Quand son fils Xavier a reçu un diagnostic de cancer, Jonathan Roberge a vite compris que la maladie ne frappait jamais seule. En plus des traitements, des rendez-vous et de l’angoisse quotidienne, il y a les frais qui s’accumulent (souvent pendant des années), les revenus qui s’épuisent, et les assurances qui ne couvrent pas assez. Et ce constat, il l’a fait non seulement pour lui, mais aussi pour tous les parents qu’il a croisés dans les couloirs de Sainte-Justine et qui essaient, eux aussi, de garder la tête hors de l’eau.
Pour cette raison, Roberge souhaite lancer une fondation pour soutenir financièrement les parents d’enfants malades.
Je l’ai rencontré afin de discuter de l’impact qu’a eu la maladie de son fils sur sa vie financière et professionnelle – et du filet social qui s’amincit et laisse trop de familles tomber entre ses mailles.
Quelle était ta posture financière quand Xavier a reçu son diagnostic?
C’était en 2019. À l’époque, ça faisait environ quatre ans que j’animais à la radio, deux ans à la télé. J’avais de beaux projets. Financièrement, j’étais pas à plaindre. J’avais un coussin dans les six chiffres. J’étais le classique banlieusard à Mont-Saint-Hilaire avec sa petite maison, son VUS et sa piscine creusée.
Et puis, la journée où j’ai annoncé mon one man show Bisou, j’ai eu le diagnostic de Xa. Du jour au lendemain, la vie a basculé. Je suis tombé en arrêt de travail. Je pensais que ça durerait juste quelques semaines. Mais après, la pandémie s’est ajoutée. Ç’a été deux ans d’instabilité financière. Deux ans et demi sans revenus, c’est extrêmement difficile.
Est-ce que tes assurances t’ont dépanné?
Je savais que dans mon assurance vie, j’avais une couverture pour une invalidité en raison de cancer. Mais ça couvrait juste moi, pas ma famille. J’ai aussi demandé à ma banque de suspendre mes paiements d’hypothèque, comme j’avais une clause maladie dans mon assurance hypothécaire, et on m’a dit la même chose.
Il a fallu que je vende ma maison, mes antiquités et qu’on emménage dans un petit condo. À travers tout ça, j’ai eu la chance d’avoir une face connue, ce qui m’a permis de me revirer de bord. Mais le gars qui travaille dans une manufacture ou qui fait 65 000 $ par année, il va vite arriver au bout de son chômage.
On pense souvent qu’un enfant malade, ça ne durera que quelques mois. Mais il y a des récidives, des rendez-vous, des traitements qui s’étirent… On peut devoir quitter le pays, mettre son enfant sur un programme expérimental qui coûte 3 000 $ par mois. On peut aussi se retrouver avec un enfant en chaise roulante qui nécessite de faire modifier sa maison ou de devoir déménager.
T’es-tu endetté?
Oui, mais c’est rien comparé à d’autres parents que je connais.
Quand je scroll sur Facebook, je vois toujours passer au moins deux GoFundMe de parents d’un enfant malade par semaine. Y me semble que c’est pas normal, dans une province aussi riche que le Québec, avec un taux d’imposition aussi élevé, que ces gens-là n’aient pas plus de ressources.
Est-ce que ton rapport au travail a changé quand ton fils est tombé malade?
Quand ton enfant est malade, y a plus rien d’autre qui compte. T’es vraiment sur le pilote automatique et ta job devient encore plus « mécanique ». Tu trouves que tes collègues paniquent pour des niaiseries. T’asseoir avec tes enfants autour de la table pour souper, ça devient plus important que n’importe quel contrat.
Qu’est-ce qui coûte le plus cher aux parents d’enfants malades?
C’est la perte de revenu qui te rentre le plus dedans. Quand y a plus d’argent qui rentre, tu réalises l’engrenage dans lequel t’es pris : ton hypothèque, tes assurances, tes voitures, tes cellulaires, les frais scolaires. Ça va vite en sacrament.
Tu roules aussi pas mal plus quand tu dois aller souvent à l’hôpital. Moi, j’habite à 45 minutes de Sainte-Justine, mais je connais des gens qui doivent se louer des chambres d’hôtel trois fois par semaine pour les traitements de leur enfant. Et puis, il y a ceux qui doivent descendre en Caroline du Sud, à Boston… Ah, et tu finis par payer l’équivalent d’un loyer en estie de parking d’hôpital. À 25 $ la journée, trois, quatre, cinq, six fois par semaine…Y a eu un mois où ça m’a coûté 675 $. Ma comptable n’y comprenait rien.
Et puis, il y a les frais pour consulter un psychologue :100 $ la shot. Et ça, c’est pour toute la famille, pendant 4 ou 5 ans.
Aussi, quand ton enfant est immunosupprimé, tu ne peux pas l’envoyer à l’école, alors tu dois payer un professeur pour qu’il vienne à la maison. Ça aussi, c’est de l’argent.
Quel impact la maladie de ton fils a-t-elle eu sur ta carrière?
Je savais que c’était un risque, pour moi, d’en parler publiquement – en plus que j’ai dû me décommander de shows de radio et de télé à la dernière minute plusieurs fois. Pendant un bout, j’ai senti que les producteurs étaient frileux à l’idée de me booker sur des projets. Il a fallu que je leur dise que je pouvais – et que je devais – travailler. Il y a eu une confiance à rebâtir.
Tu veux lancer une fondation qui vient en aide aux parents d’enfants malades. As-tu l’impression qu’on a tendance à oublier les parents?
Évidemment que la priorité, c’est l’enfant. Mais il est clair qu’on ne pense pas assez aux parents. Pire, on ne parle jamais des frères ou soeurs.
Dans ma famille, c’est le deuxième cas de cancer. Quand j’étais jeune, j’ai un cousin qui est décédé de la leucémie. Il avait 15 ans. Les fins de semaines, quand j’allais passer du temps avec lui parce qu’il ne pouvait pas sortir, j’avais l’impression que ma cousine passait un peu dans le beurre. Et c’est surtout pas de la faute des parents.
Une des premières choses que je me suis dit, quand Xa est tombé malade, c’est qu’on n’oublierait jamais Jules. Ça a été dur pour lui aussi : les opérations, les traitements, les pertes de cheveux. À un moment donné, on a commencé à couper les visites à l’hôpital pour Jules, parce que ça lui prenait des semaines à s’en remettre.
Ces enfants-là, ils ont besoin de voir des psy, de parler, de faire des activités. Tu peux pas fucker sa vie avec ce qui est en train de se passer. Avec cette fondation-là, je veux aider financièrement les parents, mais aussi venir en aide psychologiquement aux frères et sœurs.
Quel genre de soutien offrirait ta fondation?
J’en parle ouvertement parce que je veux placer mes pions (rires). Chaque fois que j’en parle, des entreprises et des amis artistes me contactent pour offrir des fonds, des billets de spectacles. Tant mieux, les familles d’enfants malades ont besoin de sortir, de rire, d’aller au resto, de mettre de l’essence dans leur char, de payer les maudits parkings d’hôpital.
J’aimerais aussi que des compagnies de construction québécoises offrent leur aide pour, une fois par année, construire des rampes dans les maisons d’enfants malades.
Qu’as-tu envie de dire aux parents qui te lisent?
Je souhaite ça à personne, mais personne n’est à l’abri, et une maladie, c’est pas une affaire de deux semaines. C’est un luxe qu’une famille québécoise ne peut pas se permettre, surtout en ce moment.
J’ai plutôt envie d’interpeller le gouvernement : il faut que les choses bougent. Il faut absolument sensibiliser les bonnes personnes.