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Casser avec le Québec pour s’amouracher de l’Ouest
C’était une rencontre de dernière minute et la plus significative de mon voyage.
J’avais les pieds dans le sable et une bière froide entre mes doigts.
À mes côtés, une amie établit à Revelstoke depuis 4 ans que j’ai connu à 6 ans à Québec que j’avais vu pour la dernière fois il y a 7 ans, en Gaspésie.
Une amitié qui perdure chez l’autre, sous un toit où elle n’a pas grandi.
Il y avait Queen, son Labrador en liberté qui faisait des vas-et vient sur la plage, et un bassin d’eau buté par des montagnes généreuses.
«C’est mon quotidien, m’a soufflé Rosie, affutée de bas noirs dans ses sandales et d’une peau lisse et laiteuse. Chaque jour, je vais en vélo de montagne l’après-midi et je viens avec Queen après ici.»
J’ai pris une autre gorgée de bière.
C’est son quotidien ici.
Entre la blague et le profond sentiment d’exaspération, avalée par les stories de mes amis à Whistler, Tofino, Vancouver et Banff, j’avais toutefois une certaine curiosité sur les motifs profonds, les indicateurs. Mais qu’est-ce qu’ils font tous, ces Québécois à déménager ici, alors qu’on a tout un terrain de jeu pour la nature au Québec ?
C’est pas rien, choisir de redéfinir son quotidien en fonction d’elle.
Trouver le bonheur à squamish
Nicolas Chevrier a choisi Squamish depuis trois ans, une petite communauté de plein air qui, dans mes codes de référence, ressemble drôlement au Mont-Saint-Anne. Un certain charme s’y niche, entre les montages et les microbrasseries très décomplexées du minuscule centre-ville.
Un microclimat de trippeux d’escalade qui fournit tout le nécessaire pour vivre ses passions au quotidien, selon l’étudiant en sciences politiques qui a commencé par travailler dans un gym au salaire minimum pour changer de cour arrière.
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«Ton petit hike de 45 minutes devient un life changing experience.»
«Tu te rends compte que tout est dans ton environnement et Squamish, c’est spécial. Pour l’escalade, tout est à portée de main et tout est grandiose. Ton petit hike de 45 minutes devient un life changing experience.»
S’il s’est déplacé pour l’escalade, il a évidemment flirté avec d’autres options assez rapidement: le vélo de montagne, les expéditions alpines, le kite surf.
«Je veux rien enlever au Québec. On peut retrouver la joie pis le bonheur au Québec dans le plein air, mais y’a juste pas les montagnes à tête blanche, les expéditions multijours. C’est grandiose. C’est ce que Squamish me donne et ce que je fais ici.»
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Entre la cour d’école et les montagnes à Revelstoke
Rosie aussi s’éclate en vélo de montagne à Revelstoke (Revy, pour les intimes.)
«Imagine, je fais maintenant des courses de vélo de montagne où je suis minutée. J’ai des squads!»
On rit. Rosie n’était passionnée par aucun sport au Québec. Ses nouvelles priorités l’ont gentiment bousculé. Son environnement, à l’inverse de Nicolas, l’a changé.
Originaire de Québec, elle a fait la route il y a 4 ans pour un emploi en enseignement en français au primaire. Elle quitte maintenant ses élèves à 14h30 chaque jour pour s’entraîner dans la montagne.
«Je ne demande plus comment ça va? Je demande qu’est-ce que t’as fait aujourd’hui? »
Revy est dans les endroits qui m’ont pris par surprise. Une ville excessivement charmante avec des gens bien dans leur peau. C’est attirant.
Qu’est-ce qui est attirant, aussi ? Les changements dans les conversations. «Je ne demande plus comment ça va?, m’a-t-elle expliqué. Je demande qu’est-ce que t’as fait aujourd’hui? Ça change les conversations qui découlent souvent sur comment on se sent via notre job versus ce qu’on a découvert de notre environnement extérieur.»
Une nouvelle piste en vélo de montagne dans laquelle elle ne s’était jamais engagée.
