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Ça changerait quoi si les bars restaient ouverts toute la nuit?
Quand les frontières ont rouvert à l’été 2022 et que tout le monde est allé en Europe, même mes ami.e.s les plus sages et casanier.e.s m’ont surpris. Presque tou.te.s m’ont rapporté avoir passé au moins une soirée en boîte à danser jusqu ’aux petites heures du matin, chose qu’ils et elles ne feraient jamais ici.
Il faut dire qu’en termes de party all night long, Montréal a déjà été mieux desservie. Certes, les raves underground continuent de fleurir, en grande partie grâce aux nouveaux et nouvelles arrivant.e.s Français.es. Mais, mis à part le Stereo, il ne reste plus d’endroits pour les noctambules et les touristes qui souhaitent danser jusqu’à l’heure du brunch.
C’est avec ce constat que Mathieu Grondin, réalisateur, organisateur d’événements et DJ, a fondé MTL24/24, un OSBL qui agit en qualité de partenaire stratégique du développement économique de la vie nocturne à Montréal. L’organisme voit le jour il y a environ cinq ans, quand Grondin et des ami.e.s décident de se rendre à une consultation sur les loisirs montréalais organisée par la Ville de Montréal et déposent un mémoire sur les loisirs nocturnes.
Entre activisme et hédonisme
« Les loisirs pour la Ville, c’est le badminton, la piscine, les cours d’art dans les maisons de la culture. Ils trouvaient qu’on fittait pas trop là-bas, se souvient-il. À son premier mandat, la mairesse Plante avait fait la promesse d’adopter une politique de la vie nocturne. On en était environ à la moitié de son mandat et on n’en avait toujours jamais entendu parler, donc j’allais me pointer à la période de questions des citoyens du Conseil municipal pour demander où ça en était. Je parlais aussi de mon expérience, je me suis toujours perçu comme un activiste de la vie nocturne. Je suis DJ, j’ai organisé beaucoup d’événements, légaux ou non, et c’est toujours compliqué. »
D’initiative citoyenne, l’organisme vise à analyser, comprendre et proposer des solutions sur certains enjeux de la vie nocturne. Après des recherches et des consultations, MTL24/24 fait des recommandations à la Ville, Grondin et son comité dédié de citoyens-activistes se concentrant en particulier sur quatre axes d’activités. Premièrement, la participation citoyenne, notamment avec le Conseil de nuit, une table de consultation citoyenne des habitué.e.s de la nuit. Il y a aussi tout un volet de recherche, d’études et de veille des meilleures pratiques à l’international.
en 2019, L’INDUSTRIE DE LA NUIT À MONTRÉAL A GÉNÉRÉ près de 2,26 milliards de dollars
En parallèle de ses activités de consultation pour la Ville, MTL24/24 vient également en aide à des acteurs et actrices culturel.le.s qui souhaiteraient faire des dérogations pour des événements durant toute la nuit. Parmi eux, le Nonstop 24/24, un weekend complet de party sans interruption, et la conférence annuelle Montréal au sommet de la nuit qui propose des événements multidisciplinaires touchant autant à l’architecture et à l’urbanisme qu’à la santé, la sécurité, la technologie et l’économie.
Défaire des préjugés, prévenir des méfaits
Avant tout, Mathieu confie que sa réflexion est motivée par la prévention des méfaits. Montréal a une scène de raves illégales en santé, mais manque cruellement de club.
« On avait avant des afterhours sans alcool, et la Ville, il y a vingt ans, a tout fait en son pouvoir pour les étouffer et les faire fermer. Ils ont fermé un après l’autre, il ne reste plus que le Stereo. Le modèle de ces afterhours est hérité d’une époque où dans les raves, il y avait beaucoup de drogues, mais pas d’alcool. Mais quand il n’y a pas d’alcool, il y a de la drogue, alors peut-être que si on permet l’alcool, il y aura moins de drogues? Ça fera en sorte que, comme ville qui se veut festive, ça pourra dynamiser le tourisme nocturne. On a tout ce qu’il faut pour que ça fonctionne, il faut simplement se donner le cadre réglementaire pour l’exploiter. »
mis à part le Stereo, il ne reste plus d’endroits pour les noctambules et les touristes qui souhaitent danser jusqu’à l’heure du brunch.
