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Antonin Mousseau-Rivard : Des fleurs pis du rap
Certains le connaissent pour son père chanteur, sa mère actrice ou encore son grand-père peintre. D’autres, pour son compte Instagram magnifique, où sa cuisine créative pleine de fleurs et de produits locaux sauvages est mise en valeur. D’autres encore l’ont croisé dans un de ses restaurants sur Ontario, mais ceux qui connaissent le mieux Antonin Mousseau-Rivard sont sûrement ses employés. Qui est vraiment ce chef ambitieux qui monte comme une fusée dans les palmarès de la restauration canadienne? On leur a posé la question.
Que vous ayez déjà soupé au Mousso ou non, vous avez sûrement vu passer l’un des éloges dithyrambiques des critiques culinaires, encore tout émoustillés par leur expérience au restaurant d’Antonin Mousseau-Rivard. Les titres sont sans équivoque : « Le restaurant gastronomique incontournable de Montréal », « La perfection culinaire signée Antonin Mousseau-Rivard », « De l’art à table », « Haute voltige gastronomique », « Le Mousso tasting menu has it all »… Trois ans après son ouverture, son établissement vient d’être sacré Meilleur restaurant aux Lauriers de la gastronomie québécoise et il a même fait un bébé en juin dernier : le Petit Mousso. Pourtant, avant l’ouverture, en 2015, la formule en laissait plusieurs sceptiques : un chef autodidacte, un menu gastronomique imposé en format dégustation et une ambiance old school rap…
Quel est le secret d’Antonin Mousseau-Rivard, ce prodige de 34 ans pour qui aucun défi culinaire n’est assez grand? On a cherché à percer le mystère, à travers les yeux de ceux qui travaillent avec lui au quotidien.
RÈGLE NUMÉRO 1 : AVOIR LA FOI
«Antonin, quand il était plongeur, à 16 ans, il rêvait déjà d’avoir un restaurant gastronomique où les clients n’auraient pas le choix de ce qu’ils allaient manger, et où on écouterait seulement du old school rap. »
Pour réserver une table au Mousso, vous ferez affaire avec le maître d’hôtel Jocelyn Despres, dont la voix téléphonique est franchement délicieuse. C’est avec cette même voix profonde et badine qu’il me raconte tout le chemin parcouru avec Antonin au cours de leurs huit années de collaboration. « Je crois qu’il ne s’en souvient même pas, mais la première fois que je l’ai rencontré, il avait 26 ans, et c’était dans un party où une date m’avait emmené. Il m’a parlé des difficultés d’être le fils du chanteur Michel Rivard et chef en même temps. Il disait que les critiques essayaient de faire des liens entre sa cuisine et la musique de son père! Je venais de suivre un cours en service de la restauration, alors peu de temps après notre rencontre, je suis allé porter mon CV à son ancien restaurant du Musée d’Art contemporain [NDLR : le Contemporain – la concession dont il était propriétaire au MAC]. Il m’a tout de suite pris en stage, puis embauché comme serveur. J’y ai travaillé quelques années, puis quand est venu le temps d’ouvrir le Mousso, il est revenu me chercher. Il m’offrait la job de maître d’hôtel sur un plateau d’argent. Ce n’était pas un choix évident : avant l’ouverture du Mousso, il n’y avait pas tout le buzz qu’il y a aujourd’hui autour d’Antonin. C’était un peu comme sauter dans le vide. Mais je lui faisais totalement confiance. »
Que savait Jocelyn avant tout le monde? « Que c’est un génie. Un vrai génie. C’est fou, les plats qu’il crée! Je l’ai su dès que j’ai goûté à sa cuisine. Et puis, il était vraiment certain de sa formule. Tu sais, Antonin, quand il était plongeur, à 16 ans, il rêvait déjà d’avoir un restaurant gastronomique où les clients n’auraient pas le choix de ce qu’ils allaient manger, et où on écouterait seulement du old school rap. Il savait exactement ce qu’il voulait, alors c’était dur de ne pas y croire avec lui. »
Selon le principal intéressé, le Contemporain a été le parfait terrain de jeu pour développer sa créativité. En plus d’être un lieu profondément inspirant, les réceptions funky qu’on y organisait lui permettaient d’expérimenter avec toute sa spontanéité. Il attribue une bonne partie du succès du Mousso à la liberté que lui a permise le MAC.
