La dernière fois que je suis allée à Disney On Ice, j’avais 4 ans. C’est d’ailleurs une histoire célèbre dans ma famille : juste au moment de C’est la fête, alors mon hymne national personnel, j’ai eu une envie pressante. En proie à la peur fondée que je pisse dans mes culottes, mon père a dû m’emmener aux toilettes à ce moment crucial. J’ai donc manqué ma chanson préférée.
C’est à ce jour mon seul souvenir de ce spectacle-événement sur glace. J’ai oublié tout le reste (résultat d’un grave choc post-traumatique, probablement).
C’est pourquoi, quand j’ai reçu une invitation pour aller voir une représentation de Disney On Ice durant la relâche scolaire, j’ai tout de suite accepté. Je me suis dit qu’en emmenant ma fille voir ses personnages préférés danser sur la glace du Centre Bell, j’allais automatiquement remporter le prix de mère de l’année. Une chose me chicotait toutefois : en cette époque patriotique où l’on doit prouver le bon alignement de notre compas social en supprimant performativement Netflix, Disney+ et Amazon pour pouvoir l’annoncer à qui veut bien l’entendre, est-ce que je ne commettais pas là un faux pas?
Aller à Disney On Ice alors que Trump menace d’envahir le Canada pour en faire le 51e État et que l’hymne national américain se fait huer au hockey, est-ce que c’est moralement irresponsable? Ai-je le droit de profiter d’un bon vieux divertissement à l’américaine sans être une traîtresse à la nation? Je ne savais pas trop comment me positionner face à tout ça.
Plus que la peur de ce que les autres pensent de moi, ce qui me travaillait, dans ce choix de sortie familiale, c’était probablement le même dilemme que tout le monde : trouver l’équilibre entre « je fais des choix alignés avec mes valeurs » et « on peut-tu juste avoir du fun? ».
La gimmick en plastique
C’est quoi, le hype, avec Disney On Ice? Pourquoi le monde aime autant entendre une trame sonore qu’il connaît par cœur, illustrée par une gang d’adultes en patins déguisés en Elsa ou Aladdin?
Dans un sens, je comprends pourquoi. Moi aussi, j’ai grandi avec l’univers Disney. Aussi problématiques soient-ils, j’adore ces classiques intemporels. Moana, c’est bon (mais pas le 2, partez-moi pas là-dessus). Le Roi lion, c’était super. Cendrillon, j’aime encore ça. Comme la plupart des adultes de ma génération, je ne suis pas insensible aux sentiments nostalgiques que ces films suscitent chez moi.
C’est en fait là tout le génie marketing de Disney : créer des souvenirs tellement ancrés chez les enfants que, lorsqu’ils deviennent parents à leur tour, ils et elles ont envie de les transmettre à leurs enfants, peu importe le prix. Oui, c’est capitaliste, mais on n’est pas dans un travail de cégep, ici : je pense que tout le monde sait dans quoi il s’embarque quand il est question de Disney On Ice.
Ma question, c’était plus de savoir si on nous vendait une gimmick en plastique ou un réel moment d’émerveillement et de divertissement.
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Une photo avec la petite sirène
Les billets médias qu’on m’avait offerts étaient pour la représentation de 19h. Déjà, c’était un bon gamble : d’habitude, à cette heure-là, ma fille m’obstine pour éviter d’avoir à mettre son pyjama.
Est-ce que j’allais me taper une crise monumentale en plein A Whole New World? C’est ce que j’allais voir.
De la station Lucien-L’Allier, on grimpe du ventre de la terre vers le ciel (qui sent mauvais). La traversée vers le Centre Bell semble interminable, tant pour moi que pour ma fille, qui s’accroche les bottes dans sa robe de princesse verte, cadeau reçu de Papi à Noël dernier. « Tiens, une autre petite fille a la même robe que toi », lui dit ma blonde.
« Ses grands-parents aussi doivent magasiner sur Amazon », je rétorque avant de prendre ma fille dans mes bras pour éviter qu’elle ne marche sur une tasse en carton du Tim Hortons qui semble avoir été échappée là en 2001. Un jour, des archéologues vont l’étudier et en apprendront plus sur notre civilisation.
On arrive devant la sécurité du Centre Bell qui ne lésine pas sur le sérieux de la procédure, malgré la horde d’enfants de 4 ans déguisés qui franchissent les portes. « Déposez vos effets personnels ici, madame », me hurle un.e employé.e de l’établissement, ignorant complètement ma fille. Je passe la porte. « Ouvrez votre sac », renchérit la personne. Peut-être a-t-on peur que j’y aie caché une bouteille d’eau en métal (sacrilège!). Heureusement, on n’y trouve que des lingettes et deux paires de bobettes de rechange pour Violette, en qui je n’ai pas du tout confiance concernant le timing du pipi. Comme la roue tourne.
It’s the circle of liiiiiife.