En 2022, à la demande de la Ville et de diverses instances gouvernementales, MTL24/24 a présenté un « rapport économique sur la nuit socioculturelle de la métropole ». À travers ce rapport, en comparant la situation actuelle de Montréal et celles de plusieurs autres villes dans le monde connues pour leur nightlife, le groupe estime que de laisser les endroits rester ouverts jusqu’à tard la nuit pourrait avoir des retombées avoisinant les milliards de dollars.
« La vie nocturne, c’est la vie culturelle : ça a un gros potentiel d’attractivité pour les travailleurs étrangers. Avec toutes les start-ups qui essaient d’attirer des employés, si t’as le choix entre aller travailler à Montréal ou Berlin, tu veux être certain que tu fais le bon choix. Oui, le salaire est bon, mais est-ce qu’il y a des endroits où sortir faire la fête? Est-ce que ça va être le fun d’habiter là? »
Une industrie milliardaire
Afin de calculer le poids économique de la nuit, les auteurs et autrices du rapport ont comptabilisé les valeurs économiques des lieux et activités socioculturelles (salles de spectacles, théâtres, bars, resto, etc.) entre 18h et 6h du matin. En dépenses directes, ce secteur représentait en 2019 près de 2,26 milliards de dollars pour une masse salariale de 994 millions de dollars et environ 34 000 d’employé.e.s. Cette année-là, 22 % des touristes (soit 2,44 millions de personnes) sont venu.e.s spécifiquement pour des événements nocturnes.
Comme le soulèvent les auteurs du rapport : « Si cette part de touristes nocturnes venait à croître pour représenter 33 % de la masse touristique, comme c’est le cas à Amsterdam et Berlin, 676 millions de dollars supplémentaires seraient injectés dans l’économie locale pour un total de 1,6 milliard de dollars. »
En discutant avec Grondin, on se rend compte de toutes les industries qui seraient positivement affectées par une mesure permettant aux bars et clubs du centre-ville de rester ouverts plus longtemps. Des restaurants ouverts plus tard, plus d’employé.e.s dans les hôtels pour accueillir les touristes additionnel.le.s venu.e.s profiter de cette nouvelle scène, mais aussi de nouvelles opportunités de développement commercial: tout ça, ça rapporte gros aux coffres de l’État.
« Je suis DJ, j’ai organisé beaucoup d’événements, légaux ou non, et c’est toujours compliqué »
Bien sûr, tout cela a aussi un coût. Mais, comme l’explique Mathieu, il y a deux facteurs qui font que la Ville tend l’oreille. Premièrement, MTL24/24 est une action citoyenne qui ne représente pas un corps de métier ou des commerçant.e.s; ce sont des Montréalais.es qui demandent à la mairie de les aider à créer la ville dans laquelle ils se projettent dans le futur. Deuxièmement, la structure et les infrastructures qui rendraient une telle chose possible de manière viable, fluide et sécuritaire profiteraient à toute la population.
« C’est quoi la réalité d’une femme monoparentale qui travaille de nuit? Elle a accès à moins de service, elle n’a pas de garderie publique subventionnée, son shift finit à une heure bâtarde, ça lui coûte plus cher de rentrer chez elle parce qu’il faut qu’elle prenne un taxi. Tout ça, ce sont des questions qui intéressent beaucoup la Ville. »
Mathieu Grondin et son équipe ont surtout hâte de pouvoir passer par-dessus la fermeture des bars et club à 3h, leur premier combat. Après ça, dit-il, ils pourront se pencher sur des questions plus profondes. « Il y a des jeunes qui veulent boire une bière et continuer à danser après 3h du matin. C’est normal, c’est comme ça partout en Europe. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire ici?, se demande-t-il. Ça nous stigmatise, ça freine le développement économique et culturel de certaines scènes musicales, particulièrement celle de la musique électronique. Il faudrait bien qu’on trouve une solution! »