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Attendre une place en garderie est un travail à temps plein

Au Québec, les places de garderie manquent et les mères qui travaillent en paient les frais.

Par
Gabrielle Tremblay-Baillargeon
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J’ai recommencé le travail à temps partiel quand ma fille avait 6 mois. C’est tôt, je sais, mais en tant que travailleuse autonome, j’avais peur de perdre des contrats si j’optais pour un congé plus long. De plus, ma blonde et moi avons séparé le congé parental de manière égale — le plan, c’était de faire le congé ensemble, puis de recommencer à travailler progressivement jusqu’à l’entrée à la garderie de notre fille.

On était inscrites à environ 30 garderies sur La Place 0-5 depuis que j’étais enceinte : deux ans ont passé et aucune ne nous a appelées. Heureusement, on a fini par trouver une garderie privée (non subventionnée, d’ailleurs) près de chez nous quand notre petite a eu 15 mois, ce qui signifie que notre fameux plan de conciliation famille et travail à temps partiel a duré neuf mois.

Les mères doivent alors freiner leur retour au travail, retarder leur plan de carrière ou, comme moi, travailler dans des conditions difficiles.

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Neuf mois à travailler chacune notre tour, à garder la petite quand on était en « congé », à faire des rencontres Zoom avec ma fille dans le porte-bébé ou en la promenant en poussette (allô le professionnalisme!), à envoyer des courriels pendant les siestes. Neuf mois qui nous ont totalement brûlées, stressées, amenées au bout du rouleau.

Au Québec, on le sait, il manque actuellement des milliers de places en garderie. Et les personnes qui payent pour ce problème (de façons littérale et figurée) sont généralement les mères. Les raisons varient : elles font un moins gros salaire que leur conjoint dans un couple hétéro ou ne peuvent pas se résoudre à l’idée de laisser leur enfant dans un milieu de garde qui ne leur inspire pas confiance. Elles doivent alors freiner leur retour au travail, retarder leur plan de carrière ou, comme moi, travailler dans des conditions difficiles, car elles préfèrent le travail ardu à la domesticité forcée.

J’ai parlé à deux mères qui ont décidé de retourner au travail malgré l’absence de place en garderie par envie de s’accomplir en dehors de la poubelle à couches.

Mettre sa carrière sur pause

Maude Morin-Caissy a accouché de son premier fils, Emile, il y a trois ans. Neuf mois plus tard, son congé de maternité se terminait et la place en garderie, elle, venait évidemment à manquer. Pour pallier le problème, ses parents, son partenaire et elle organisent un horaire de garde où tout le monde prend le petit une journée par semaine.

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La famille continue tout de même ses recherches près de chez elle, à Victoriaville. « On a trouvé un milieu familial qui nous plaisait et on a payé pour réserver notre place. Je sais qu’on n’aurait pas dû, mais on était un peu désespérés », raconte Maude. Finalement, le milieu ferme pour raisons personnelles juste avant l’entrée en garderie d’Émile. « Avec du recul, je suis pas mal certaine qu’ils savaient qu’ils allaient fermer, alors on a payé pour rien », indique Maude qui est tombée enceinte de son deuxième garçon quelques mois plus tard.

Le temps partiel et le nouvel emploi sont des concessions temporaires qu’elle fait pour le bien-être familial.

Aujourd’hui, après plusieurs aller-retour et options avortées, Maude a trouvé une garderie en milieu familial pour ses deux enfants. « Les horaires sont limités. Ça ferme à 16h30 la semaine et à 13h le vendredi, donc mon emploi doit être adapté à cet horaire-là. Je dois travailler à temps partiel », concède Maude.

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Elle a même dû changer de profession pour s’accommoder. Et comme son conjoint a le plus gros salaire, c’est elle qui a dû se sacrifier. « On n’arriverait plus à payer les comptes si on était seulement sur mon salaire ou si lui se mettait à temps partiel, raconte la jeune maman. On aurait pu concilier notre budget pour que je puisse rester à la maison, mais j’ai vraiment besoin de m’accomplir et d’être indépendante financièrement. »

Le temps partiel et le nouvel emploi sont donc des concessions temporaires qu’elle fait pour le bien-être familial — et le sien aussi, d’ailleurs. « Je me dis que, côté carrière, je suis sur pause. J’ai des ambitions et des projets, mais je vais devoir attendre que mes fils soient à l’école pour les réaliser », conclut-elle.

Entrepreneure et dépassée

Karolina Krupa a reporté trois fois notre rencontre pour cet article. La raison? Elle est sur appel à la garderie de son fils, Zak, âgé d’un an et demi. Chaque matin, elle se lève et espère pouvoir l’envoyer dans le milieu de garde près de chez elle, en Estrie, où son garçon a une place de soir… et de jour, si un ami est malade. Mais pour elle, c’est une situation qui se gère.

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Karolina a recommencé le travail à temps plein au mois d’août dernier — elle travaille dans l’entreprise de son chum, Go-Van. Comme Maude, elle a dû jongler avec des milieux familiaux qui ferment sans préavis ainsi qu’avec un manque criant de places dans sa région. « Je pensais qu’en campagne, ça allait être plus simple de trouver une place, mais au contraire, c’est plus compliqué parce qu’il y a moins de ressources », explique-t-elle.

« S’il n’y a pas de place en garderie, le congé parental devrait être de deux ans. Arrangez-vous pour que les parents qui doivent rester à la maison soient payés! »

Pour le moment, elle et son conjoint doivent travailler à tour de rôle durant la journée avant l’entrée à la garderie de leur garçon en milieu d’après-midi. « Parfois, on a de l’aide de la famille ou des amis, mais ce n’est pas toujours facile. On ne peut rien planifier. Zak a maintenant 19 mois et je pense que je n’ai jamais autant rushé », raconte Karolina qui m’appelle durant son déplacement en voiture.

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Comme chaque jour, elle part travailler pour un bloc de 3h avant de devoir retourner chercher son fils à la garderie. Chaque minute compte. « On est toujours en mode solution et c’est exigeant. C’est notre compagnie, alors on y tient beaucoup, c’est l’ADN de notre quotidien. J’ai des employés que je dois payer. Pour pouvoir le faire, je dois rentrer des contrats et avec la situation en ce moment, c’est difficile, poursuit-elle. S’il n’y a pas de place en garderie, le congé parental devrait être de deux ans. Arrangez-vous pour que les parents qui doivent rester à la maison soient payés! »

Le mouvement Ma place au travail suggère aussi d’aller dans ce sens. Une pétition déposée à l’Assemblée nationale par l’organisme demande au gouvernement de mettre en place « un soutien financier temporaire pour les familles en attente d’un service de garde éducatif ». En attendant, le ministère de la Famille promet la création de 37 000 places subventionnées d’ici 2025.

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Mais 2025, quand ton bébé est dans tes bras et que tu dois envoyer des courriels, ça commence à faire loin.

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