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We’re in, comme dirait un hacker des années 1990. Dans les couloirs du Centre Bell, les familles pressées affluent. Comme moi, les mères tiennent leurs enfants proches de peur de les perdre aux mains d’un vendeur de gogosses. Partout (genre vraiment partout), des kiosques promotionnels proposent un éventail de produits dérivés aux couleurs des personnages de films qui seront à l’honneur ce soir : tasse du Roi lion remplie de slush multicolore (40 $), baguette magique de La reine des neiges (55 $), toutou Wish (aucune idée du prix, mais je l’estime à la moitié de mon loyer).
Ma stratégie est la suivante : capitaliser sur la surstimulation de ma fille pour passer rapidement devant ce barrage de tentations stratégiquement disposées et ainsi éviter la crise (et la faillite personnelle).
« Je veux prendre une photo avec la sirène! », s’écrit Violette, en pointant un photobooth en carton coloré à l’effigie de La Petite Sirène. J’observe la pancarte un instant : 2 photos pour 40 $. « On n’a pas le temps », que je réponds.
On a le temps. Je suis juste cheap.
« Je veux du pop corn! », implore ma fille qui n’a pas touché à son souper parce qu’elle avait trop hâte au spectacle. Ça, je le lui avais promis. Un homme s’approche de nous, une tonne de sacs de maïs soufflés sur l’épaule. Quelle chance! Je l’apostrophe avec la naïveté d’une fille qui s’embarque dans un schème pyramidal. « Je vais en prendre un, s’il-vous-plaît ! ». Le gars me refile le sac de plastique gonflé de maïs jaune OGM, lui-même déposé dans un minuscule sac réutilisable à l’effigie de Disney On Ice.
J’approche mon téléphone du terminal de paiement qu’il me tend. 33,50 $.
On reprend notre chemin.
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Des enfants sont assis par terre, des boîtes de Pizza Pizza à la main. D’autres crient des demandes diverses à leurs parents, enivrés par l’ambiance survoltée de l’établissement. Plusieurs sont, comme ma fille, totalement abasourdis par l’environnement et se content d’observer le tout en silence.
Je ne peux pas m’empêcher de penser au coût d’une telle sortie. Certains groupes sont 5 ou 6, avec les enfants. Si on additionne le prix des billets, la pizza, le souvenir et le stationnement, ce genre de soirée peut facilement revenir à 500 $. Ça fait cher payé, il me semble, pour voir Mickey patiner. Je ne remets pas en question le fait de payer le gros prix pour une seule soirée. Je me questionne plutôt sur le ratio fun/dépense. Est-ce que les enfants apprécient l’expérience à ce point-là?
À 2, 3 ou même 4 ans, les ami.e.s crient encore de joie quand ils trouvent une roche au parc. Leurs attentes en matière de plaisir et d’agrément sont souvent assez basses, merci.
C’est fort pour mes oreilles
La patinoire est prête. Violette piaffe d’impatience. « Est-ce qu’on va voir Moana? », demande-t-elle pour la 50e fois de la soirée. Si je me fie au communiqué de presse reçu plus tôt cette semaine, probablement. « Et son père? », questionne-t-elle. « Peut-être qu’il sait pas patiner », renchérit-elle. Je ne vois pas ce que son père ferait là, mais on sait jamais.
Soudain, une jeune fille traverse la glace. Elle est habillée comme les héroïnes du Disney Channel de mon adolescence (pensez à Miley Cyrus dans Hannah Montana). « Hi, I’m DJ Freeze », hurle-t-elle dans le micro avant de s’installer derrière un DJ Booth sur une plateforme surélevée d’où elle joue des remix franchement agressants de Let It Go et We Don’t Talk About Bruno, accompagnés de pyrotechnie et d’effets de fumée dignes d’un spectacle de Madonna. Violette se met à pleurer. « C’est fort pour mes oreilles », se plaint-elle. « Et c’est pas une princesse », poursuit-elle en reniflant.
Force est d’admettre que la MC est un peu trop dynamique aux yeux (et oreilles) des enfants. Autour de nous, les amis semblent osciller entre l’étonnement, la peur et l’incrédulité. Heureusement, son set ne dure qu’une quinzaine de minutes. Les lumières s’éteignent : la foule est en délire. Mickey, Minnie et toute sa bande arrivent sur la glace accompagnés d’un DJ Booth lumineux traîné sur une plateforme à skis. Après quelques flips qui leur valent les applaudissements tonitruants des familles, ils disparaissent derrière un écran géant pour laisser place à une prestation condensée de Wish, un film que personne ici n’a vu.
« Où est Moana!!! » s’impatiente Violette, quasi-rageuse.
Je commence à comprendre le concept : Mickey et sa bande introduisent des films, qui sont présentés sous forme de saynètes à raison de trois ou quatre chansons-clés entrecoupées de dialogues censés liés les segments les uns aux autres. C’est comme un best of des films, finalement.
