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Bharda le pirate, le métalleux des garderies
Simon Tremblay mène une double vie. La plupart du temps, il est Simon l’éducateur, en poste depuis un an à la garderie au Château de Lorie, située à Québec. Mais parfois, le jeune homme à la barbe hirsute et couvert de tatouages à faire damner n’importe quelle Denise Bombardier enfile son costume de pirate pour personnifier l’explosif Bharda le pirate, un chanteur pour enfants unique en son genre.
Sa noble mission : révolutionner le joyeux monde de la comptine à coup de solos de guitare et de sons gutturaux. « Je trouvais que la musique pour enfants c’était un peu débilitant et je ne voyais pas l’intérêt de leur faire écouter ça », raconte cette version satanique d’Arthur l’aventurier, qui préférait faire découvrir du AC/DC et du Kiss à ses enfants avant de se lancer dans la composition.
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Pochette du premier album lancé en 2015
J’ai rencontré Simon AKA Bharda chez lui, dans un logement situé près du Centre Vidéotron à Québec.
Dès qu’on pousse la porte, il s’excuse pour l’odeur de litière de sa chatte Madame Minou.
Son appart est un véritable petit musée rendant hommage à son amour du VHS. Il possède d’ailleurs un mur complet de films de Disney, des instruments, des crucifix et des affiches de Jésus. On retrouve toutes sortes de jouets aussi.
Simon adore notamment Bob l’éponge. « Je me suis dit un jour : je suis fait pour travailler avec les enfants, on a les mêmes intérêts », lance le jeune homme, qui mène en fait une triple vie, en raison du projet country « Truck Tremblay », qu’il promène sur différentes scènes depuis cinq ans. « J’incarne ce monsieur de région de cinquante ans un peu colon, mais musicalement je prends mon pied. C’est parti d’une farce, mais je me suis mis à me raconter à travers ça », raconte Simon, qui fait aussi des critiques de junk food – une passion – sur la page FB de Truck. « Il y a des gens qui me suivent juste pour ça », rigole-t-il.
La rockstar des garderies
Avec un DEC en musique en poche, Simon a vite compris qu’il n’était pas à sa place avec sa job en entretien d’immeubles, un milieu peuplé de « mottés ». Il s’inscrit alors dans le programme d’éducateur en petite enfance, où il n’y avait qu’un seul autre gars à part lui dans sa cohorte. « J’avais les cheveux longs, des pantalons en peau de serpent. J’avais l’air d’une rockstar. À mon bal des finissants, j’ai su que la moitié des profs pensait que je faisais une gageure. »
Mais Simon voulait réellement être éducateur. Pour lui, le déclic s’est fait lors de son premier stage d’observation. « J’aimais l’ambiance colorée. Toutes les cochonneries et trucs imbéciles que tu entends chez les adultes, les enfants n’ont pas ça. Ils n’ont pas de jugement et ne m’ont jamais dévisagé à cause de mes tatous. Ils m’ont juste posé des questions », louange Simon, qui a néanmoins connu des débuts difficiles à Jonquière, où il a été congédié au bout d’un an. « Au début, je donnais le mauvais exemple, je n’étais pas bon », confesse-t-il.
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Au Château de Lorie, il dit avoir été accueilli à bras ouvert et d’en avoir même été surprit. « J’étais déstabilisé de ne pas me faire juger à ce point. En région, j’avais le tiers de mes tatous et je me faisais dévisager. »
Plusieurs parents et enfants connaissaient déjà le pirate Bharda, qui a commencé en 2015 à faire des chansons et des spectacles. Les enfants l’adorent et les parents aussi, qui font jouer ses disques dans la voiture. Puis, Simon l’éducateur fait le travail. « J’adore ma job, j’ai la semaine de 4 jours, un salaire correct, mes fins de semaine et du temps pour faire de la musique », s’enorgueillit Simon, qui s’exprime sans filtre avec les enfants. « Le lendemain d’une gig, je suis parfois scrap et je leur explique que je suis très fatigué. Les enfants comprennent et sont solidaires. Quand l’un d’eux crie, les autres lui disent : Moins fort, Simon est fatigué!»
Suffit d’écouter les paroles des chansons de Bharda pour comprendre le lien unique et exempt de bullshit qui semble unir Simon et les enfants. « La chanson des légumes on l’aime pas, la chanson de l’alphabet on la connait déjà. On veut jouer dehooooors! », s’époumone-t-il dans la chanson On veut jouer dehors, avant de beugler un puissant « Soloooooo de guitare! »
Même absence de dentelle sur Croquette de poulet , autre classique du récent et 3e album Pirate Fâché , paru en mai dernier.
« J’veux manger des croquettes! Des croquettes de poulet!»
Le pirate qui chante vrai
Au-delà des paroles, c’est surtout admirable de constater à quel point Bharda n’infantilise pas son jeune public. C’est le cas, par exemple, sur la pièce Les pirates en pull-ups de son premier album Bharda le pirate (2015). « As-tu envie d’aller aux toilettes, as-tu envie d’aller aux toilettes, ne le fais pas dans tes bobettes, ne le fais pas dans tes bobettes.»
Outre les paroles rigolotes, Simon explore différents genres musicaux, du métal en passant par le grunge sur Rivière de jus (2e album Encore lui paru en 2016), l’électro sur Dessert et le groove de la guitare sur Fête de fou.
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Le deuxième album paru en 2016
Bref, c’est efficace, drôle et délicieusement irrévérencieux. « Dans les cours, ils nous apprennent à ne pas devenir ami avec les enfants. Moi je fais exactement le contraire, je veux qu’on soit tous des chums, mais c’est moi le chef », nuance-t-il.
Pour l’heure, Simon entend continuer à personnifier Bharda. Il traine toujours sa guitare au travail et profite des jeux libres pour composer ses nouvelles chansons. « Et je suis chanceux puisque mon public se renouvèle tout le temps, il y a de nouveaux enfants à chaque année », badine le musicien, qui fait aussi des contrats privés dans les garderies.
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S’il profite aujourd’hui d’une petite notoriété dans son milieu, Simon demeure terre à terre et n’a pas trop d’idées de grandeur. « J’ai pas envie de faire du PR, d’achaler le monde. Bharda existe, c’est là sur la table. Et chaque fois que je fais un spectacle dans une garderie, je sors de là en me disant : calisse que j’ai fait un bon show! », résume Simon, qui adore sa vie de pirate et ne voudrait pas que cette aventure palpitante devienne une source de stress.
Ne reste donc qu’à souhaiter bon vent à Bharda, puisse-t-il continuer à crier fort, comme il le fait déjà bruyamment sur sa pièce crier, aux relents de Maiden.
« CRIER. J’ai juste envie de CRIER. Je ne veux pas chuchoter. CRIER! »