assurer de seulement laisser entrer les «bonnes» personnes, selon nos critères. Et bien que les choses se soient bien améliorées depuis l’époque de Mad Men, les agences créatives restent un secteur où le gatekeeping est encore bien ancré.
«On a plusieurs raisons d’être, mais le but principal est d’ouvrir la porte pour les PANDC (NDLR: Personnes Autochtones, Noires et de couleur) et qu’elles prennent la place qu’elles méritent dans la scène créative, dans les médias, peu importe leur champ d’expertise », explique Ashley Phillips, qui gère surtout le côté visuel de la compagnie. «Et surtout derrière la caméra, ajoute Ashley. C’est facile pour les compagnies d’engager une personne de couleur pour mettre dans une pub et faire semblant qu’elles célèbrent la diversité. Mais quand on passe en coulisses, on se rend compte que c’est de la frime.»
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Si la réticence des artisans créatifs de couleur à intégrer le milieu provient d’une part d’un problème institutionnel, elle est également expliquée par un contexte culturel différent. «Les enfants de couleur dans les sociétés blanches ne sont pas souvent encouragés par leurs parents à poursuivre des carrières créatives», dit Ashley.
«Nos cultures vont plutôt favoriser les emplois stables, payants, comme avocat, médecin ou comptable. Le manque de représentation nous freine aussi: je ne savais même pas qu’il était possible pour moi d’être une entrepreneure, de monétiser ma créativité. C’est en voyant Miro que je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de travailler pour une agence, et que je pouvais faire ce qui me plaisait, selon mes conditions.»
Bâtir une communauté
Entre cette génération de jeunes de couleur hypertalentueux, mais sans ressources et un nombre grandissant d’entreprises pour qui il est important de mettre en valeur la diversité, le calcul était simple pour Ashley et Miro. Six Cinquième deviendrait le pont et le catalyseur qui permettrait aux deux parties de collaborer et de faire briller leurs marques respectives, dans un cadre régi par de fortes valeurs de communauté, d’entraide et surtout d’ouverture.
«On va créer notre propre voie et construire notre propre business, où la porte est ouverte et où l’information est librement partagée.»
Essentiellement, le cahier de charge de l’agence est d’être aux antipodes des autres en défaisant les barrières du gatekeeping. «De nos jours, avec internet, on peut voir en temps réel des gens qui nous ressemblent passer du bas de l’échelle à des sommets stratosphériques. On sait que c’est possible, donc on va créer notre propre voie et construire notre propre business, où la porte est ouverte et où l’information est librement partagée.»
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Pour amener du concret à cette mission, le couple planche présentement sur une série de cours en ligne où les entrepreneurs et les créatifs qui partagent leurs valeurs pourront réseauter et apprendre comment mieux rejoindre leurs auditoires.
Avec d’autres agences black-owned de la ville, le jeune couple tente de créer un réseau collaboratif. À long terme, Six Cinquième espère pouvoir bâtir sur ce pari d’ouverture et de diversité pour se réinventer sans cesse, et devenir ce que leurs talents leur permettra, que ce soit un groupe médiatique, un bureau de développement de jeux vidéo, une agence de pub innovatrice et mainstream… rien n’est exclu!
«C’est un milieu où les gens veulent garder leurs secrets, nous on veut les révéler.»
«On veut pouvoir prendre tout ce qu’on a appris et ce qu’on continue d’apprendre, et le transmettre aux jeunes talents qui ne se feraient pas recruter par de plus grandes agences. C’est un milieu où les gens veulent garder leurs secrets, nous on veut les révéler. Si tu as ta propre saveur, même si tu dévoiles ta recette, personne ne pourra le faire comme toi», estime Miro LaFlaga. «Et surtout que cette information soit transmise par des gens qui leur ressemblent, qui parle le même langage et s’habille de la même manière. C’est ça aussi, la représentation: l’information passe mieux quand elle vient de quelqu’un en qui on se reconnaît.»
Lorsque je leur demande s’ils se voient comme étant une agence niche, ils hésitent à être d’accord. «Toutes les compagnies veulent de la diversité en ce moment. Elles veulent se réinventer complètement, car des gens comme nous avons fait tellement de bruit qu’elles se rendent compte que c’est essentiel», conclut Ashley Phillips. «On veut simplement faire briller notre talent local jusqu’à ce que notre mouvement devienne mainstream, en changeant le game des agences.»