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Les costumes sont franchement très réussis, et les animations lumineuses sont transcendantes. Je ne connais rien de Wish, mais j’apprécie le moment. « J’ai envie de pipi », annonce Violette à 19h09, soit neuf minutes après le début du spectacle. On doit faire lever une famille de 4 pour se rendre aux toilettes. J’espère que Moana ne décidera pas de faire son tour de piste entre-temps.
De retour à nos places, on se tape les mini versions de La reine des neiges 2 et du Roi Lion. Scar perd sa perruque sur la patinoire en plein Be prepared. Les enfants n’ont pas trop l’air de s’en formaliser. Ils ont l’air de comprendre que ce n’est pas le vrai Scar qui se trouve devant eux.
Comme croire au Père Noël
Disney On Ice, c’est exactement ce dont on peut s’attendre d’une production américaine. Tout est too much : les lumières, la pyrotechnie, la musique, le décor, la manière de s’adresser au public, le prix… Les segments sont inégaux, les artistes aussi. Alors que certains ont l’air de sortir tout droit des Olympiques ou du Cirque du Soleil, d’autres ont de la difficulté à suivre les temps et manquent carrément de grâce. On nous vend le spectacle comme si c’était du divertissement de haut calibre – dans un sens, ça l’est, mais en même temps, je ne suis pas certaine qu’à part les retombées, nos artistes et productions locales ont quelque chose à envier à ce show-là.
Violette ne s’en formalise pas trop : après une bonne demi-heure, on sent qu’elle se dégèle (ha, ha) et qu’elle commence réellement à s’amuser. Elle envoie la main à Mickey entre les segments, applaudit au bon moment, danse sur sa chaise. Ça fait plaisir à voir. Je suis là pour ça, quand même.
19h58 : c’est l’entracte. On passe la Zamboni.
« Wow, un pompier! », s’exclame ma fille, qui est clairement due pour une révision de ses services d’urgence.
La DJ revient pour nous annoncer la fin de la pause. « Elle est où Moana ? », scande mon petit disque brisé, qui ne décroche pas de son rêve. C’est plutôt La Petite Sirène qui fait son entrée après les présentations d’usage de Mickey Mouse qui essaie toujours de réorienter sa carrière derrière la console. « Mais maman, la petite sirène ne peut pas patiner. Elle a sa queue de poisson! », affirme Violette, qui deviendra probablement enquêtrice plus tard, si elle arrive à comprendre la différence entre un camion de pompier et une Zamboni. « On fait semblant, mon amour », je rétorque. « Oui, mais elle n’a pas de jambes », insiste ma fille, contrariée par le manque de cohérence au niveau du costume.
Finalement au dernier segment, alors que Violette commence à s’endormir dans mes bras, la princesse polynésienne débarque sur la glace. Pas besoin de vous dire que ça la réveille d’un coup sec. « MOANA, YES! », scande-t-elle avec l’énergie d’un fan de Metallica après 10 Bud Light. « ET SON PÈRE EST LÀ! », poursuit-elle, en transe, en pointant Maui, qui n’est pas son père pour une cenne. Le pop corn revole dans tous les sens.
Violette chante la trame sonore dans son anglais approximatif. Il faut dire que la prestation est plutôt réussie. Moana-la-patineuse fait des vrilles en traversant la patinoire, portée par trois artistes. Je vis presque un moment d’émotion. Oui, le masque de Maui (qui n’est pas son père, je le rappelle) est un peu boboche, mais on finit par se faire prendre au jeu. Force est d’admettre qu’on s’amuse. De ce côté, le pari est réussi.
20h57 : Disney On Ice est terminé. Les familles se lèvent, pressées d’aller coucher leurs enfants qui, clairement, vont tous faire une crise en se rendant à la voiture.
« Est-ce que tu as aimé ça, le spectacle? », je demande à Violette. « Oui, maman », me répond-elle. « Et qu’est-ce que tu as préféré ? », je poursuis. « Le pop corn et Moana », m’annonce-t-elle après un long moment de réflexion. « Est-ce que demain on va aller à la garderie? », questionne-t-elle. « As-tu hâte de raconter à tes amis comment c’était, Disney On Ice? », je lui demande, pleine d’espoir. « Regarde, maman, j’ai encore le bobo dans ma bouche », me répond Violette. Bon.
Disney essaie de nous vendre quelque chose de très précis : retrouver, l’espace d’une soirée, la magie de nos souvenirs d’enfance. La vérité, c’est qu’en grandissant, notre capacité à ressentir ce rush-là s’est envolée en même temps que la magie du Père Noël.
Tout ce que j’ai réussi à vivre, devant Le roi lion patiné, c’est une fraction de ce que j’ai ressenti, il y a 30 ans, lors de ma première sortie au cinéma, où j’ai pu voir le film sur grand écran (oui, cette anecdote trahit mon âge). Tout le reste est allé à ma fille. Ou peut-être pas. Seul l’avenir nous le dira. Au moins, elle n’a pas pissé en pleurant dans les toilettes pendant le clou du spectacle.