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Acheter une Lamborghini pour la laisser dans son garage
Comme la plupart des millénariaux, j’ai grandi en croyant dur comme fer que j’allais devenir riche et célèbre un jour. Ce n’est pas arrivé… encore. La beauté de la chose, c’est que ma définition du succès a pas mal changé depuis l’école secondaire. J’ai une job stable, une blonde merveilleuse et même un condo qui m’appartient partiellement. Et je m’estime chanceux.
Est-ce que je voulais vraiment être riche, ou est-ce que j’aurais simplement surestimé l’ampleur de mes besoins toute ma vie ? C’est en me posant ces questions que j’ai mis le pied chez le concessionnaire John Scotti, à Kirkland, mieux connu sous le nom de « la seule place où on vend des Lamborghini entre Toronto et Halifax ». Vous savez, ces voitures avec la porte qui ouvre vers le haut et que le commun des mortels ne conduit que dans des jeux vidéo comme Need for Speed ? Je suis allé rendre visite à ces vendeurs pour savoir qui achète un bolide de la sorte, et à quoi ça sert d’avoir une voiture aussi chère.
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Crédit: Samuel Pasquier
Là-bas m’attendait Bernard Durand, un sympathique monsieur à l’allure intemporelle qui vend des Lamborghini à longueur d’année. Près de son bureau, on trouve un modèle Aventador de couleur mauve Kool-Aid qui se détaille 850 000 dollars. C’est un magnifique véhicule, mais tous les modèles sur le plancher le sont. Ils partagent tous les mêmes couleurs criardes, la même allure futuriste et les mêmes courbes agressives à mon œil de néophyte qui n’a jamais mis le pied dans quelque chose de plus luxueux qu’une BMW à 60 000 dollars. Pas plus con qu’un gars qui vient de gagner à la loterie, je lui demande : « Ce char-là… pourquoi il vaut presque 1 million de dollars ? »
La rareté, c’est un facteur qui peut se comprendre. La couleur, on s’en torche un peu, non ? Surtout celle des roues.
« Tout d’abord, parce qu’elle est flambant neuve », m’explique M. Durand. Une Lamborghini perd en effet environ 100 000 dollars en valeur au cours de sa première année d’utilisation. « Elle a aussi été bâtie sur mesure pour en faire un modèle rare. Il s’agit d’un roadster avec moteur V12, et il n’en existe que 500. C’est aussi le seul exemplaire avec des roues blanches. Y a également la peinture, qui est la même que celle du modèle Lamborghini Diablo 30e anniversaire. »
La rareté, c’est un facteur qui peut se comprendre. La couleur, on s’en torche un peu, non ? Surtout celle des roues. Si mon chum Kevin peut repeindre les rims de mon char dans son garage, ce serait absurde de payer le gros prix pour ça… Je continue donc d’achaler le très patient M. Durand pour savoir en quoi ces voitures sont aussi spéciales. Il me parle de traction intégrale, d’antipatinage, de freins ABS, de GPS et d’options qu’on peut trouver sur n’importe quel VUS.
« Mais ça vient avec un moteur V10 ou V12. Ce que ces voitures-là ont que les autres n’ont pas, c’est la performance », explique Bernard Durand.
C’est bien beau se péter les bretelles avec sa Lamborghini, mais c’est quoi le but d’en avoir une si ce qui la différencie d’une Honda Civic est interdit par la loi ? C’est pas comme si on pouvait courser sur l’avenue du Docteur-Penfield !
Les Lamborghini qu’on aperçoit dans les rues telles des licornes contemporaines roulent en moyenne entre 0 et 3 000 kilomètres par année. Les autres vivent dans le garage de collectionneurs, comme mes cartes de hockey vivent dans des cartables, chez mes parents.
Justement. Une voiture de luxe, on ne sort pas ça. Bernard Durand m’explique que peut-être 3 % des propriétaires de Lamborghini la sortent pendant l’hiver. Rouler là-dedans, c’est une activité qui se pratique de mai à octobre. Les Lamborghini qu’on aperçoit dans les rues telles des licornes contemporaines roulent en moyenne entre 0 et 3 000 kilomètres par année. Les autres vivent dans le garage de collectionneurs, comme mes cartes de hockey vivent dans des cartables, chez mes parents.
Bernard Durand m’explique la logique du collectionneur de voitures devant une Maserati évaluée à 5 millions de dollars — la pièce de résistance sur le plancher de vente. Elle est déjà vendue, d’ailleurs.
« Cette voiture-là est un modèle 2005. Elle n’a pas 500 milles au compteur encore », me dit-il. J’en déduis qu’elle a fait plus de chemin dans la boîte d’un camion que sur la route, ce qui est quand même fou.
À la fin de notre rencontre, je me suis assis dans une Lamborghini Aventador vert lime. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre dans l’habitacle. À une machine à milkshakes ? À un ordinateur de bord qui parle comme dans Knight Rider ? À part pour la porte qui ouvre vers le haut, la seule chose qui m’a marqué, c’est le système de ventilation qui faisait le même bruit que le moteur d’un avion avant le décollage. Sinon, c’est un char. Un fucking beau char, mais autrement semblable à la Subaru Impreza de ma blonde.
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Crédit: Samuel Pasquier
Mon père était col bleu. Ma mère, prof d’école. Même si je gagne le gros lot, je ne serai jamais « riche ». Parce qu’être riche, c’est d’abord et avant tout un état d’esprit. Ceux qui ont de grandes fortunes n’ont simplement pas le même rapport à l’argent que vous et moi. Ils achètent des voitures hors de prix sans jamais rouler dedans parce que quand t’es riche, t’as un char de luxe. C’est un symbole. C’est comme être membre d’un club exclusif.
Mais comme le disait Groucho Marx : « Je ne voudrais jamais être membre d’un club qui accepterait de m’avoir comme membre. »
Je ne m’achèterai probablement jamais de Lamborghini et je suis en paix avec ça. C’est un jouet pour une personne qui a un compte de banque sans fond.
Et je comprends maintenant mieux que jamais la différence entre avoir de l’argent et être riche.