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Ayoye!

Comment le bonheur des uns fait gagner de l’argent aux psys des autres...

Par
Brigitte des Rosemomz
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Petit matin froid. J’arrive pas à me décider : veste, pas veste, tuque? J’enlève une couche sur le pas de la porte. Ma montre trouve ses satellites plus vite que d’habitude. Je pars doucement, pour ne pas brusquer mon corps encore fripé et endormi.

Au milieu du parc, je croise Véronique. Qui jogge en sens inverse. On est vaguement amies. C’est une fille super, brillante, belle, drôle… Je sais pas pourquoi, mais c’est comme si la barrière de l’intimité n’avait jamais été défoncée entre nous. Oh, des histoires de cul, on s’en est conté tout plein. Ça n’a rien à voir. On n’a juste jamais abaissé le pont-levis de l’orgueil.

On hésite quelques secondes – toujours ce flou autour de la salutation des joggeurs : becs ou pas becs… On opte pour le “pas de becs”.

Ça fait longtemps qu’on s’est pas vues. Nos vies de mères célibataires avec une trâlée d’enfants nous tiennent occupées, mettons.

— J’ai cru voir sur FB que t’avais changé de job. C’est vrai?

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— Ouais, je suis tellement contente! J’en pouvais pus, là où j’étais, mais j’osais pas partir avec rien devant moi. Là, c’est une amie qui connaissait la fille des RH… et blablabla…

Vie professionnelle… Les enfants… L’école… Les maudits lunchs…

Au moment où on s’apprête à se laisser, la sueur étant en train de figer dans nos faces comme un masque d’argile grise, elle me lance, l’œil soudain démesurément pétillant :

– Ah, pis, tu sais pas quoi? J’ai rencontré un gars… vraiment hot, là. J’ai comme un feeling que c’est l’homme de ma vie (elle enlève son gant pour toucher un tronc d’arbre dans un élan de superstition). Il est prof de musique, il est drôle, il court des marathons, on a des milliers de goûts en commun, il écrit comme un dieu… En plus, il a deux enfants exactement de l’âge de mes plus vieux. On s’interprésente les enfants en fin de semaine.

Je sais pas si c’est la sueur caillée dans ma face, mais j’ai le sentiment d’avoir une expression de statue de cire.

– Wow, c’est cool! Vraiment. Allez, faut que j’y aille, je suis sur le bord de l’hypothermie.

Je repars. À full pine. Pas capable de ralentir.

« Il écrit comme un dieu » résonne dans ma tête. Comme je le fais souvent quand je cours, je déconne avec moi-même :

« Si on en juge de la table des 10 commandements, pas sûre que ça me séduirait, moi ».

Je ris. Intérieurement. Et jaune. J’essaie de m’imaginer à quoi peut ressembler cet Apollon littéraire. Je devrais ralentir, le cœur est en train de me défoncer les tympans.

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En arrivant, je me déshabille entre la porte d’entrée et la douche, éparpillant tel un petit Poucet chandail bleu électrique, brassière fortifiée, pantalon capri stretch, bobettes en tissu synthétique, bas gauche, bas droit…

Je me pitche sous la douche.

J’éclate en sanglots.

***

C’est con. J’ai honte. Mais…

Je suis méga jalouse.

Sa super job, je suis vraiment contente pour elle. Les finesses de ses enfants qu’elle publie sur FB me font rire, et je les j’aime souvent.

Mais ça, là, ÇA! L’amour pis toute ce que j’imagine autour : la complicité, le corps satisfait, les confidences, les dodos en cuiller, l’entraide, les fous rires… Et là, cerise sur le gâteau, des tonnes d’échanges écrits profonds et poétiques…

J’y peux rien, ça me rentre dedans. Ça m’écrase. Ça me renvoie à ce vide dans ma vie que je passe mon temps à me faire accroire que je suis en paix avec.

J’avais eu pourtant une grande révélation, quelque part en février dernier, mon fameux insight. J’avais senti vraiment, réellement, à quel point être célibataire n’était pas une malédiction, ni une punition pour fille pas fine. Mais je suis mal faite, je passe mon temps à l’oublier, et ma psy, qui avait adoré mon moment d’épiphanie, passe son temps à me le rappeler : « Mais oui, il y avait cette histoire, avec cette dame, vous vous rappelez… » Et moi de me creuser les méninges… C’est quand même ben moi qui l’ai vécu, cet épisode… J’en invente des trucs, des fois, dans mes billets, mais ça, mon lightbulb moment, c’était bel et bien réel. Et j’en ai encore régulièrement des moments de bonheur célib. Et de (trop) nombreuses rechutes. Plus de rechutes que de remontées, même si ça peut sembler mathématiquement impossible.

Une semaine plus tard, je croise Mylène, la meilleure amie de Véro.

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— Tu sais pas quoi? Véro est dans une histoire pas de bon sens avec un gars qui passe son temps à revenir avec sa femme, pis à la quitter, pis à revenir encore. Pauvre chouette, elle est tellement amoureuse qu’elle lui pardonne tout… Je travaille fort, pis ses autres amies aussi, pour la faire décrocher, mais y a rien à faire…

Qu’est-ce que vous allez penser là? Non! Je n’étais PAS secrètement ravie d’entendre ça. Je vous jure! C’est ben évident que je lui souhaite tout le bonheur du monde, à Véro. J’étais juste pas prête à l’avoir en pleine face. Pas ce bonheur-là. C’est tout. Anyway, j’ai rendez-vous avec ma psy demain, je vais essayer de dépatouiller tout ça… de comprendre pourquoi, pour moi, le bonheur conjugal des autres vient heurter le talon d’Achille de ma construction psychique, me faisant perdre toute (ou presque) capacité de bonheur empathique et me précipitant dans l’enfer de la jalousie et de l’envie, ces deux sentiments ouachecaca. Mais avant, je vais aller relire mon propre billet pour me rappeler comme je suis bien toute seule.

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