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Acheter un peu, beaucoup, compulsivement
Si le mot « oniomanie » est assez peu utilisé dans le langage courant, sa signification est pourtant bien réelle. Ce terme un peu niché fait référence au trouble lié à l’achat compulsif, c’est-à-dire la manie compulsive de faire des achats généralement peu ou pas nécessaires à la personne qui en souffre.
Selon Statistique Canada, 5 % des Canadien.ne.s seraient aux prises avec un trouble d’oniomanie. Le pire moment de leur année? Le temps des Fêtes, sans aucun doute, en raison de toute la publicité et de la pression entourant le magasinage de Noël, le Black Friday et le Boxing Day.
On en a discuté avec l’autrice, animatrice et chroniqueuse Catherine Ethier, aux prises avec un problème d’achat compulsif.
Tu vis avec un trouble d’achat compulsif. Comment perçois-tu cette situation?
Mon problème d’achat compulsif est en voie d’être contrôlé, mais je suis consciente que c’est une chose avec laquelle je vais devoir composer toute ma vie. C’est une façon de pallier l’anxiété. Un peu comme une personne qui consomme de l’alcool ou de la drogue, moi c’est avec le magasinage compulsif que j’ai dealé avec des périodes plus sombres dans ma vie.
«Je deviens obsédée, possédée par le besoin d’acheter une chose précise.»
Je deviens obsédée, possédée par le besoin d’acheter une chose précise. Je fais des fixations en ligne, parce que dans mon cas, mon problème concerne l’achat virtuel. J’ai toujours aimé magasiner en vrai, être extravagante, mais toujours dans la mesure de mon budget. Sauf que depuis environ cinq ou six ans, ça a pris des proportions plus problématiques.
Comment ça se manifeste concrètement?
Je suis abonnée à plein de comptes Instagram. Je suis des boutiques de vêtements que j’aime, des gens et des artistes dont j’aime le style, qui m’inspirent. Des fois, ces personnes présentent un truc qui n’a aucun rapport avec leur linge et je deviens obsédée par un morceau en particulier. Je vais voir dans les commentaires, parce qu’il y a toujours quelqu’un qui demande : « Où est-ce que tu as pris telle ou telle affaire? » Là, ça me fait découvrir une autre boutique que je me mets à suivre sur Instagram et ça ouvre un (autre) cercle vicieux.
«Dans mes moments de crises les plus aiguës, je me dis : “Si je ne l’achète pas, il n’y en aura plus.”»
Et là, je vis des espèces d’urgences d’achat. Dans mes moments de crises les plus aiguës, je me dis : « Si je ne l’achète pas, il n’y en aura plus. » Comme si je n’avais pas déjà 45 robes dans ma garde-robe, qui sont très belles, et que je vais pouvoir porter encore pour les dix prochaines années, parce qu’elles sont superbes et de grande qualité.
Comment tu te sens dans ces moments-là?
Comme si je vivais une sensation forte, et que je libérais de l’adrénaline et de la dopamine! En fait, quand je fais une fixation sur un article et que je le cherche de manière obsessive sur le web, quand je le trouve, je vis une espèce de satisfaction intense. Je suppose que ça me donne une sorte d’emprise sur le réel à des moments où je me sens perdue ou anxieuse.
Donc j’achète l’objet en question, j’ai hâte de l’avoir, mais quand je reçois mon colis, je vis une honte parce que je sais que j’ai glissé (c’est le mot que j’emploie pour parler de ce comportement). Dans les pires moments, j’ai plein de boîtes chez moi. Je ne ressens pas de fierté d’avoir choisi un objet avec soin, d’avoir économisé pour l’acheter, d’avoir été patiente. Non, c’était vraiment de la honte.
Et le temps des Fêtes dans tout ça? Est-ce que c’est vrai que c’est une période particulièrement difficile?
Mais oui, tellement! Et je suis certaine que c’est le cas de plein de gens qui ont une tendance comme la mienne. À partir du moment où tu as un téléphone intelligent, que tu es sur les réseaux sociaux et que tu es abonné à des infolettres, tu reçois des offres et des pubs de tout bord, tout côté.
Ça fait trois semaines que le Black Friday est supposé être fini, mais non, il se poursuit encore et encore!
Et cette année, on dirait que c’est pire. C’est peut-être le retour du temps des Fêtes plus « normal » post-pandémie, mais sur Instagram, je reçois un nombre de pubs hallucinant. On dirait que tout le monde me prévient : « Hey hey hey, on a telle ou telle affaire, ne passe surtout pas à côté! », « N’oublie pas de profiter de tel rabais avec ce code promo! », « Le Black Friday se poursuit! ». Mais heille, ça fait trois semaines que le Black Friday est supposé être fini, mais non, il se poursuit encore et encore!
J’ai l’impression qu’on vient constamment cogner à ma porte, même quand je suis concentrée sur une tâche, que je travaille, que je ne suis pas dans une période de crise et que je suis parfaitement heureuse avec tout ce que je possède.