RÈGLE NUMÉRO 2 : VOIR LA BOUFFE SOUS UN AUTRE ANGLE
Selon Benjamin Mauroy-Langlais, chef exécutif du Petit Mousso, récemment sacré Meilleur jeune chef au Canada au concours S.Pellegrino Young Chef 2018 (et accessoirement, un jeune père en manque de sommeil), les gens vont au Mousso parce qu’ils ont une grande confiance en Antonin. « C’est un menu dégustation, donc vous mettez votre foi et votre destin entre les mains du chef. Vous devez être prêt à prendre votre temps et à vous laisser aller à ses choix et ceux du chef de cuisine, Massimo Piedimonte. Au Petit Mousso, c’est une autre expérience, puisque cette fois, c’est un menu à la carte. Vous y retrouverez cependant la même attention et la même philosophie. La vision d’Antonin est tellement limpide qu’elle imprègne tous ses plats et leur esthétique. »
«C’est un menu dégustation, donc vous mettez votre foi et votre destin entre les mains du chef. Vous devez être prêt à prendre votre temps et à vous laisser aller à ses choix et ceux du chef de cuisine.»
Chez URBANIA, lorsqu’on se régale, on a tendance à oublier Socrate. Mais les vrais fanatiques de bouffe, eux, ont une véritable réflexion en arrière de leur cuisine. « On remet en question ce qui se fait partout. On se casse la tête pour être capables d’offrir des plats différents. Parfois, on réussit; d’autres fois, non. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on se pose des questions. Par exemple, Antonin aime les classiques français. Il aime les choses simples, locales et pleines de saveur, mais il va toujours vouloir pousser les choses plus loin. Parfois, ça provoque des découvertes [voir l’encadré], et d’autres fois, ça permet de confirmer que dans les classiques, certains plats sont parfaits tels qu’ils sont! »
Par exemple, le plat de flétan, servi à la suite d’un surprenant porridge salé aux huîtres [NDLR: composé entre autres d’huile d’algue, de céleri chinois, de sarrasin et d’une huître légèrement pochée], ramène les clients dans leur zone de confort. Le poisson blanc est parfaitement cuit à la vapeur, servi avec une sauce au beurre et au safran du Québec, avec de simples zucchinis en accompagnement : pour Antonin, ces saveurs locales et de saison ne nécessitent aucun artifice.
« La volaille, c’est tout ce qu’il y a de plus simple. Au Petit Mousso, on sert ce mets conçu à partir d’un coquelet de la ferme Rose des vents, en deux services. La première assiette est d’abord servie comme une poule au pot, un classique français. C’est une poitrine cuite sans coloration, presque à la vapeur, pas du tout rôtie. La volaille est d’abord truffée, et servie avec une sauce riche au xérès, des morilles et des pommes de terre. La seconde assiette est une cuisse nappée d’une laque un peu sucrée, de sirops, de miso, de fruits et de sapin fermentés. Ça colle aux doigts, et le goût ressemble à un mélange de canard laqué, de fondue chinoise et de barbecue. Tout ça est ensuite passé sur le grill et recouvert de câpres de sureaux immatures qu’on a pressés. C’est servi avec une salade incroyablement fraîche composée de fleurs, de laitues et d’herbes. Cette espèce de cuisse laquée tranche radicalement avec le premier service. C’est l’opposition entre les techniques classiques et modernes! À mon avis, ce plat en deux temps représente un peu la vision d’Antonin. »
RÈGLE NUMÉRO 3 : BIEN S’ENTOURER
Le matin, il paraît qu’on peut voir arriver Antonin avec son casque de mobylette sur la tête, la plupart du temps accompagné d’une petite plaisanterie pour excuser son retard. Tous ses employés sont d’accord pour dire qu’une aura positive se dégage de cet homme décontracté, aux antipodes des clichés de grands chefs tyranniques. « On se connaît depuis huit ans, et jamais on n’a eu une seule chicane. Je crois que c’est aussi parce qu’on est vraiment à l’opposé l’un de l’autre : lui, c’est le gangsta hip-hop, et moi le petit fif délicat. C’est pour ça qu’on s’entend si bien! », plaisante Jocelyn.