Un nouveau spot creux pour amener son chien en liberté.
Une nouvelle randonnée cachée qui n’était pas sur AllTrails.
Des hikes à un jet de pierre à Vancouver
Laurence Gagnon a dressé sa nouvelle vie à Vancouver il y a plusieurs années. Une ville que je n’ai pas trouvé facile à aimer- peut-être en raison du trop grand nombre de visages? De la marina campée à côté d’une rue passante? Des ramens à 25$ au resto? Plusieurs éléments m’ont installé dans une confusion qui m’appartient.
Chaque jour, Laurence navigue entre la course à pied et la randonnée au Grouse Grind (un sentier qui est à une vingtaine de minutes de voiture de chez elle), ou au nord de Vancouver.
Whistler, Squamish et la vallée du Fraser sont ses projets de fin de semaine. «Ce sont des randonnées super valorisantes, ça va te prendre 4-5 heures, mais quand t’arrives en haut, c’est les lacs bleus, les grosses montagnes, les pics de neige en plein été… qui sont de plus en plus populaires, surtout avec la pandémie.»
Elle est tout aussi ravissante quand elle s’emballe sur le camping: «Je prends mon nécessaire, je campe en plein milieu ou en haut de la montagne, et je reviens le lendemain. Beaucoup de parcs nationaux offrent des terrains sans service avec deux trois bécosses, mais y’a vraiment une démocratisation du camping ici versus au Québec, ou ça peut coûter 30-40$ la nuit et faut absolument réserver d’avance.»
Un mode de vie qui a un prix
Mais.Tout.Est.Cher.
Nicolas me le confirme: «Ce qui me ferait revenir, c’est la famille, les amis, se bâtir une vie. Ici c’est dispendieux… surtout l’alcool.»
Ça m’a fait rire- et je n’ai pas nommé l’alcool parce que ça m’apparait comme un luxe, une dépense superflue, mais quand ma facture a frôlé 100$ à ma sortie du Liquore Store à Squamish pour quelques bières, un petit format de gin distillé à Tofino, un cidre de Vancouver et un pinot noir, j’avais fait le saut.
(J’allais rejoindre des amis. Aucune matière à s’insurger ici).
«Oui, c’est toutes des activités qu’on pourrait faire au Québec aussi, mais on dirait qu’il y a quelque chose qui me coupe le souffle ici et on dirait que j’en ai jamais assez».
«Il y a des appartements dans mon quartier avec une chambre qui se vendent 900 000$» m’indique Laurence. «L’idée d’avoir une maison (long silence)… les loyers sont chers, les assurances pour la voiture sont chères, le gaz est cher, tout est cher. Est-ce que les salaires vont en conséquence ? Un peu, mais pas tant que ça. Il y a toute une restructuration des finances à faire quand on décide de faire le changement d’une ville comme Montréal pour une ville comme Vancouver.»
Ces hauts prix ne semblent, en aucun cas, se définir comme un aspect suffisant pour quitter.
Même la voix de Laurence est si claire, au bout du fil: «Pis tsé oui, c’est toutes des activités qu’on pourrait faire au Québec aussi, mais on dirait qu’il y a quelque chose qui me coupe le souffle ici et on dirait que j’en ai jamais assez. J’suis en amour avec les paysages, avec les montagnes, en amour avec le fait de les voir tous les jours, à tout moment, même au centre-ville.»
Je prends une dernière gorgée de bière à 8$ avec Rosie. Le soleil s’essouffle doucement.
«Je vais commencer à penser à partir, je dois préparer mon sac de randonnée pour demain», me dit celle qui habite maintenant tout près de la Rogers Pass, une chaîne de montagnes qui longe l’autoroute près de sa maison.
Peut-être quelque chose dans son visage sans maquillage, qui était autrefois dessiné en abondance, m’a émue.
Sur son cercle social qui s’est rétréci, mais qui s’est rapidement cordé.
Sur un sentiment d’apaisement que je n’ai pas lu dans les yeux d’aucun de mes proches dans la dernière année.
Et ça, ça se voit.