Depuis le Black Friday, cette année, j’avoue avoir glissé quelques fois. J’ai acheté des choses précieuses à mes yeux dans des boutiques que j’aime, mais dont je n’avais pas besoin. Les boutiques savent comment créer l’urgence, le sentiment de rareté, d’exclusivité.
Sens-tu que cette année, les boutiques jouent sur l’idée que Noël n’a pas vraiment eu lieu l’année dernière et qu’il faut recommencer à consommer?
Précisément. Et comme j’ai cette faiblesse-là de base, je suis super vulnérable à cette dynamique-là. Cette année, j’ai particulièrement envie de m’acheter une robe différente pour chaque événement et chaque souper de Noël. On fait souvent de petites extravagances vestimentaires pendant les Fêtes, mais cette année, on est tannés de nos kits mous. On a envie de sortir nos paillettes! Donc je sens que la tentation est plus accrue et que les entreprises jouent là-dessus.
Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile?
J’ai beaucoup cheminé dans tout ça, mais je pense que c’est d’être hyper consciente de toute cette dynamique-là, mais de céder quand même parfois.
«Je trouve ça difficile de dealer avec la culpabilité, le sentiment d’avoir échoué, d’avoir été faible.»
Il y a deux semaines, je me suis dit : « Tu as acheté des belles choses, tu t’es gâtée, mais là, c’est assez. Tes cadeaux de Noël sont achetés. » Mais la pression est tellement, tellement forte et la tentation est immense. Je trouve ça difficile de dealer avec la culpabilité, le sentiment d’avoir échoué, d’avoir été faible. Surtout en plein temps des Fêtes!
J’essaye aussi d’être bienveillante avec moi-même et de trouver un certain équilibre pour ne pas toujours être en train de me taper sur la tête et d’être constamment dans la culpabilité justement.
As-tu des trucs pour gérer ton problème?
Dans les dernières années, mon problème est devenu tellement envahissant que je n’ai pas eu le choix d’aller chercher de l’aide. Ça a été très difficile pour moi, mais j’en suis venue à la conclusion que j’avais besoin d’être encadrée et qu’il ne suffisait pas de juste me dire : « Catherine, tu as juste à arrêter de t’acheter des vêtements! »
Je suis devenue consciente qu’il me fallait quelqu’un qui m’aide à ne pas dépenser d’argent que je n’ai pas sur des vêtements et des choses dont je n’ai pas besoin.
«Depuis presque un an, il y a une personne qui me verse un salaire à partir de mon propre argent.»
J’ai donc pilé sur mon orgueil et j’ai engagé une comptable qui gère mon budget et qui me verse un montant chaque semaine. En d’autres termes, depuis presque un an, il y a une personne qui me verse un salaire à partir de mon propre argent. Après, si je décide de manger des pâtes toute la semaine parce que j’ai pris l’argent de mon épicerie pour m’acheter une robe, c’est mon problème (rires)! J’ai trouvé ça difficile, je trouve ça encore gênant d’en parler, mais ça m’aide énormément.
Je réalise aussi qu’avec le temps, j’avais un peu perdu la notion de l’argent. Je mettais de gros montants sur des chaussures ou un vêtement. Avec le temps, je rétablis un peu ma perception de ce qu’est un budget plus cohérent.
Mon rapport avec l’argent est très étrange et conflictuel. Les chiffres, les tableaux Excel m’angoissent, je n’aime pas savoir combien d’argent je fais, que j’en fasse peu ou beaucoup. Donc le fait d’être allée chercher une aide concrète m’aide beaucoup.
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souffre du même problème que toi?
N’ayez pas peur d’aller chercher de l’aide, ça peut sauver la vie. Dans mon cas, c’est radical puisqu’on me verse une allocation, mais ça peut aussi être d’engager un professionnel qui nous aide à faire un budget. Je mentionne cependant que je suis consciente que ce genre de service n’est pas accessible à tout le monde, donc je me sens privilégiée de pouvoir me l’offrir.
«Se trouver une activité qui aide à libérer le stress peut contribuer à traiter le problème à la source.»
Sinon, se désabonner des infolettres et de certains comptes Instagram qui créent la tentation, ça aide beaucoup.
Aussi, je pense que de se trouver une activité qui aide à libérer le stress peut contribuer à traiter le problème à la source. Je sais que c’est cliché, mais faire du yoga, allumer une chandelle et regarder une série ou peindre, ça peut aider à faire passer le moment de crise. Pas le régler, mais aider. Quand on arrête de fumer, on dit qu’on le fait une envie de cigarette à la fois. C’est un peu la même chose avec la tentation d’acheter, surtout quand c’est aussi profond que ça l’est dans mon cas.
Je dirais aussi que c’est correct d’avoir un peu de tendresse envers soi-même, de constater les progrès qu’on fait et de regarder en avant. Parce que t’sais, c’est vrai que je la méritais, cette belle robe que je porterai pour le réveillon de Noël!