«Il a vraiment réussi à créer une entreprise avec un esprit de famille et de communauté!»
Alors que le milieu de la restauration connaît beaucoup de roulement, le restaurateur maintient autour de lui une équipe solidaire et soucieuse de bien faire. D’après Benjamin, « c’est important pour Antonin de bien traiter ses employés, il n’a pas besoin d’être contrôlant. Il est capable de bien s’entourer et sait gagner la confiance de son monde. » Jocelyn abonde dans le même sens : « Il a toujours été très chill avec moi. Il offre de belles conditions de travail à son monde. Ce qui est le fun, aussi, c’est qu’on est ouverts seulement quatre soirs par semaine, donc peu importe quand vous venez, c’est toujours le même staff. Il a vraiment réussi à créer une entreprise avec un esprit de famille et de communauté! »
On ne pourrait pas parler de la famille Mousso sans parler de ses clients : certains suivent Antonin depuis ses débuts au Contemporain, soit bien avant l’éclosion de son repère gourmet-hip-hop du Centre-Sud. Pour le reste, on retrouve une crowd plus jeune que dans les autres restaurants gastronomiques, grâce à des ambiances visuelle et sonore plus décontractées. « C’est vraiment un mix entre les madames du Contemporain, des membres de la scène hip-hop locale, des familles de banlieue qui ont entendu parler de nous à la télévision, et des employés d’autres restaurants. Certains soirs, quand je regarde le plan de salle, je sais que le party va lever! »
LA RECETTE DU SUCCÈS
Selon la recette développée par Antonin, si on voulait ouvrir le meilleur restaurant de Montréal, on aurait besoin des ingrédients suivants : un entourage digne de Vincent Chase, une humilité contrastant avec l’image des chefs tyrans, une philosophie dont Épicure serait fier, et une confiance en nos rêves digne d’un bon film de Walt Disney. Ou du moins, en apparence. Antonin avoue être angoissé et avoir beaucoup de mal à se faire confiance.
Pourtant, on a beau essayer de tirer les vers du nez à Jocelyn Despres, il ne trouve rien que son patron pourrait avoir à se reprocher. « Avec une telle réputation, on penserait qu’il aurait la grosse tête. Mais Antonin est quelqu’un de très humble et de très perfectionniste. Il a une vision très claire de ce qu’il veut, et il ne fait pas les choses à moitié. Je crois que c’est ça, la recette de son succès. S’il se lançait dans un nouveau projet fou, je le suivrais à 100 miles à l’heure. »
«La musique a toujours été une passion pour moi. J’en ai toujours fait, et j’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis dans ce milieu-là. Mais à un moment donné dans ma vie, j’ai choisi de m’investir entièrement dans la restauration. Dix-huit ans plus tard, le temps est venu pour moi de m’évader un peu.»
Justement, Antonin, toi qui viens d’ouvrir le Petit Mousso en complément du bien-aimé Mousso, reste-t-il d’autres projets fous dans ta hotte? « En fait, je me dirige vers le rap! La musique a toujours été une passion pour moi. J’en ai toujours fait, et j’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis dans ce milieu-là. Mais à un moment donné dans ma vie, j’ai choisi de m’investir entièrement dans la restauration. Dix-huit ans plus tard, le temps est venu pour moi de m’évader un peu.
J’ai deux restaurants; je pense que j’ai tout ce dont j’ai toujours rêvé à ce niveau-là. Évidemment, comme je ne peux pas être chef à deux places en même temps, mon rôle a changé. J’ai découvert que déléguer et faire confiance aux bonnes personnes, c’est ce qui fait marcher l’entreprise. Jamais je n’arrêterai de créer avec la nourriture. Les idées sont toujours là. Mais maintenant, j’ai du temps pour autre chose. Je veux me consacrer à mes projets artistiques, et peut-être fonder une famille. »
URBANIA devra-t-il réinventer les catégories de son magazine pour accommoder Antonin Mousseau-Rivard, le chef rappeur? Vous le saurez au prochain numéro…