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Au Pâturage : à table dans le champ de Chloé

Une table gastronomique extérieure à découvrir entre Montréal et Québec.

Par
Sara Buzzell
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En face d’un charmant garage aux murs de vinyle bleu et blanc, la ferme de Chloé Ouellet passe presque inaperçue. À Sainte-Perpétue, il y a 800 habitants, le festival du cochon, beaucoup de champs et un ancien théâtre transformé en lieu de rassemblement qui célèbre la gastronomie du terroir. C’est là que la cheffe nous accueille, accompagnée de son sourire fendu jusqu’aux oreilles et de ses acolytes vêtus de chemises aux motifs de champignons. Déjà, l’atmosphère qui émane de l’endroit surprend ; c’est une sorte de lueur dorée dans laquelle baigne l’établissement, rappelant la couleur du cidre québécois qu’on verse déjà dans nos verres. Plateaux d’huîtres à la main, les membres de l’équipe déambulent à travers les convives alors que Chloé se présente.

Au Pâturage, c’est né d’un désir d’être dehors, d’être excité de sortir dans les champs et d’inclure la nature au restaurant pour le transformer en expérience. Ce sont trois aires de culture maraîchère et une serre qui permettent à l’équipe de cultiver tout le nécessaire pour concevoir les plats du menu. Avec une salle de service intérieure ainsi qu’une immense terrasse qui côtoie les champs, l’endroit peut recevoir un maximum de 55 invités à la fois. Quand on est reçu chez Chloé, on est accompagné du début à la fin par ses anecdotes racontées avec le ton chaleureux qu’ont ces vieux amis qu’on ne voit pas assez souvent. C’est donc par souci de conserver cette atmosphère de convivialité que l’équipe a pris la décision de limiter la taille des groupes servis chaque soir.

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Entre un service de gravlax d’omble chevalier à l’épinard rouge qu’on verra tantôt pousser dans le jardin et une gorgée de vin québécois savamment choisi, la cheffe propriétaire révèle sa mission première : démocratiser la gastronomie. En revisitant des classiques et en y ajoutant une touche surprenante, en sortant les convives de leur zone de confort tout en mettant de l’avant les produits du terroir, l’équipe d’Au Pâturage remplit cet objectif de rendre accessible un univers qui pourrait sembler loin de l’être.

Cuisiner quasi exclusivement avec des produits qui poussent sur place comporte évidemment son lot de défis. Pour Chloé, le secret, c’est de savoir bien s’entourer. Elle prend d’ailleurs le soin de nous présenter Morgane, qui s’occupe de la culture des aliments, et Michael (son « coup de foudre professionnel »), l’expert en accords mets-boissons. Ce dernier se retrouve face à un défi immense : mettre sur pied une carte de cocktails en utilisant uniquement des ingrédients d’ici. Pas de limes ni d’agrumes dans la cuisine du mixologue, qui se sert notamment de l’argousier lactofermenté et de la camerise pour ajouter de l’acidité aux cocktails qu’il prépare.

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Ici, la ferme et la table sont en harmonie. Tout ce qui est produit sert au restaurant, avec l’objectif d’atteindre l’autosuffisance complète à longueur d’année. Pour y arriver, la transformation des aliments et la créativité sont de mise. Avec un score de zéro sur le plan des pertes, Chloé et son équipe sont devenues des pros de la congélation, du cannage et de la fermentation. Des boutures de marguerites qui accompagnent le tartare de wapiti au kimchi fait avec les récoltes de chou de l’année dernière, même les aliments les plus surprenants trouvent leur place sur le menu d’Au Pâturage.

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Alors qu’on nous sert une charmante rencontre entre la bette à carde, la rabiole et la fraise (cultivée dans une jardinière sur la terrasse, au-dessus de nos têtes!), notre hôte aborde le plus gros frein à la croissance de son rêve d’autosuffisance alimentaire. Au Québec, l’accessibilité à la terre est de plus en plus difficile, avec des prix exorbitants pour quelques acres de champ. La dépendance à la terre pour un établissement comme Au Pâturage force sa propriétaire à trouver des moyens créatifs d’obtenir l’espace nécessaire pour installer ses jardins. Elle profite entre autres des avantages de la vie de village pour emprunter des bouts de terre avoisinants en échange de soupers chez elle.

Chez Chloé, la nature et la table ne font réellement qu’un. En ne chauffant pas les serres l’hiver, en utilisant des filets pour protéger les légumes au lieu de les couvrir d’insecticide, en n’ajoutant pas de lumières artificielles pour cultiver l’hiver et en embrassant pleinement la saisonnalité en installant ses convives à l’extérieur aussitôt que la température le permet, la cheffe propriétaire repousse les limites de l’hyper local. Après nous avoir servi un flétan à la rhubarbe, au céleri et à l’argousier qu’elle qualifie de « quand même bon » et un parfait glacé à la camerise, celle qui se mérite le titre d’artiste de la gastronomie du terroir nous salue.

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Nous quittons l’ancien théâtre avec cette vague impression de partir d’un souper de famille, mais surtout avec la certitude que ce n’était pas notre dernière sortie chez Chloé dans le champ.